La rhétorique des bandes-annonces françaises et américaines diverge : en France, elles fonctionnent sur un principe d'extraits et de citations, aux Etats-Unis, sur un principe de mise en scène et de démonstration commerciale.
Nous aborderons notamment les points suivants :
- Le "dire" français Vs le "montrer" américain
- Les méthodes américaines pour ne pas dévoiler l’histoire par la bande-annonce.
- L’implication du spectateur dans les bandes annonces américaines
– La rhétorique de la bande-annonce américaine affirme sans ambiguïté son statut promotionnel.
Il est possible d'établir une typologie des bandes-annonces fondée sur le style ou la nature du discours qu'elles produisent.
La différence s'établit entre la logique du discours et celle de la narration : entre le "dire" et le "montrer".
Les bandes-annonces américaines s'appuient sur des éléments du film pour construire un autre discours. Elles introduisent un narrateur extérieur et supérieur qui vient dès le début superviser le récit et présenter l'histoire.
A l'inverse, les bandes-annonces françaises plongent directement dans le film en commençant par une scène qui en est extraite. Il n'y a pas d'exposé d'un point de vue extérieur, mais le film est son propre narrateur.
C'est une opposition qui existe aussi en littérature, entre les techniques littéraires américaines et le modèle français de Flaubert, qui commence ses récits directement à l'intérieur de l'histoire (in medias res).
Le "dire" américain
Les bandes-annonces américaines fonctionnent plutôt sur la logique du "dire" avec la voix off qui a une fonction de présentation des extraits montés pour illustrer une démonstration.
Le spectateur est interpellé par la voix off qui s'adresse à lui pour lui raconter le film : les séquences d'images de la bande-annonce ne sont que le matériau qui illustre ce que dit la voix off. L'énonciateur est extérieur au film lui-même, mais l'objet du discours est bien le film. Le spectateur n'assiste pas seulement à l'histoire qui lui est présentée, mais il est l'interlocuteur de l'énonciateur voix off, qui lui raconte le film.
Le discours de la voix off présente différentes caractéristiques :
• C'est un discours démonstratif, qui brosse rapidement le portrait des personnages (leur caractère, leur relations réciproques, leurs problèmes), comme si c'était un spectateur qui racontait le film à quelqu'un qui arrive sur un mode démonstratif : "This is the boss", "It's about family", … Ce n'est pas un récit dans le sens où la voix off serait autonome et simplement illustrée par les images : c'est une voix off ostensive, qui présente et qui montre les images, qui sont indexées sur ses mouvements.
• C'est un discours laudatif, avec des enflures et des variations dans la voix. Cela ressemble au discours de quelqu'un qui raconte un film qui l'a enthousiasmé. Il y a de l'affectivité dans la manière dont la voix prend en charge le récit.
Le "montrer" français
Inversement, les bandes-annonces françaises fonctionnent plutôt sur la logique du montrer. L'énonciateur est le film lui-même qui se raconte en condensé dans un montage de séquences : il est son propre énonciateur et son propre objet. Les extraits qui constituent un résumé du film font que les spectateur se situe dans la narration. Les spectateurs ne sont pas des interlocuteurs d'un énonciateur extérieur, mais sont directement plongés dans le film et sa narration. On est immédiatement in medias res, au cœur du film, sans l'intervention d'une instance supérieure de présentation.
La logique plutôt française de la narration a plusieurs variations possibles :
- Le montage de scènes d'ambiance et de dialogues, qui donnent un aperçu du film.
- Le montage de séquences dialoguées extraites du film, qui construisent une énigme (Le derrière).
- La bande-annonce articulée par un monologue issu d'un dialogue du film, qui fait office d'organisation explicative.
• La bande-annonce de La veuve de Saint-Pierre est typique du style narratif. Il n'y a pas de voix off, mais une musique qui unifie les scènes et les dialogues extraits du film. Le montage est construit avec un effet de narration comme un mini-film. C'est un résumé du film avec ses propres images : une miniature du film en comprimé.
• La bande-annonce de La maladie de Sachs commence par un monologue monté sur différentes séquences d'image, jusqu'au moment où on voit enfin la personne qui parle. C'est comme s'il on avait extrait du film un dialogue avec une étendue particulière pour l'utiliser comme support narratif à un assemblage d'images correspondant à d'autres moments du film. La voix du monologue vaut comme résumé du film et unifie le montage de scènes piochées ça et là dans le déroulement.
Affectif Vs cognitif
On peut également différencier les bandes-annonces selon un axe affectif Vs cognitif, suivant que la bande-annonce donne plutôt un aperçu de l'ambiance ou du schéma narratif.
En effet on distingue deux dimensions dans les bandes-annonces :
• Une dimension cognitive, qui vise à mobiliser la curiosité autour d'un sujet, d'un contenu ou d'une intrigue. C'est la dimension du sens, qui peut aussi bien être l'ébauche de l'intrigue qui va se développer que la signification morale du film (Cf. La ligne rouge).
• Une dimension affective, qui vise à construire une tonalité phorique (euphorie ou disphorie créée par le rythme, le tempo, la tension, le ton, …) permettant au spectateur de préfigurer de l'état de réception dans lequel il se trouvera face au film.
Cette distinction n'est pas structurante en termes de nationalité, ni réellement en termes de genres : les bandes-annonces se situent sur l'un ou l'autre de ces registres, suivant que l'accent est mis sur l'ambiance ou sur l'intrigue. Toutefois, ces deux registres distincts se rejoignent souvent dans les bandes-annonces, qui donnent un double aperçu affectif et cognitif pour susciter l'intérêt sur le double mode sensoriel et intellectuel.
Exemple :
• La bande-annonce de Very bad things fait le choix de donner la tonalité et le tempo du film, plutôt que l'intrigue. Le jeu de répliques rapides en flux tendu correspond plutôt à une promesse de sensation que de contenu thématique. Cette construction particulière est plus proche de la rhétorique publicitaire qui montre l'effet d'un produit sur le consommateur plutôt que le produit lui-même ou ses propriétés. On sépare l'affectif du cognitif pour préfigurer de l'état de réception dans lequel on sera devant le film.
Raconter sans tout dévoiler
Pour promouvoir un film, il est utile de donner des échantillons de situations et non uniquement des éléments concernant la tonalité du film. Il importe de laisser une part d'équivoque ou de suspens. En effet, c'est le blanc à remplir (ce que la bande-annonce ne dit pas) qui donne envie d'aller voir le film.
La part d'ambiguïté ou d'interrogation laissée par la bande-annonce peut porter :
• Soit sur l'issue de l'histoire, la manière dont elle va se terminer.
• Soit sur le modus operandi, la manière dont l'histoire va se dérouler pour aboutir à la fin que l'on sait.
Exemple :
• La bande-annonce de Le derrière construit une énigme qu'elle résout, mais sans donner le mode opératoire selon lequel le film débouche sur l'issue dévoilée. Il y a à la fois création d'un nœud d'intrigue (une fille se déguise en homme pour se faire reconnaître par son père homosexuel), et révélation de l'issue (avec la dernière image qui est la fille nue de dos). Mais entre ces deux moments charnières, on ne sait pas comment cela va se passer. La bande-annonce est donc sensée susciter l'intérêt du spectateur qui doit aller voir le film pour répondre à la question : "comment va-t-elle faire pour se faire reconnaître ?".
• La bande-annonce de Meilleur espoir féminin construit une intrigue claire, notamment grâce aux écrans de texte qui s'intercalent entre les images pour situer les personnages et les éléments du problème. On comprend la vocation de la fille qui veut faire du cinéma et son conflit avec son père pour arriver à son but et on devine qu'elle y parviendra et qu'elle se réconciliera avec son père. Tous les personnages sont mis en place clairement (avec des rôles classiques autour de l'opposition parents/enfants ou artiste/bourgeois), on comprend toute l'histoire (contrairement à La bûche) : tout est transparent, sauf la manière dont la fille va parvenir à ses fins. Puisque le résultat et connu ou au moins prévisible, le moteur de l'intérêt pour le film est le "comment".
Si après avoir vu le film on a l'impression que la bande-annonce avait tout montré, il peut y avoir un effet de déception rétroactif. Mais tant qu'on se situe en amont du film, on peut être curieux de connaître son déroulement, même si la fin est connue ou évidente.
La manière de faire américaine pour donner des indications sur le film n'est pas de donner un résumé avec la trame de l'intrigue et le problème à résoudre :
• De nombreuses bandes-annonces américaines posent un schème générique que tout le monde est capable d'identifier, avec un type de personnage et d'aventure reconnus. La voix off présente le début de l'histoire et le schème identifiable ainsi que les stars (à la fin).
Exemple :
• La bande-annonce de Mary à tout prix n'est pas structurée comme un résumé du film. C'est la voix off qui installe le thème et expose le schéma stéréotypé de la comédie américaine. On sait qu'il s'agira des tentatives plus ou moins maladroites d'un américain ordinaire pour draguer la fille super canon qu'il aime depuis le collège. Tout le reste n'est pas narratif et n'a pas d'importance : ce sont des sketches et des gags autour de la maladresse. La bande-annonce américaine installe une mémoire filmique et un type de comédie bien connue avec des personnages et des rôles stéréotypés comme la Comedia del Arte. C'est un schéma que l'on reconnaît, avec le type de personnages, quelques scènes cocasses et des gags : on sait de quoi il s'agit et on en sait suffisamment. Le ton chaleureux de la voix-off qui présente le film et les personnages donne l'impression d'une proximité qui est plus vocale que filmique.
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• La bande-annonce d'American Psycho commence par le monologue de quelqu'un qui représente la norme (vestimentaire, corporelle, professionnelle, …). La bande-annonce construit d'abord l'image idéal d'un golden boy, chic et séduisant, qui a réussi sur tous les plans, pour ensuite révéler progressivement qu'il s'agit d'un psychopathe. On voit alors quelques scènes typiques suggestives des codes de l'horreur (image bleue, masque qui tombe, taches de sang, …) qui rentrent en contradiction avec la perfection du personnage construite au départ. C'est une manière de coder le genre plutôt que de raconter véritablement l'histoire ou de dévoiler le contenu effectif. La voix off traditionnelle des bandes-annonces américaines prend ici la forme d'un monologue du personnage qui se décrit et se raconte lui-même. C'est visiblement un effet rhétorique recherché dans la mesure où le roman duquel le film est tiré n'est pas un récit à la première personne.
Remarque : de la même manière que les bandes-annonces françaises démarrent souvent avec le son sur un écran sans image, ici, le monologue commence dans le noir. Ce décalage permet de préparer le spectateur à rentrer dans le film et remplit la fonction que la voix off de présentation prend en charge traditionnellement.
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• Les bandes-annonces commencent parfois par l'exposé de toute une série de données préalables comme pour mettre le spectateur au courant de la situation. Le principe est d'expliquer le sens et l'enjeu de l'histoire avant qu'elle ne commence. Mais ce qui caractérise la manière américaine de dresser un tableau de la situation est le mode de désignation utilisé : il ne s'agit pas d'une narration, mais d'un bombardement d'informations par du texte ou des messages sur fond noir.
• Au tout début de la bande-annonce de Il faut sauver le soldat Ryan, il y a un brouhaha d'informations qui arrive sur l'écran, avec des textes et des télégrammes.
• Dans Matrix, la situation est décrite par le défilement d'information sur un écran d'ordinateur.
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Remarque sur la rhétorique publicitaire
La bande-annonce américaine apparaît plus proche de la structure publicitaire ancienne de la réclame, avec la voix off (énonciateur extérieur, présentateur) qui fait l'éloge du produit.
La bande-annonce française apparaît par certains côtés plus proche de la publicité contemporaine qui consiste à créer une atmosphère autour du produit plutôt qu'à vanter ses mérites par une énonciation extérieure.
La prise en charge physiologique
La saturation sonore de la bande-annonce
Les bandes-annonces américaines font une plus grande utilisation du son que les bandes-annonces françaises.
Il peut en effet, y avoir jusqu'à quatre sources sonores différentes :
- La voix off,
- Les dialogues des extraits présentés,
- Les bruitages du film (coups de feu),
- Une musique qui se sur-ajoute à l'ensemble pour rythmer la bande-annonce.
Ce procédé correspond à une prise au sérieux de l'implication physiologique du spectateur dans le film. Il s'agit de jouer sur tous les aspects physiologiques et d'utiliser les sens au maximum pour que le spectateur soit captivé. Le spectateur est ainsi impliqué physiquement dans l'histoire, et non pas simplement imaginairement ou mentalement.
L'animation des titres
Les bandes-annonces américaines ont plus souvent recours que les bandes-annonces françaises à des animations des titres des films ou des noms des acteurs.
Il existe deux manières de faire :
• Les mots ou inscriptions qui viennent du devant de l'écran et s'impriment comme dans un effet de cachet.
• Les mots, inscriptions ou images qui surgissent du fond de l'écran et grandissent en créant un effet de profondeur.
Ces procédés ne sont pas liés à la logique interne de la bande-annonce en tant que bande-annonce, mais à la logique globale de l'écriture sur écran. Cela correspond à un problème d'accommodation de l'œil que l'on fait passer d'un mode visible (image) à un mode lisible (texte).
Le principe d'accommodation du regard à la distance est du même ordre que le règlement de la focale de la rétine lorsqu'on est myope ou presbyte. Il détermine les conditions de la lecture. Tant que les lettres ne sont pas stabilisées, le spectateur les regarde s'approcher sans pouvoir les lire. Il réalise un effort oculaire pour identifier ce qu'il voit, mais la lecture n'est possible que lorsque les lettres sont fixées. Le fait que le texte avance fixe le regard du spectateur et accroche son attention. On joue sur la profondeur de champ, la proximité et la distance pour rendre le texte lisible (comme une image).
Quand on a recours à ce principe, c'est comme si on créait volontairement du mouvement pour fixer son regard et son attention jusqu'à ce que les lettres soient stabilisées et qu'il puisse les lire.
Le cinéma américain est entièrement visuel. Il prend en compte l'effet optique fascinatoire de l'image en effectuant un travail de pragmatisation du texte et de l'image : il s'agit de tout intégrer dans la dimension iconique, visuelle ou structurelle de ce que voit le spectateur. D'où le jeu d'animation des textes comme des images : en représentant l'apparition de l'image (par le mouvement) en même temps que son contenu, le cinéma américain prend en compte le travail du regard du spectateur.
Le jeu sur la profondeur de champ
Les bandes-annonces américaines jouent également sur la profondeur de champ pour obtenir un effet d'implication du spectateur (Cf. l'effet produit par l'image archétypique du cinéma de L'arrivée du train en gare de Sète : en voyant cette image, les premiers spectateurs se sont enfuis, croyant que la locomotive allait leur arriver dessus.)
Dans certains cas, l'effet de profondeur est dépassé par la création d'une dimension nouvelle : on joue sur l'effet de rapprochement ou d'éloignement de quelque chose par rapport au spectateur pour l'englober dans l'espace diégétique (l'espace de l'histoire du film) par un effet d'implication psychologique. Ce principe est souvent utilisé dans les films de science fiction où il y a toujours une scène de danger qui vient du fond de l'écran et qui se rapproche du spectateur :
• Le logo de Godzilla avance vers le spectateur. Il y a un effet d'irruption et de rapprochement (abolition de la distance et de la profondeur) qui donne l'impression que le monstre va sortir de l'écran et poursuivre les spectateurs pour les dévorer. Ce phénomène donne au spectateur l'impression de partager le même espace que ce qui s'avance vers lui et provoque une réaction de peur.aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa
On peut obtenir le même effet avec une image fixe par un principe de crevaison de l'écran. C'est un effet d'irruption qui provoque le même genre de réaction que le principe d'avancée de quelque chose vers le spectateur : on a l'impression que la chose va sortir de l'écran de cinéma pour rentrer dans le même espace que les spectateur (abolition de la distance spectatorielle). C'est sur ce principe qu'est fondé l'effet de terreur. Quand un fou furieux casse une porte à coups de hache ou qu'il passe la main à travers la fenêtre pour attraper le spectateur, il y a un effet de viol ou d'effraction provoqué par la rupture de la pellicule qui sépare l'espace réel de l'espace de la fiction.
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