Lors des travaux préparatoires sur l'ouvrage Brand Culture, nous avons eu des séances de travail avec Raphaël Lellouche sur sa nouvelle théorie de la marque. L'ouvrage Brand Culture n'a permis de reprendre qu'une partie de son raisonnement. D'où l'intérêt de publier le détail de nos échanges.
Dans tes derniers travaux sur la marque, que semblent être les points clefs ?
Construire une théorie de la marque, qui soit une vraie théorie et pas l’application mécanique d’un modèle élaboré ailleurs pour d’autres fins. Et une théorie qui soit contemporaine, qui réponde à son objet. Je parle de la marque commerciale moderne, quelque chose qui concerne la société contemporaine. Il y a un minimum de requisit épistémologique, c’est l’adéquation à l’objet : la marque moderne. Il faut que la théorie corresponde à son objet, qu’elle ne soit pas un transfert fantasmatique à partir d’un autre objet. Il faut construire cette théorie à partir de concepts fondamentaux. Ils tournent autour de trois notions fondamentales :
- Penser la marque comme institution du marché contemporain, avec d’abord une dimension d’initiative d’entreprise sur le marché que j’appelle le self-binding. C’est un type de rapport au marché très particulier.
- En vis-à-vis, sur le marché lui-même, penser les actes constitutifs de la marque du point de vue du client, du consommateur. Qu’est-ce que le rapport des consommateurs aux marques. Ce deuxième volet est à penser à partir du concept de performativité.
- Le troisième volet est la manière dont ces deux choses sont co-présentes dans la relation de la marque au consommateur : c’est la médialité, le fait que la marque est une chose, une entité dont l’ontologie, le mode d’existence, est sa présence dans les média. Les médias sont à prendre au sens profond du terme. La médialité, du mot allemand, a un sens plus profond que des mots que médiologique ou médiatique. La théorie des médias telle qu’elle existe en France a été théorisée par Brigitte Debray dans son Cours de Médiologie Générale. Il faut revenir à un des penseurs les plus importants, qui a un peu été effacé des mémoires, Mc Luhan. En Allemand on dit Medientheorie. Même l’argent est un média au sens profond du terme. D’ailleurs Mc Luhan dans son livre sur les média qui s’appelle Understanding Media, fait un chapitre sur l’argent comme un des media fondamentaux, parmi d’autres. Le substantif qui correspond est Medialität.
Pourquoi insistes-tu autant sur cette notion de modernité de l'approche ?
Quand je dis que la marque est une institution contemporaine, c’est parce que depuis la fin du XIXe siècle des évènements fondamentaux se sont constitués : la naissance – et ça a des conséquences révolutionnaires dans toute la vie moderne – des grands média techniques. La médialité n’est certes pas uniquement moderne : il y a des médias antérieurs, comme les medias naturels que sont l’air ou l’eau. On parle ici de médias culturels, et plus précisément techniques. Avec l’imprimerie, la presse, les journaux, puis toute la vague de la révolution technique des media (Thomas Edison) : télégraphe, phonographe, téléphone… On est dans une société qui est entièrement sous-tendue par des infrastructures des médias fondamentaux. On n’existe, même si c’est inconscient, qu’à travers les médias techniques, consciemment ou non. La marque moderne est contemporaine de la révolution technique qui a affecté les média depuis la fin du XIXe siècle et qui fonde le monde moderne. Après l’ère Gutenberg, on est entré dans la galaxie Turing, l’inventeur de l’ordinateur. C’est une personnalité extraordinaire qui a fait que les Alliés ont vaincu l’Allemagne parce qu’il a décodé Enigma, une machine de cryptage allemande à l’aide d’une machine, qui lui a ensuite permis d’inventer l’ordinateur. Il était homosexuel, homosexualité interdite en Angleterre. Il s’est suicidé en mangeant une pomme empoisonnée. C’est peut-être pour ça qu’Apple a choisi le symbole de la pomme mordue. Par ailleurs, les lignes de couleur du logo originel, on peut voir le drapeau homosexuel.
On est dans un monde complètement nouveau et il faut penser la marque moderne dans ce monde-là.
C’est quoi la théorie moderne de la marque d’après toi ?
Je vais donner quelques grandes propositions de base que nous allons ensuite étayer. Une marque, c’est d’abord une construction des entreprises. L’idée connue selon laquelle il y a plusieurs niveaux : entreprise, institution, marque. C’est surtout le rapport entre marque et entreprise. La marque est une construction de l’entreprise. C’est une construction qui n’est pas facultative, secondaire. C’est une construction qui est indispensable. Le caractère nécessaire et indispensable de la marque, je l’explique parce que le marché ne peut pas fonctionner sans cette institution, cette création qu’est la marque commerciale. Une marque commerciale, c’est une institution fondamentale du marché. Nous vivons dans une économie de marché quel que soit ce qu’on entend parfois. Dans un marché qui est l’horizon indépassable de notre temps, pour reprendre l’expression de Sartre concernant le marxisme, la marque commerciale est indispensable. Il y a un certain nombre d’institutions qui sont constitutives du marché, il faut les penser comme telles et la marque en est une.
Comment penser la marque ? Il y a déjà tout un acquis de réflexion qui existe, indépendamment des grands modèles comme la souveraineté. Un article développe la marque signe et la marque institution du marché. La marque signe, c’est d’abord le sens même du mot marque. La marque vient marquer un objet, c’est un certain type de signe. C’est le fondement de toutes les conceptions sémiotiques de la marque. La marque est d’abord un signe. C’est un signe qui se développe selon trois moments logiques, qu’on peut expliquer à partir de Charles Perth. J’avais développé cette analyse en m’appuyant sur Les Principes de la philosophie du Droit de Hegel, qui produit tout un développement qui permet de comprendre les trois moments logiques de la marque signe :
- Le moment de la possession
- Le moment de l’usage
- Le moment de l’aliénation
Ils correspondent à trois moments logiques du signe :
- L’estampillage
- La signature
- La garantie.
Voici d’abord une analyse de la marque comme signe, fonction de la marque qui se structure là vraiment par rapport au produit en tant que marchandise.
Ensuite, il y a toute la question de la marque non plus en tant que signe, mais en tant qu’institution fondamentale du marché. On peut reprendre l’analyse des trois moments de la marque signe avant de développer ce point.
D’abord, qu’est-ce que c’est que ce signe qu’est la marque ? Le premier moment du singe est le fait que la marque sert à estampiller un produit. Ce signe signifie primairement que cet objet est sa propriété : on inscrit matériellement sur l’objet une trace. L’inscription de cette trace constitue l’appropriation réelle de l’objet produit. C’est juste une trace, qui ne porte aucun sens : elle se contente de dénaturaliser le produit avant que le produit n’entre dans la culture. On essaye de pense : en quoi la marque fait partie de la culture, de la culture contemporaine. Cette trace dénaturalise le produit et en fait un produit culturel. Elle constitue un marquage qui ne fait que prolonger la trace du travail qui est mêlé au produit. Cette trace, en tant qu’indice, c’est le premier niveau de la typologie perthienne : elle est un type de signe que Perth analyse comme le type de signe qui est dans un rapport de causalité matérielle avec cela même qu’il signifie. Par rapport à la théorie de la propriété, cette indice naturelle de l’appropriation originelle du propriétaire au sens perthien sert à indiquer la prise de possession au sens de la propriété originelle : c’est le signe que cette chose, je la possède. C’est le fondement même de la propriété selon Locke. C’est le fait que le travailleur, ou simplement celui qui prend possession, met la main sur la chose. Il mêle un acte, normalement de travail, mais qui peut se réduire à la prise, à l’objet. Ce type de signe là, qui est une simple trace, correspond au mot marque en anglais, brand, qui est la scarification, la marque au fer rouge, la flétrissure par l’empreinte… C’est cette fonction de trace, de marquage sur l’objet qui le dénaturalise.
A ce premier niveau, l’estampillage, la marque n’est pas encore née car elle ne concerne encore qu’un rapport privé entre le travailleur et le fruit de son travail. On n’est pas encore entré dans la marchandise à proprement parler, qui ne nait que dans la sphère de l’échange, qui implique un au-delà dans la sphère du produit. C’est au-delà, c’est le rapport à l’autre, le consommateur. Pour que la marque se constitue, il faut dépasser ce premier stade de l’estampillage et passer au niveau de l’aliénabilité de l’objet. Il faut passer de la possession à l’aliénabilité, le fait de pouvoir se séparer de l’objet, ce qui signifie pour le producteur l’offrir à un potentiel consommateur. L’aliénation est le rapport à l’autre, séparé.
Pour que la marchandise soit constituée comme étant pour un autre, pour autrui, c’est là où le rapport social va se constituer sur une place, qu’on appelle le marché. Le marché est une place. Je lisais récemment un philosophe allemand qui parle de l’argent comme medium et dit que le marché par rapport à la production est comme une scène de théâtre, c’est une place visible, d‘exposition. Dans la production il n’y a que le rapport monologique du producteur au produit. Pour qu’il sorte de cette possession primitive et qu’il entre dans l’aliénabilité, il faut qu’il entre sur le marché, scène de visibilité ou il y a des autres, où il faut communiquer. C’est là où se constitue le deuxième moment du signe : la signature, puis la garantie. Les autres, donc un rapport social, la séparation, l’argent, et l’acte d’achat, se situent là, dans la sphère de la circulation.
C’est très important. Le marché n’est pas uniquement une invention moderne. C’est extrêmement ancien. Mais les sociétés qui sont entièrement universalisées par le marché et l’argent, sont modernes. Le marché, cette place devient coextensive à la société entière, via les medias techniques de la communication de masse qui font entrer les autres en tant qu’autres pour chacun. Norbert Bolz, en prolongeant les analyses de Georg Simmel pour l’argent expliquait que l’argent dans la modernité avait par son abstraction, avait libéré la société, ce qui est paradoxal par rapport à la pensée que l’argent est déshumanisant. L’argent est effectivement un médium de la neutralisation des relations humaines. C’est positif parce que cela libère les relations aux autres de toute implication personnelle. La généralisation de l’argent dans les relations sociales, c’est ce qui permet de sortir de relations trop humaines, marquées de passions, de violences, etc. Par rapport aux histoires de souverains, guerriers, etc. l’argent dé-passionalise tout ça. L’argent transforme même les relations aux proches en relations à l’autre. En généralisant et en universalisant cela, on est dans la modernité. C’est Calvin qui le premier a autorisé le prêt à intérêt (Max Weber) alors que dans les sociétés pré-capitalistes, un dogme venait de la Bible : on peut prêter à intérêt à un étranger, mais pas à son frère (Deutéronome). On faisait une distinction fondamentale entre le proche, le frère, et l’étranger. La Bible reprend la tradition du Deutéronome et interdit aux chrétiens l’usure et l’avait réservé aux juifs. Calvin autorise le prêt à usure pour tous : tous sont également autres, le frère comme l’étranger. Avant que tout cela ne soit sous-tendu par la véritable explosion de cette relation universelle à l’autre dans la première vague des media techniques, avec la première vague des médias analogiques.
Du point de vue de la marque, c’est le passage de l’estampillage à la signature. Pour l’estampillage, citons un passage, paragraphe 58 de la Principes de la philosophie du Droit de Hegel : « la prise de possession, qui pour soi n’est pas effective mais simplement une représentation pour ma volonté, est sur la chose une marque (zeichen), qui signifie que j’ai placé ma volonté en elle ». L’idée que j’ai placé ma volonté sur la chose, c’est sur cette chose une marque : premier moment de la possession. Le deuxième moment, c’est quand la marque passe à la signature, lorsque la marque devient une fonction publique, sur la Shauplatz du marché. Le produit est autorisé par son producteur, il est reconnu en tant que son œuvre qu’il approuve et qu’il signe, qu’il assume. A ce moment-là seulement, la marque devient l’origine créatrice des objets qui sont mis sur le marché. Elle devient signature, comme l’artiste qui signe. Le rôle de la signature revient à authentifier, à attester un acte. On retrouve cette fonction dans le contrat, dans l’œuvre… On peut aussi se référer à un autre auteur important, John Searl. Il a écrit un ouvrage d’ontologie sociale, La Construction de la réalité sociale, dans lequel il explique que les entités sociales, notamment l’argent, relèvent d’une intentionnalité collective. Elles n’existent que dans la mesure où tout le monde y croit. Le mystère, c’est comment on continue à y croire… Dans le prolongement de Searl, Marco Ferraris a repris cette ontologie et l’a appuyé à Derrida dans la fonction de l’écrit. Comme Searl et Derrida sont des ennemis jurés, c’est paradoxal. La réalité n’est pas que le résultat d’une invention collective mais elle est le résultat de l’écrit. C’est le texte sur lequel s’appuie Butler est un article de Derrida qui s’appelle Evènement, Signature, Contexte [47]. Derrida y installe un système de concepts qui est un véritable vivier de la pensée contemporaine. C’est un texte très fécond pour penser ce dont on s’occupe.
Le deuxième moment de la marque est l’authentification par la signature : la marque devient un nom propre, indispensable dans tous les actes sociaux reconnus comme tels, les actes juridiques. La marque passe de la simple trace sur l’objet à l’autographe, à la signature où elle s’engage, elle rentre dans un pacte, un contrat, vis-à-vis d’un autre en face d’elle, pour qui l’acte est reconnu. La relation, entre le producteur et le consommateur, est en puissance dans cette aliénabilité rendue possible par la signature. On revendique ainsi une place sur le marché face au consommateur potentiel dans une communication potentielle publique. Du coup, mis sur le marché et signé par la marque, la marque est comme un nom propre d’une origine.
A ce moment-là seulement, la marque est face à des consommateurs potentiels sur un espace public et donc peut se distinguer des concurrents. La fonction distinctive, pas encore présente dans la marque originelle, est fondamentale dans la signature. A ce titre, la marque est un nom, un signe qui identifie. Pourquoi est-ce que la signature est importante ? Une signature ne peut pas être photocopiée ou tapée à la machine. Il faut que ma main l’aie tracée. C’est le premier moment de l’inscription. Il faut que l’acte de volonté se soit transcrit du cerveau à mon doigt pour laisser une trace. Le deuxième moment de l’inscription est que je ne fais pas n’importe quel gribouillage mais une inscription typique qui m’identifie. C’est un signe d’identité personnelle qui se distingue de toute une série d’autres identités personnelles. La propriété est déjà dans le propre de la signature, pas seulement en tant que trace, mais en tant que trace distinctive. Je ne signe pas par un signe quelconque mais par mon nom propre. L’important est aussi que la trace reste, qu’elle ait une fonction de continuité dans le temps. La signature n’identifie pas qu’au moment où je l’inscrit mais elle persiste : elle m’identifie dans le temps de façon continue et permanente.
Dans ce second temps où les produits sont visibles, distincts des autres, il y a aussi une force de permanence. La signature va identifier tous les produits sortis d’une entreprise dans le temps, dans le flux de sa production, comme étant référé à une identité, c’est-à-dire à quelque chose qui reste le même dans le temps. Ce n’est pas que l’appropriation momentanée de quelque chose sur lequel je mets la main, mais le fait que je signe quelque chose qui va perdurer et me ré-identifier à différents moments dans le temps. La permanence est importante. Sans la marque, il n’y a pas de continuité dans le temps dans le rapport d’identification d’un émetteur ou d’un producteur sur le marché. Il y a une continuité temporelle de l’existence de la marque : c’est en ça que c’est une entité sociale. Une entité sociale doit perdurer. La fonction de perduration de la marque sur le marché est aussi extrêmement importante, par rapport à la fidélisation et à d’autres choses.
La signature est donc distinctive, classificatrice (la marque n’est pas qu’un nom propre, mais aussi un signe de classe, classe de produit).
Hegel, paragraphe 64 des Principes de la philosophie du droit, parle du temps et de la perpétuation. Il souligne le fait que la permanence de la possession dans le temps implique la reconnaissance intersubjective, qui seule la fait passer au statut d’objectivité, qui implique que son signe devienne une indication ayant une portée stable dans le temps par rapport à l’avenir. La fonction projective dans le temps est fondamentale. C’est pour ça que dans la théorie du self-binding, la fonction de projection dans l’avenir, donc par rapport au temps, la fonction projective dans le temps, est fondamentale. La marque c’est aussi une projection dans l’avenir. Le rapport au temps de cette signature est essentiel. Hegel dit que la forme donnée à la possession et son signe sont eux-mêmes des circonstances extérieures sans la présence subjective de la volonté qui seule lui donne une signification et une valeur. Cette présence, qui est l’usage de la volonté, se produit dans le temps. L’objectivité exige que cette manifestation se perpétue.
On passe à la troisième fonction de la marque, au troisième moment après la trace de la possession et la signature de l’origine : la garantie. Une des fonctions fondamentales de la marque est de proposer une garantie. C’est une fonction reconnue dans toutes les théories de la marque. La garantie découle du fait que la marque prend des responsabilités vis-à-vis de ses produits. La marque doit expliciter et garantir des propriétés parce que dans les conditions de production industrielle, les propriétés de la marchandise ne sont pas évidentes. Quand on va dans un supermarché, on ne peut pas goûter avant d’acheter. S’il n’y a pas une marque pour garantir que le produit corresponde à la promesse, que la qualité reste constance, qu’on aura tel ou tel bénéfice consommateur, ces choses-là resteraient cachées. Tu dois aire un acte de confiance dans la promesse d’une marque qui a pour fonction de garantir les qualités d’un produit, et non seulement de les garantir sur le moment, mais de les garantir sur la durée de l’existence de la marque.
Autrement dit, le rôle de la marque dans un marché anonyme et abstrait, c’est de se substituer à l’expérience des produits par les consommateurs. La marque, à ce troisième moment qu’est la garantie, sa fonction est d’anticiper la satisfaction de ses clients en se portant à priori garante de celle-ci pour certaines propriétés promises. Elle n’assure plus simplement l’identité et la constance d’une origine, mais elle assume le fondement d’une promesse, dans la projection de l’avenir et donc dans l’anticipation d’une satisfaction invisible, que le client ne peut pas expérimenter immédiatement.
Sur le marché, le moment clef se passe d’abord au moment de l’achat, par le medium de l’argent. C’est quand tu paies que l’acte d’achat est accompli. L’argent fonctionne dans le paiement, mais la marchandise ne fonctionne pas uniquement au moment où elle passe du producteur au consommateur, elle fonctionne préalablement dans la fonction de la marque comme anticipatrice d’une expérience à venir qui n’est pas réalisée parce qu’elle ne peut avoir lieu qu’après le paiement. A ce troisième niveau de fonctionnement, le fait de projeter sur l’avenir quelque chose dont on n’a pas fait l’expérience. Comme dit Hume, on fait confiance tous les matins u soleil pour se lever alors qu’il pourrait un jour ne pas se lever. C’est une confiance dans l’avenir qui est aveugle. Hume dit que c’est la force de l’habitude. C’est ce que Hume appelle l’induction : je projette sur l’avenir avec une confiance relative le fait que tout ce que j’ai connu par le passé va se reproduire. Une marque est une machine inductrice. Le client a confiance dans le fait que le coca que je vais acheter produira la même satisfaction que celui de la semaine derrière. La marque n’est plus ni simple trace, ni simple signature distinctive dans un espace visible qu’est le marché, mais devient machine inductrice pour le consommateur. Elle constitue donc une certaine stabilité, une structure pérenne sur le marché, qui a besoin de cette fonction de stabilité des marques commerciales. La marque est donc le vecteur d’une relation qui n’est plus constituée que par l’acte d’achat mais qui est une relation plus durable.
Dans le deuxième moment, l’aliénabilité était possible. Elle est constituée intégralement lorsque les finalités sont anticipées dans la machine à induction qu’est la marque. C’est là où la relation constitutive avec l’autre se clos. On était déjà dans un deuxième moment dans un rapport à l’autre. L’aliénabilité de la marchandise est constituée intégralement lorsque les finalités de la consommation sont projetées dans la machine à induction qu’est la marque. On n’a plus la relation d’une volonté à un objet mais la relation de deux volontés, du consommateur et du producteur. C’est là que le self-binding s’articule à la performativité.
Troisième moment. Paragraphe 71 de la Philosophie du droit d’Hegel : « cette relation de volonté à volonté est le terrain propre et véritable sur lequel la liberté à une existence… » . La sphère du contrat s’institue dans le rapport entre deux volontés, dans ce qu’Hegel appelle une volonté commune. On retrouve l’intentionnalité collective de Searl, constituée par cette relation de confiance qui fait que la marque n’est pas que la signature émise par le producteur, par l’entreprise mais la confiance massive collectivement constituée par le fait que les consommateurs, collectivement, en masse, projettent leur confiance, investissent de leur confiance une marque qui est le support d’une garantie projetée dans l’avenir. Par rapport à une marque qui est machine d’induction, tant qu’il n’y a pas cette intentionnalité collective qui investit collectivement la marque comme entité sociale support des garanties des produits non expérimentés mis sur le marché, il n’y a pas encore de marque. A partir de là on a clos les trois moments sémiotiques de la trace, de la signature et de la garantie.
Un grand merci à Brigitte Debray pour son Cours de Médiologie Générale, sans doute élaborée lors des longues journées d'ennui dans sa geôle de Camiri.
Rédigé par : Gilles VILAIN | 06 mars 2015 à 13:27