Nous allons diffuser progressivement une série d'analyses sur l'espace internet et sur la publicité online. Ces travaux ont été réalisés avec Raphaël Lellouche début 2007 et restent totalement inédits. Nous commençons par une première dimension de l'espace internet comme espace sensible qui impose un mode de consultation à la fois optique et haptique.
Avant toutes choses, il faut s’attacher même brièvement à la spécificité du média Internet, indépendamment de toute problématique publicitaire et/ou vidéo. Le média Internet impose un mode très particulier de consultation, par rapport à des supports comme le livre, le film, la musique.
Avec Internet, l’exploration d’un site n’est pas seulement le fait de l’internaute situé en face de l’écran, qui regarde « avec ses yeux », mais aussi le fait d’un représentant de l’internaute sur l’écran (petite flèche, curseur, ou main), dont on peut guider le mouvement à l’aide de la souris.
La navigation passe par la médiation d’un espèce de délégué virtuel de l’internaute, qui est son incarnation sur l’écran, et qui prend la forme d’un curseur, flèche ou main, en fonction des zones sur laquelle il roule (roll over) sur la page.
Le parcours de ce délégué se fait par exploration sensible de la surface de l’écran. L’œil se comporte à la fois comme un regard coordonné mais aussi comme une main qui « tâte, palpe et touche » la surface de la page. Si bien que la première modalité de l’interaction de l’internaute avec une page web n’est pas seulement visuelle et cognitive, mais quasi tactile et haptique (VS optique).
Il faut penser Internet comme un livre écrit en braille, avec des caractères en relief. Contrairement à une page de livre classique, la page Internet n’est pas lisse et uniforme. Elle est dotée de « zones sensibles », elle est pleine d’irrégularités, de reliefs, qui réagissent différemment à l’exploration tactile et peuvent inviter l’internaute à toutes sortes d’interactions.
Internet n’est pas seulement une surface multi-média comprenant diverses catégories sémiotiques (texte, images, mots, icônes, index, animations, films, etc.). Il est surtout une juxtaposition de zones inertes et d’autres actives, où l’on peut cliquer, des zones qui s’animent par roll over, des zones qui sont des espaces de saisie, où l’on doit entrer un login, un mot de passe, etc.
D La page et la peau
Il y a donc une réactivité de certaines zones sensibles sur la page, et le curseur est une métonymie de la main qui ausculte la surface à la recherche de zones sensibles, de zones réactives, métonymie du corps de l’internaute qui palpe et ausculte l’écran en même temps que celui-ci est balayé par l’œil.
Le surf est donc une activité gestuelle, qui procède par sensation, au moins autant qu’une activité visuelle.
Cette exploration tactile met en scène une double spatialisation d’Internet :
(i) Un balayage de la surface de l’écran, qui invite à toucher ses aspérités et zones sensibles. Il n’y a pas seulement une « lecture à distance », mais l’exploration sensible d’une « peau » que l’on va palper, toucher, explorer comme des zones érogènes, réactives.
Cette dimension « épidermique » de la page ouvre des possibilités pour la publicité vidéo, dont on peut activer le son ou déployer une interaction, par roll over sur la page.
(ii) Une entrée dans le réseau car les aspérités de la page sont souvent des ombilics, ou des terminaisons nerveuses d’un espace plus grand, qui donne accès à la profondeur feuilletée d’un espace.
Des publicités vidéos peuvent inviter l’internaute à cliquer et à se servir des aspérités disposées sur la page pour ouvrir de nouveaux espaces.
J’ai d’abord affaire à une surface, une page, qui ensuite me renvoie à la profondeur d’une « maison » avec ses pièces, des recoins, des lieux qui peuvent être labyrinthiques, circulaires, aléatoires, avec une topographie de différents parcours possibles.
Internet fait éclater les modes traditionnels de lecture. On sort du paradigme à la fois optique et linéaire de la lecture, on quitte le modèle de la lecture visuelle à distance pour adopter le modèle d’une exploration quasi tactile des aspérités de la page. |
D Les invitations de la page : la conscience d’une présence
La construction des pages Internet s’appuie ouvertement sur la nature sensible de l’espace, en multipliant les sollicitations et les invitations envers l’internaute :
- « Alice a une surprise pour toi »,
- « Place ta souris ici »…
- « passe ta souris… »
Dans la publicité classique online, les bandeaux clignotants (gif, flash) avaient pour seul but d’attirer l’attention. Mais en eux-mêmes, ils restaient inertes, et ne proposaient aucune interaction, sinon très limitée.
Les espaces publicitaires (et autres) étaient simplement des espaces disponibles, en attente passive que l’on aille y chercher des contenus, et qui se faisaient remarquer par des clignotements. Ils clignotaient « dans le vide », qu’il y ait ou non quelqu’un pour les regarder, comme le font les enseignes de pharmacie dans la rue, sans continuer.
- Une page de magazine ou un spot TV se présente de façon anonyme, et n’est pas « consciente » de la présence ou non de quelqu’un en face d’elle.
- Une page Internet qui s’adresse à moi a conscience de ma présence. Avec les nouveaux formats publicitaires, cette dimension sensible et interactive d’Internet est même clairement assumée et reconnue : on met en valeur le fait que si l’on clique quelque part il va se passer quelque chose.
Tout se passe finalement comme si les objets sur Internet avaient conscience d’une présence en face d’eux.
Ces formats rappellent la façon dont les objets s’adressent à ceux qui les regardent, dans le roman Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll : les choses parlent à Alice, et la navigation du personnage se fait suivant les invitations lancées par les choses. Le flacon dit à Alice « bois-moi », et Alice le bois.
Une publicité pour le portail Alice (justement) nous prend en considération en tant qu’internaute, et s’adresse directement à nous en toquant sur la vitre. La publicité apparaît sans que nous l’ayons sollicitée (on verra plus loin la question de l’intrusion), ce qui révèle, d’une certaine manière, une « conscience » de la page de l’internaute qui est posé en face d’elle.
Dans le même ordre d’idée, sur certains formats, les personnages toquent sur la vitre de l’écran, et paraissent s’impatienter si leur sollicitation reste sans réponse, comme si ils avaient conscience des faits et gestes de l’internaute.
Du coup, cette invitation n’a plus de caractère intrusif car elle revêt la forme d’une proposition ou d’une invitation quasi humaine.
Ce caractère sensible ou hyper-réactif de l’espace numérique apparaît comme une caractéristique fondamentale de l’esapce numérique, au fondement de l’interactivité, et qui lui pré-existe. |
L'internaute construit sa lecture (et son éciture) en réponse aux diverses options et fenêtres qui lui sont proposées. Il est en quelque sorte " en réaction " face aux signes qui se présentent à lui. Le caratère instantané et immédiat des réponses qui lui sont offertes ne favorisent t'elle pas une forme " d'impulsivité " dans cette navigation ? L'analyse de la dimension haptique et physique de la oonsultation internet me semble tout à fait passionante à l'heure d'étudier internet comme un espace de déchainement des passions (commentaires haineux, fanatiques, achats d'impulsion etc ).
Rédigé par : Evangelina Houri | 03 mars 2012 à 09:26