Le pop-up n’est pas une tendance qui touche uniquement le commerce mais la ville au sens large. C’est un phénomène qui relève de toute une culture de la mobilité urbaine. Voici un extrait d'un travail de recherche mené avec Raphaël Lellouche pour Klépierre qui a donné lieu à la publication d'un livre blanc.
Les origines du pop-up : happening et contre-culture urbaine
Le propre du pop-up, c’est l’apparition, l’irruption momentanée et transitoire d’un phénomène, d’un événement dans la ville.
Son origine remonte au happening, qui, dans les années 70, consistait à transformer l’œuvre d’art d’un objet fixe, immobile et éternel en un événement qui « happen », qui se produit, un événement mobile et transitoire, éphémère. Même s’il peut en rester des traces, des documents filmés par exemple, l’œuvre se passe dans le temps réel. On fait passer l’univers des arts plastiques dans l’univers de la performance (plastics arts vs. performative arts). On passe de l’objectivité à la performativité. C’est la performance qui est au cœur du pop-up.
Puis les rapports entre le happening et la culture urbaine se développent. Les avant-gardes artistiques commencent à développer des affinités avec la culture urbaine et lancent toutes les modes « street », que ce soit dans le monde de l’art, de la communication, du sport…
Puis ce sont les avant-gardes militantes qui s’emparent du phénomène en passant de la réunion de parti ou de la manifestation de rue à de nouvelles pratiques urbaines, liés à une nouvelle mobilité urbaine.
Les Zones d’Autonomie Temporaire
Hakim Bey est le pape de du « urban-hacking » qui rassemble des pratiques de détournements, des événements éphémères… Il a théorisé sous le concept de ZAT (Zone d’Autonomie Temporaire) une culture « pirate », de « guérilla », sur les plans à la fois politiques et artistiques.
Ces ZATs s’incarnent principalement dans des actions où les militants, grâce à la communication instantanée que leur permettent les réseaux sociaux, se rassemblent très vite dans un point de la ville et font un équivalent de « flash mob » politique, qui fait événement parce qu’original, spontané, sauvage.
Une ZAT à La Croix-Rousse, Lyon
Comme le soulèvement (que Hakim Bey oppose à l’état permanent et fermé de la révolution), la ZAT est une expérience extraordinaire qui sort du quotidien, un événement temporaire et ouvert sociologiquement.
La TAZ est une « « épiphanie » - une expérience forte aussi bien au niveau social qu’individuel ». Dans la TAZ, les lieux saints sont remplacés par des « expériences maximales ».
Dans une société « post-idéologique, multi-perspectives » où règne le « fétichisme de la marchandise », la ZAT cherche à créer des « voyages psychiques », à la recherche de curiosités, de diversité, d’aventures. La
ZAT est « utopique » au sens où elle croit en une « intensification du quotidien », une « pénétration du Merveilleux dans la vie ». Elle ne tient pas compte des idéologies ; elle est « une intensification, un surplus un excès, un potlach ». Les ZATs sont des « raids réussis sur la réalité consensuelle, échappées vers une vie plus intense et plus abondante ».
La ZAT repose sur une « tactique de la disparition », en phase avec l’esprit de la guérilla (des combattants qui apparaissent et disparaissent, se déplacent, sont insaisissables). La disparition est ce qui permet de révolutionner la vie quotidienne, c’est une énergie dirigée contre quelque chose, un refus. Elle peut prendre une forme positive, si le refus de quelque chose entraine une autre alternative à ce qui est nié. La ZAT devient ainsi une zone de liberté clandestine, inconnue de l’Etat, car elle disparait dès qu’elle est identifiée, nommée, médiatisée. elle ne cesse d’apparaitre et disparaitre dans le temps et dans l’espace, elle est nomade.
La ZAT est associée à la bande (ouverte sur la base d’ « affinités électives », de coutumes communes, d’alliances et de contrats) plutôt qu’à la famille nucléaire (fermée par la génétique et par la hiérarchie sociale). La bande aujourd’hui, ce sont les amis, les personnes rencontrées au travail, les gens ayant les mêmes centres d’intérêt, etc.
La ZAT peut être rapprochée du festival, c’est-à-dire d’un espace de liberté à caractère festif. A leur différence néanmoins il est « libre de surgir n’importe où et n’importe quand ». On peut citer comme fêtes modernes le « rassemblement tribal » des années 60, les conférences anarchistes, les cercles gays, etc. Ce sont des ZATs potentielles parce qu’elles ne sont pas organisées, ordonnées, planifiées mais ouvertes et spontanées. L’essence de la fête, c’est un groupe d’humains qui « mettent en commun leurs efforts pour réaliser leurs désirs mutuels », comme boire, manger, converser, etc.
La ZAT s’accompagne de formes créatives vivantes. Avec les ZAT, on tente de créer des formes symboliques de manifestations intégrant de la musique, de la poésie, des représentations théâtrales sauvages... On se rapproche ici du street-art.
Cette culture s’inscrit aussi bien dans des discours technophiles qu’anti-techno.
Les pop-up stores cumulent un certain nombre de traits caractéristiques des ZATs :
- Le pop-up a vocation à remplacer les « lieux saints » du commerce (les magasins) par des « expériences maximales ».
- Le pop-up tend, dans sa forme idéale, vers la philosophie de la ZAT : il peut rendre la vie plus « intense » et « merveilleuse » via des expériences sorties du quotidien. Il cherche à briser l’ordinaire et parfois à faire rêver. On peut penser que les premiers amateurs de pop up stores sont ces « voyageurs psychiques », lassés de voir en permanence les mêmes objets, produits vendus dans les mêmes magasins, etc.
- L’idée de disparition est à la fois liée à la nature du pop up store (il est éphémère, il apparaît puis disparait), et à la position du commerce éphémère par rapport aux magasins fixes : on peut envisager l’émergence des pop up stores comme un refus du stéréotype du magasin sédentaire et des codes du commerce traditionnels. Par exemple, les animations gratuites vont à l’encontre de la transaction marchande basique.
- Les gens qui se réunissent dans un pop up store sont liés par des affinités communes : un pop up store est un lieu de rencontre pour une « bande » éphémère et formée à l’improviste.
- Un pop-up store peut être considéré comme un festival/une fête de par sa dimension ludique, ouverte à tous et parce que, bien qu’il ait été planifié par la marque, il n’est pas prévu par ceux qui le découvrent et qui s’y invitent (les clients).
- Le pop-up intègre une dimension créative et artistique forte qui le rend attractif.
- Internet est également un moyen privilégié pour informer les clients de l’émergence de stands éphémères.
Depuis les années 70, tout cet ensemble de pratiques artistiques ou contre-culturelles, encore relativement marginales, s’est développé lentement. Puis à partir des années 2000, l’apparition des nouveaux instruments techniques et du Smartphone a renouvelé cette dimension de la mobilité urbaine et accéléré le mouvement.
En parallèle, le marketing a rompu avec toute sa culture antérieure (les marques, le commerce fixe…) pour basculer dans ces nouvelles pratiques de mobilité urbaine. Il y a donc un essor de la culture de la mobilité urbaine appliquée au marketing.
Le contexte actuel : les évolutions urbaines et numériques
- L’évolution urbaine favorise la standardisation des centres-villes
La ville comme lieu de consommation
Dans Luxus und Kapitalismus, Werner Sombart s’intéresse à la genèse des grandes villes. La ville est un espace physique meublé. A l’origine, c’est une population qui se regroupe, se concentre autour des résidences royales ou princières. Autour de la cour, affluent tous les artisans, les commerçants, les financiers qui fournissent toutes sortes de services et de biens, pour constituer le noyau de la ville.
La ville est donc avant tout un lieu de consommation, où les rues n’ont pas seulement comme fonction d’être des axes de circulation, mais aussi des lieux d’exposition des marchandises, des vitrines. Dans l’Allemagne de l’Est, cette absence de marchandises, de vitrines en faisait des villes étranges. Ensuite la rigidité relative de la ville moderne a fait que les commerces sont devenus relativement fixes, avec des baux assez longs.
La ville est vivante, elle évolue, elle se modifie. Certains quartiers deviennent méconnaissables en quelques décennies, souvent parce que les populations ou les commerces ont changés.
On note plusieurs phénomènes majeurs, selon les zones géographiques :
- La désertification de certaines zones périphériques : la disparition des petites boutiques traditionnelles ruinées par les grands commerces et qui ferment massivement a été un des phénomènes massifs du changement des paysages urbain. Elle résulte sur des quartiers morts.
- Inversement, la gentrification des quartiers anciennement populaires revalorisés par un foisonnement de boutiques de créateurs.
- Dans les centres-villes, la standardisation : à part quelques variations de détail, il est frappant de constater à quel point les codes des parvis et des façades des magasins est homogène. C’est notamment du à colonisation par les marques de mode, souvent franchisées, dont le nombre est faramineux mais qui proposent toute une offre souvent assez homogène entre elles. Ce mouvement qui était d’abord un élan de valorisation des quartiers finit par les uniformiser et les dévaloriser.
- La révolution numérique réinterroge les fonctions et les attributs du commerce physique
La révolution numérique a elle aussi des conséquences sur le dépeuplement des boutiques physiques et sur les évolutions du commerce en général. Elle réinterroge :
- le rapport entre le physique et le virtuel;
- le rapport entre le fixe et le mobile ;
- le rapport entre le permanent et l’éphémère.
Avant la révolution numérique, une boutique c’est d’abord une adresse, un lieu fixe, déterminé et connu dans une ville : tant que la boutique est fixe, on sait où elle est, on peut s’y rendre. Il y a bien une mobilité urbaine, mais elle consiste à aller dans le magasin, elle se limite au déplacement entre chez soi et la boutique. Historiquement, la communication des enseignes comme les Galeries Lafayette ou le Bon marché reprenait d’ailleurs le thème des jambes de femmes qui marchent vers le magasin.
Ce déplacement du corps vers le lieu de commerce était l’occasion du « shopping », où l’excitation de l’achat est associé à celle de la ballade, du lèche-vitrine, de la flânerie, de la sociabilité, de la mode par l’observation des tendances, de la rencontre…
Alors qu’il y avait jusque là un monopole du physique, la révolution numérique a exténué un certain nombre de ses attributs. Par la numérisation, on essaye de reconstruire sur l’écran un lieu virtuel qui conserve l’intuitivité du magasin physique. Il n’y a donc plus besoin de se déplacer pour obtenir la marchandise. Ainsi le numérique dévalorise le physique parce qu’il est plus pratique, plus rapide, offre plus de choix que dans un local qui a des limites physiques et a l’avantage de ne pas nécessiter de déplacement. On remplace la mobilité du magasin par la sédentarité du numérique. Paradoxalement, le premier mouvement de la révolution numérique se fait donc contre la mobilité.
Mais le déplacement physique avait d’autres fonctions que celle de l’achat, c’est à dire des fonctions de sociabilité, de promenade… Avec le passage au numérique, ces autres fonctions ont été perdues. Cette perte a donc du être compensée par le développement d’un certain nombre de commerces nouveaux dont l’objectif n’est pas en premier lieu l’achat mais la ballade, la découverte : c’est toute la vogue des concepts stores, où l’on vient acheter mais aussi découvrir, flâner, boire un café, expérimenter, avoir le sentiment d’appartenir à la tendance, à la mode, à un esprit nouveau. Avec le concept store, on est donc dans la tendance inverse de la numérisation : comment rematérialiser, respacialiser quelque chose d’immatériel.
Ainsi alors qu’il y a 10 ans, il fallait se numériser à tout va, on constate maintenant le processus inverse : les acteurs purement numériques cherchent à se matérialiser. Cette physicalisation du numérique est le dernier avatar du développement de la numérisation du physique.
Un nouveau rapport à l’espace et au temps
Dans l’acte d’achat, il y a toujours les deux mêmes coordonnées du réel, c’est à dire l’espace et le temps :
- Avant le numérique, les boutiques répondent à des conventions établies et évidentes : ce sont des espaces fixes et assignés où on retrouve une offre constante. A la constance de la marque s’associe une constance de l’offre et une constance de l’adresse : ce sont des éléments de fixation.
- Avec le numérique, il y a eu extinction de l’espace et concentration du temps.
- Puis dans le concept store et dans le pop-up store, en réaction du physique contre le numérique, il y a extension de l’espace et du temps.
Une extension de l’espace
Avant la révolution numérique, c’était donc le consommateur qui le était mobile tandis que la fixité était l’apanage des marques. Désormais, le consommateur qui achète en ligne est « fixe » et c’est à la marque d’aller à sa rencontre. C’est le cas avec ces lieux ouverts et mobiles que sont les pop-up : puisqu’ils n’ont le plus souvent pas d’adresse fixe, on ne les prévoit pas, on les rencontre, ils viennent se mettre à l’improviste en travers de notre chemin.
Une extension du temps
En même temps, le physique change de fonction pour se tourner vers le vivre, l’expérientiel, la flânerie. Le concept store est un lieu de concentration des bénéfices de promenade et de découverte. On y cultive la lenteur, la tranquillité, un espace d’observation et de découverte, les gens viennent là pour se regarder eux-mêmes. On prend son temps, on ne cherche plus la rapidité de l’acte d’achat fonctionnel, les bénéfices ne sont plus le caractère pratique ou l’immédiateté de la vente mais l’expérience de lieux à vivre.
Une nouvelle mobilité
Puis la révolution numérique elle-même a évoluée. On est passé de l’ordinateur au smartphone, les objets connectés se sont mis à se déplacer. S’ouvre donc l’ère de l’informatique connectée, qui impose un changement total des rapports entre fixité et physique, et du rapport à la mobilité urbaine. Liée à la culture du pop-up, il y a cette culture du mobile.
- La culture du mobile réclame de nouvelles formes de lieux
Le mode de consommation mobile actuel pousse à une réflexion sur le lieu, la nature de l’événement, le mode d’occupation de l’espace que ça implique, et donc sur le mode de mobilité de ces évènements.
Dans la culture contemporaine de la mobilité, il n’y a aucune raison que les marques soient fixées à des boutiques, à des lieux consacrés et statiques, que les lieux d’achat ou d’expérience ne soient pas mobiles également. Les évènements de type « flash mob » en sont un exemple symptomatique : on cherche à créer un événement ubiquitaire ou qui se déplace, qui apparaît et disparaît comme un pop-up
Cette idée d’apparition / disparition est de plus en plus ancrée dans la civilisation mobile et connectée. Elle participe de l’essence même de l’écran : une page « liquide » sur laquelle les textes et les images apparaissent et disparaissent. De même, l’espace peut accueillir plusieurs contenus, il n’est plus rigidement fixé, associé, sédentaire, inamovible.
- La culture du mobile autorise de nouveaux usages
D’autre part, symétriquement, la nouvelle mobilité autorise des usages en phase avec la culture du pop-up.
Ainsi le smartphone, grâce à ses fonctionnalités comme le selfie, la géolocalisation… implique de nouvelles pratiques de « visite » chez les consommateurs. La visite touristique, c’est du « shooting mémoire », c’est un moment où l’on prend des photos qui vont garnir les albums de famille et témoigner du fait qu’« on y était ».
Or un des aspects des pop-up, c’est l’événementialité, la rareté et l’urgence : il faut pouvoir dire « j’y étais » et en témoigner. Le selfie fait partie du dispositif matériel et technique qui permet de construire cette mémoire autour de l’événement.
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