Le mot « page » que l’on utilise communément pour parler des sites et des contenus diffusés sur Internet est une catégorie forgée par un autre média que le net.
On utilise pour parler des « pages Internet » une catégorie qui appartient au livre, au codex, composé de pages qu’on feuillette, qu’on tourne l’une après l’autre. Or le codex est lui même un format historiquement déterminé, qui a succédé au volumen (le « rouleau »), dans lequel on « déroule » un rouleau continu.
Ce à quoi on a affaire avec Internet, ce n’est justement pas une page, mais à la fois
- Un écran, dont le contenu est évolutif, dynamique, et actualisé. Certains sites font effectivement coïncider l’espace de l’écran à l’espace d’une page, c’est-à-dire que l’on peut observer d’un seul coup d’œil, directement sur l’écran, la totalité de ce qui est présent sur le situs du réseau que l’on consulte.
D’autres sites explicitent cet écart entre la page et l’écran, en faisant « dépasser » l’espace de la page de celui de l’écran : il faut actionner le scroller pour faire défiler les contenus, comme dans l’ancien système du volumen avant l’apparition du codex.
- Un rouleau. Lorsque la page n’est pas comprise dans l’espace de l’écran, et qu’il faut faire défiler le scroller pour visualiser le bas de la page, la page Internet se présente plutôt comme un rouleau. L’internaute revient au modèle du « volumen » employé en Grèce antique, qu’il faut dérouler pour pouvoir lire.
Cette distinction essentielle entre l’écran et la page permettra d’observer des tensions qui sont autant de potentialités créatives sur le média entre : - Les sites qui choisissent de faire coïncider l’écran et la page. - Les sites qui jouent des distorsions et d’un hiatus entre la page et l’écran, invitant les internautes à scroller, ou faisant intervenir mais aussi comme on le verra en se servant de l’espace situé « entre » la page et l’écran pour créer des animations. |
Un espace libre
D Médias contrôlés, médias non contrôlés
Le visionnage des vidéos (publicitaires ou non) sur Internet révèle une plus grande liberté dans la création. La création publicitaire y est notamment plus drôle, plus transgressive, avec davantage de connotations sexuelles, avec souvent des effets de « caméra embarquée », de gros plans, du décalé, beaucoup d’humour.
Cette nouveauté s’explique en partie par la nature même du média, qui autorise de plus grande prises de liberté.
Le vocabulaire des médias distingue en effet clairement le mode « on » du mode « off », et fait la différence entre les médias plus ou moins libre, contrôlés et les médias non contrôlés : ils sont deux zones ou deux polarités qui structurent l’univers des médias aujourd’hui.
Mode on
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Mode off |
Médias contrôlés
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Médias non contrôlés, clandestins, souterrains, plus libres |
Création inséparable de l’édition, de la sélection et de la censure |
Création séparable de l’édition, place pour la création brute, sans contrôle |
TV et Grande Presse |
Presse souterraine
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Dans la grande presse et la TV, la création n’est jamais séparable d’un travail d’édition, qui répond à des contraintes, des censures et des contrôles. L’accès que l’on a aux documents sur ces supports est un accès qui a déjà subi tous les contrôles d’une autorité éditoriale, qui a validé certains critères de forme et de contenus.
Sur Internet, l’activité de création de document semble si large, qu’il paraît impossible qu’une autorité ait été capable de valider l’intégralité des documents. Des documents paraissent à « l’état brut », il y a place pour une activité auctoriale sans l’autorité éditoriale.
D Des vidéos plus libres (brutes, transgressives)
Grâce à ce caractère non contrôlé du média, les producteurs de contenu vont affecter d’adopter des modes de la création non contrôlée, plus libre c’est-à-dire
- Non finie, brute, qui semblent le fruit du spontané, du non-préparé, avec des contenus qui auraient dû subir la censure officielle.
- Transgressif, choquant ou alternatifs, qui ne pourraient pas être diffusés sur des support de grande écoute (mais qui peuvent revêtir un côté tout à fait fini et « léché »).
Il en résulte une curiosité particulière pour les contenus diffusés sur Internet, comme un contrepoint ou une « soupape » nécessaire aux médias contrôlés sans relief ni aspérité.
Les spectateurs se mettent en quête de documents plus marginaux, plus authentiques, moins contrôlés, et de surcroît en quantité plus importante.
De nouveaux enjeux se dessinent pour les annonceurs avec cette ambiguïté et ce jeu d’interaction entre les médias contrôlés et non contrôlés :
- Du recyclage de contenus diffusés sur des médias édités vers Internet
- Des tentatives pour faire « remonter » des contenus crées sur Internet (blogs, etc) sur des médias mainstream
- Des jeux de récupération, d’imitation, des vidéos « faussement amateurs », créées par les marques, et des jeux de renvois entre ces deux zones contrôlées et non contrôlées.
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