Les 35 heures proposent un nouveau visage du temps, et une nouvelle manière de le percevoir. Cette étude tâche d’éclaircir les données d’une nouvelle division des temps, et la manière dont ils s’articulent désormais.
La réduction du temps de travail ne modifie pas seulement le rapport au temps, elle implique aussi une représentation du travail, et ne touche pas également les salariés en fonction de leurs activités. Les 35 heures ont des implications différentes sur le travail des cadres et sur celui des employés.
Nouveau rapport au temps, au travail, la nouvelle organisation du temps implique aussi une nouvelle manière de consommer. Les flux de consommation sont lissés, les achats sont répartis différemment dans le calendrier de la semaine.
Les 35 heures ne rendent pas les gens plus riches, la consommation des ménages n’est pas forcément plus forte. le temps libéré entraîne cependant une nouvelle répartition des achats, des postes de dépenses. Il peut susciter une nouvelle manière de consommer.
Le dernier volet de cette étude s’attache à relever les implications des 35 heures sur la consommation des médias, et sur la nouvelle perception dont ils font l’objet.
NB : cette note a été écrite en juillet 2000
Rappel de la méthodologie
• Analyse et synthèse d’une série d’articles et d’enquêtes sur les implications des 35 heures
• Analyse et synthèse d’une série d’articles et sondages sur les implications des 35 heures, parus dans la presse et disponibles sur Internet :
Plan.gouv.fr
Lemonde.fr
Libération.fr
Humanité.presse.fr
Sofres.com
Cadremploi.fr
CFDT.fr
CFDT-iledefrance.fr
Jobpilot.fr
Hotel-guest.com
Village.tm.fr
• Analyse et synthèse d’un colloque de l’OdC (Observatoire des Cadres) du 26 octobre 2001 intitulé " Le temps de travail des cadres, Recherches et Pratiques "
• Réflexion stratégique sur les conséquences des 35 heures sur la représentation du temps et le rapport aux médias
I/ L’IMPACT DES 35 HEURES SUR LA PERCEPTION DES TEMPS
1. La division des temps
Un temps pour chaque chose : une évolution historique
>> Répartition traditionnelle
La répartition traditionnelle des temps dans la première moitié du XXème siècle peut être schématiquement décrite comme suit :
• D’un côté il y a le temps de travail
• De l’autre le temps de repos
Lorsque l’ouvrier ne travaille pas, il se repose pour récupérer de son travail. Lorsqu’il est reposé au terme du temps de non travail, il reprend son travail, jusqu’à épuisement.
Dans la théorie du travail développée par Karl Marx, le capitaliste laisse à l’ouvrier juste ce qu’il faut de travail pour qu’il reconstitue ses forces. Les ouvriers disposaient du minimum vital pour la reproduction de leur force de travail. Le temps de non-travail est entièrement occupé par le repos, la récupération des forces.
>> Les mouvements de 1968
Lors des revendications de 1968, les ouvriers se plaignaient d’être écrasés de travail, et militent pour une autre répartition des temps. Le temps de non-travail ne doit pas seulement être un temps de repos, il doit être aussi un temps de loisir.
On assiste alors à une nouvelle répartition des temps, non plus simplement binaire, mais plus complexe entre
• Le temps de travail
• Le temps de repos
• Le temps de loisirs
Une distinction apparaît au sein même du temps de non-travail. Auparavant entièrement consacré au repos, le temps de non-travail accueille désormais du temps de loisir, où l’on se consacre à d’autres activités.
Le temps passé en dehors du travail, n’est plus considéré comme un repos du travail. Un autre temps, indépendant du travail, apparaît. Le temps travaillé ne détermine plus aussi fortement le calendrier, il y a une vie en dehors du couple traditionnel travail/repos du travail.
Le loisir peut donner accès à davantage de liberté, de plénitude. Il devient possible de se cultiver, de sortir, d’avoir une meilleure qualité de vie.
Reste à savoir si les loisirs donnent véritablement les moyens d’une plus grande plénitude. Ils sont aussi « programmés » que le travail. L’accès de chacun à la télévision et à la société des loisirs n’apporte pas un gain qualitatif évident, en terme d’ouverture d’esprit et de liberté gagnée.
Ce qui est certain, c’est qu’il existe désormais un temps tout spécialement consacré au loisir : les gens s’organisent en conséquence pour faire du sport ou aller au cinéma dans un créneau réservé pour cela.
>> Le passage aux 35 heures
Les 35 heures sont l’occasion d’un pas supplémentaire dans cette démarche qui vise à accorder à chaque activité un temps spécifique. Le temps de non-travail a pu être réparti en deux temps :
1. temps de repos
2. temps de loisir.
Ces deux catégories ne suffisent pas pour décrire ce qui se passe dans le temps passé hors du travail.
Il existe un autre type d’activité. « Faire les corvées », « régler les paperasses administratives ». Tout cela qui est effectué en dehors du temps de travail, mais ce n’est pourtant pas du loisir, et encore moins du repos.
Ces activités de transaction sociale définissent un ensemble de rituels sociaux à accomplir en dehors des heures de travail, elles sont les liens d’un individu avec la société :
• aller à la banque,
• s’occuper des questions administratives (sécurité sociale, assurance, inscriptions diverses, etc.).
• un rendez-vous chez le dentiste,
A ces activités de « transaction sociale » s’ajoutent les « corvées » : aller faire les courses, faire les tâches ménagères, etc. Pour réaliser ces corvées, il faut empiéter sur son temps de loisir ou de repos. Elles empêchent le temps de loisir d’être distrayant, le temps de repos d’être reposant.
Jusqu’à présent aucun temps spécifique n’était alloué pour ce type d’activité. Les « coûts de transaction sociale » étaient comptés comme nuls. Faire la queue dans une administration était jusqu’ici considéré comme un « loisir », ou comme une activité à effectuer son temps de loisir.
Les 35 heures sont une reconnaissance d’un nouveau temps qui n’est ni du loisir ni du repos dans le temps passé en dehors du travail. Une nouvelle répartition des temps est rendue possible entre :
• Le temps de travail
• Le temps de repos
• Le temps de loisir
• Le temps de transaction sociale
Chaque fois une étape supplémentaire est franchie dans la « définition des temps » : chaque activité peut s’accomplir dans un temps propre et réservé.
Les 35 heures s’inscrivent dans une logique historique qui dégage et définit un temps pour chaque chose, pour chaque activité. Le temps est quantifié de manière à laisser « un temps pour chaque chose ».
Réciproquement, chaque temps est tout entier consacré à une activité bien précise : le temps de travail est par exemple entièrement consacré au travail. Les autres activités, qui ne sont pas du travail mais qui pouvaient être effectuées sur le lieu de travail sont expulsées vers d’autres temps qui leur sont plus spécifiquement alloués. La nouvelle répartition des temps peut être schématisée comme suit : Temps de travail Temps de « non-travail » « Pur travail » Transaction sociale Loisir Repos
∆ Le temps de « transaction sociale » et les « corvées » Les activités considérées comme des « corvées » étaient avant les 35 heures effectuées soit le soir, soit en début du week-end, le samedi matin par exemple. Les gens ont pris l’habitude les corvées dans les interstices du calendrier. Ne pas allouer de temps spécifique pour ces corvées, ces transactions sociales, c’est supposer hypocritement que lorsque l’individu les accomplit, il se repose ou se détend, puisqu’il ne travaille pas.
En réalité, il est obligé de grignoter sur les temps consacrés aux autres activités. Compter pour nuls ces coûts de transaction sociale favorise le stress.
Si le travail occupe la semaine du lundi matin au vendredi soir, que le Week–end est consacré au repos ou aux loisirs (et que les lieux de transactions sociales, administrations, etc. sont fermés), alors il faut sans cesse « courir » pour régler les corvées le soir après le travail ou à la pause déjeuner.
Remarque : on peut comprendre ces temps de transaction sociale en référence à la théorie économique des « coûts de transaction » qui identifie l’ensemble des activités de transaction économique, parfois comptées comme nulles mais qui pèsent sur le bilan et la rentabilité.
Par exemple, le coût d’un contrat n’est pas l’ensemble des coûts nécessaires pour le réaliser, mais encore de ceux engagés pour l’obtenir : coups de téléphone, déplacement etc., et que l’on aurait tort de compter pour nuls.
Les 35 heures se jouent aussi là-dessus : il n’est pas possible de répartir arbitrairement le temps en temps de travail / temps de loisir. Pour que le repos soit réellement reposant et le travail réellement efficace, les 35 heures contribuent à évacuer tout ce qui leur est étranger, et en premier lieu ces corvées, pour qu’elles puissent être effectuées plus sereinement.
Les 35 heures sont alors susceptibles de deux types de légitimation :
• Du fait de la réduction quantitative du temps de travail. La place du travail est relativisée par rapport aux autres activités de la vie quotidienne
• Par la reconnaissance d’un espace intercalaire entre le temps de travail et le temps de loisir, pendant lequel il faut faire les corvées.
Les 35 heures ou la société des loisirs ?
La nouvelle organisation du temps profite avant tout à ces activités de « transaction sociale » ou aux « corvées ». Avec la RTT, ce qui est libéré n’est moins du temps pour les loisirs que du temps pour accomplir les corvées.
Selon une enquête réalisée par la Sofres, pour 50 % des salariés concernés, le temps libéré est d’abord consacré aux « tâches quotidiennes » (Source : enquête réalisée pour le ministère de l’emploi, 13 juin 2000).
Le passage aux 35 heures n’annonce pas la « société des loisirs ». Et pour cause, le temps libre est élargi, mais les gens ne sont pas plus riches pour autant. La conversion du temps gagné en loisirs bute sur de solides obstacles financiers.
Par exemple, les départs en « séjours courts » ou Week-end prolongés sont réservés aux salariés qui en ont les moyens financiers, et avant tout aux cadres :
• Les départs en séjours courts n’ont concerné que 28 % des salariés passés aux 35 heures.
• La moitié des cadres ont profité des 35 heures pour s’échapper, mais seulement 13 % des ouvriers et employés ont pu s’offrir ce luxe (Source : Le Monde du 14 Mai 2001)
Le temps libéré est destiné aux corvées, puis au repos, à la famille, puis aux loisirs. Si la consommation des loisirs évolue, c’est dans un deuxième temps, par contre-coup.
Pour Jean Viard, sociologue, une conséquence fondamentale des 35 heures est de rendre le week-end à ses fonctions propres, de détente et de vie de famille. (Source : rapport au ministère de l’emploi, 14 décembre 2001).
C’est parce qu’avec les 35 heures le temps de loisir est « un vrai temps de loisir » que les modes de consommation peuvent évoluer. Le poste « loisir » peut désormais occuper une place plus importante dans le budget des ménages, en valeur relative, mais ce n’est pas le premier effet du temps libéré.
∆ Les temps perçus isolément les uns des autres
• Les 35 heures renforcent le processus de répartition systématique des temps de la semaine. Il est possible, aujourd’hui plus que jamais, de consacrer un temps pour chaque chose.
• Ce n’est pas tout : le processus conduit également à isoler les temps, à les penser chacun pour soi et non plus en relation avec les autres. Le temps du travail, autrefois élément central de l’organisation temporelle, est tend à devenir un temps comme un autre.
Le temps est toujours largement connecté au temps de travail, mais de manière mois forte que par le passé. Le non-travail était compris comme « repos du travail », c’est-à-dire qu’il était perçu non pas en soi, mais relativement au temps de travail. Lorsqu’on dit « non-travail », c’est toujours le travail qui sert de référence.
Désormais le non-travail n’est plus vécu comme un repos, mais comme une autre activité, non rémunérée, et même plutôt une activité de dépense des revenus. Il ne s’agit plus de « récupérer pour être opérationnel », mais bien de faire du sport, voyager, lire, etc.
Les vacances étaient d’abord comprises comme une « absence du lieu de travail ». On disait par exemple d’un poste qu’il était vacant : la vacance était forcément « vacance du travail ». Aujourd’hui l’expression n’a presque plus de sens. Le mot « vacances » n’est plus compris comme « vacance de… », il a pris son indépendance, il est tout à fait autonome vis-à-vis du travail.
Les vacances ne sont pas pensées par rapport au travail, en négatif du travail. Elles ont désormais un contenu positif, qui se définit comme une autre activité à part entière. Dans la semaine, le travaille se livre à un certain type d’activité, le Week-end il en pratique d’autre. Ces activités tendent à se placer sur le même plan.
⇒ Les 35 heures renforcent cette perception des temps indépendants les uns des autres. Si le travail occupe encore quantitativement une large partie de la semaine, il n’est plus l’unique « centre de la perception » du temps.
∆ Les temps organisés indépendamment les uns des autres
Puisque les temps sont « pensés » ou « perçus » de manière indépendante, ils « se vivent » et « s’organisent » aussi de manière plus indépendante.
Lorsque le temps de loisir est pensé par rapport au travail, il s’adapte au rythme professionnel. C’est le travail qui répartit le temps, et qui dit l’heure où l’on pourra se reposer. S’il faut travailler vendredi soir, samedi matin pour rattraper ce qui n’a pu être fait, c’est le travail qui prime et le temps de loisir qui s’adapte.
Dans la façon dont les temps s’organisent avec les 35 heures, une activité ne doit pas s’étendre sur une temps qui n’est pas le sien propre. Le temps de loisir devient plus « intouchable ». Pour le salarié, si le travail n’a pu être effectué dans le temps de travail, il reprendra dans un autre temps de travail.
Le temps de loisir n’a pas à s’adapter aux exigences du travail. Il faut faire en sorte que le travail se fasse dans le temps qui lui est imparti. Le loisir et le repos sont des activités à part entières, pour lesquelles on consacre les vacances, les Week-end. Les temps doivent être cloisonnés, indépendants, respectés.
⇒ Les Week-end de voyages courts s’organisent, non seulement parce les temps de loisirs sont plus longs, mais aussi parce le travail n’est plus le seul point de repère dans l’organisation du temps. Le Week-end n’est plus une « annexe » ou quelque chose qui viendrait se loger en fin de semaine « après le travail ». Il peut devenir le point central de la perception du temps, et c’est le travail qui vient se « greffer » dessus.
Selon le rapport Jean Viard, « l’apport fondamental des 35 heures est de rendre les gens davantage maîtres de l’organisation et des usages de leur temps de non-travail ». Ce n’est plus (ou plus seulement) le travail qui est le « maître du temps », mais l’individu, qui l’organise comme bon lui semble.
Nous traçons là les grandes lignes d’une logique engagée par les 35 heures, en forçant le trait pour bien rendre compte d’une évolution. Mais les rythmes de la vie sont encore aujourd’hui largement déterminés par le temps de travail.
∆ Division des temps, désynchronisation des temps
Cette nouvelle perception des temps, plus indépendants les uns des autres, a des impacts sur les rythmes de vie de chacun. Les effets de la réduction du temps de travail sont en effet de deux ordres :
D’une part une nouvelle division et répartition des temps pour le loisir, le repos, les corvées et le travail, selon la logique historique identifiée plus haut.
D’autre part une désynchronisation des temps individuels et collectifs : personne ne fait plus la même chose au même moment.
Lorsque la semaine de travail est de 70 heures, avec des journées de 12 heures, tout le monde est parfaitement synchronisé. Tout le monde travaille du lundi au samedi, tout le monde se repose le dimanche pour attaquer une nouvelle semaine.
Les 35 heures ne réduisent pas seulement le temps de travail. Au sein d’une même famille, les conjoints peuvent plus que jamais avoir des rythmes différents. L’un ne travaille pas le vendredi après-midi, l’autre a choisi le mercredi.
Cette désynchronisation des temps peut toucher les rythmes individuels et collectifs. S’il est possible de faire les « corvées » en semaine, encore faut-il que les administrations soient ouvertes dans les périodes de temps libéré.
Si la journée se termine plus tôt, mais que les services publics et/ou collectifs restent fermés, le gain est nul. Les activités de « transaction sociale » continuent d’empiéter sur le samedi matin, sur le temps de repos ou de loisir.
La réduction du temps de travail ne touche pas seulement la répartition des temps individuels, elle concerne également la synchronisation des rythmes individuels et collectifs.
Le Week-end ne peut être vraiment consacré au repos, à la famille, aux loisirs, si les corvées ne peuvent être réellement accomplies pendant la semaine. Le plein effet des 35 heures implique aussi l’harmonisation des temps libérés.
2/ L’intensification du travail dans le temps de travail
∆ Réduction du temps, mais pas du travail
La charge de travail ne diminue pas avec les 35 heures. C’est le temps passé sur le lieu de travail qui est désormais moins long. Le travail occupe une part de plus en plus faible dans la vie de chacun, mais dans le temps qui lui est consacré, il s’intensifie en conséquence.
Avec les 35 heures, du temps auparavant consacré pour l’entreprise est libéré au dehors. Le gain quantitatif de « temps libre » correspond à une intensification qualitative, qui peut entraîner une dégradation des conditions et de l’atmosphère de travail (plus de précipitation, plus de stress)
Dans une étude réalisée par le ministère de l’emploi et publiée le 14 mai 2001, près du tiers des salariés se disent plus stressés dans leur travail. Ce sont les femmes, en particulier non qualifiées qui sont le plus touchées. L’enquête souligne des conditions de travail un peu dégradées, et les « journées 35 heures » font office de « respiration » entre des plages de travail dans l’ensemble plus éprouvantes.
La qualité de vie s’accroît en dehors du lieu de travail (surtout parmi les femmes cadres, qui apprécient désormais de pouvoir retirer leurs enfants de l’école, et concilient plus facilement vie active et vie de famille), mais l’atmosphère de travail peut être rendue plus difficile dans le temps de travail.
Cette amélioration de la qualité de vie, largement soulignée par la majorité des salariés passés aux 35 heures, ne fait d’ailleurs pas l’unanimité. Sur ce point, un profond décalage existe entre femmes cadres et employées. Si 3 femmes cadres sur 4 estiment que la RTT s’accompagne d’une amélioration de leur vie quotidienne, elles ne sont que 40 % des employées à partager le même avis (Source : Centre d’étude pour l’emploi)
Les rituels sociaux dans le temps de travail
Le temps passé dans l’entreprise n’est pas forcément tout entier tourné vers le travail : il comprend également l’ensemble des moments de socialité (réunions diverses, pauses cigarettes, pauses café, etc…) où les individus se livrent à tout un ensemble de rituels sociaux sur le lieu de travail.
Ce sont les temps hier destinés aux « rituels sociaux » qui disparaissent, et non le travail à effectuer. Le temps de travail devient temps de pur travail, et tout ce qui lui est étranger se trouve déplacé vers la sphère loisir/repos.
Les 35 heures paraissent transférer les instants de convivialité hors de la sphère du travail pour faire de l’entreprise un « concentré » de travail : on retire du lieu de travail tout ce qui était propre à le rendre plus humain. Au lieu de faire « entrer le social » dans l’entreprise, on l’éjecte.
Si le temps passé en dehors de l’entreprise, pour s’occuper de soi ou de sa famille est plus important, les 35 heures semblent favoriser une hyper-rationalisation des activités effectuées dans le temps de travail. Avec les 35 heures
Pour se livrer à tout autre type d’activité (transaction sociale, rituels de socialité, etc…), il faut sortir du temps de travail. C’est un temps pour chaque chose, et chaque chose en son temps propre.
La logique induite par les 35 heures « d’un temps pour chaque chose » est bien sensible. Le temps consacré au travail a tendance à n’être rempli que par le travail Et l’on respire en dehors du temps de travail, quitte à redoubler d’efforts pendant.
Le temps de travail tend à devenir un tend de « pur travail », le temps de loisir « pur loisir », et le temps de repos un temps de vrai repos, débarrassé en théorie des corvées désormais réalisées dans un temps spécifique.
Remarque : un croisement des valeurs politiques droite / gauche
Dans une optique traditionnelle, c’est la droite qui défendait la dimension purement économique de l’entreprise. Cette logique actuelle de rationalisation ou d’intensification du travail, induite par les 35 heures, paraît aller à l’encontre de certaines valeurs longtemps défendues la gauche.
La gauche a longtemps lutté pour obtenir une forme de travail plus humaine, pour que l’entreprise soit aussi un lieu de sociabilité et non un univers uniquement centré sur la seule rentabilité et le profit. Les 35 heures sont une mesure promue par les socialistes, mais qui semble aller à l’encontre des projets d’une entreprise plus humaine.
Les 35 heures sont l’occasion pour les entreprises de pousser à davantage de flexibilité, à une répartition du temps qui répond au mieux aux objectifs de l’entreprise. Le temps de travail ne correspond pas tant au rythme du salarié mais au rythme de l’entreprise : un mois le salarié travaille des semaines de 40 heures, et le suivant travaille des semaines de 20 heures.
Les 35 heures offrent l’image d’un croisement des valeurs politiques de la gauche et de la droite. La droite aurait beau jeu à présent de reprendre les valeurs longtemps défendues par la gauche, celle de l’entreprise citoyenne, intéressée non par le seul profit, mais aussi par l’épanouissement personnel des travailleurs.
3/ La représentation du travail
3.1. L’image du calendrier
Une nouvelle physionomie de la semaine de travail
Les 35 heures dessinent une nouvelle physionomie de la semaine et bouleversent la conception traditionnelle de la répartition des temps. Dans les 7 jours de la semaine traditionnelle, les jours de travail sont représentés par les zones grisées :
Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche
En schématisant de la même manière les jours pleins et les jours concernés par la RTT, la physionomie de la semaine prend un visage nouveau. L’organisation de la semaine n’est plus binaire (semaine/week-end), elle paraît plus fragmentée.
Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi dimanche
La réduction du temps de travail ne se traduit pas par une réduction journalière homogène des horaires. La RTT se traduit majoritairement par l’attribution d’une journée (ou d’une demi-journée) de manière régulière, ou par des jours de congés supplémentaires (Source : enquête réalisée pour le Ministère de l’emploi commentée dans Le Monde du 14 Mai 2001).
Dans la semaine des 35 heures, les lundi, mercredi et vendredi sont « rognés ». Dans la représentation mentale de la nouvelle semaine, 2 jours sont pleins (le mardi et le jeudi), 3 jours sont plus partagés. C’est la journée qui devient le cadre de référence, et non plus la semaine. Ce qui peut donner le sentiment d’un travail au souffle court.
Deux remarques :
La semaine n’est plus une semaine de travail conclue par deux jours de repos, elle est désormais ponctuée de temps de « respiration », entrecoupée de périodes de non-travail.
Ce nouvelle répartition des temps s’impose-t-elle de la même manière pour tous les types de travaux, manuels comme intellectuels ; pour tous les types de travailleurs, cadres supérieurs, moyens, et employés ?
Une nouvelle physionomie de l’année de travail
Il est encore trop tôt pour tracer le nouveau visage de l’année chômée, et de déterminer l’impact réel des 35 heures sur l’organisation du calendrier. Il est toutefois possible d’identifier deux tendances actuelles :
1. la dissémination ou fragmentation des congés dans l’année.
2. la consolidation des périodes de congés déjà existant.
Dans semaine, le temps libéré permet d’envisager des « mini-vacances ». Un week-end qui commence le vendredi midi, ou qui se prolonge le lundi matin, peut inviter ceux qui en ont les moyens (cf. supra) à partir pour quelques jours.
Des voyagistes constatent une augmentation des séjours l’hiver et au début du printemps (Source : Rapport du sociologue Jean Viard au Ministère, 14 décembre 2001). Il y aurait donc sur ce point là aussi un lissage des déplacements dans le temps, dû aux 35 heures.
Les séjours ou départs en vacances peuvent être lissés, mieux répartis dans l’année sous l’effet des 35 heures. Aux traditionnelles vacances d’été, les jours de RTT ajoutent des week-end allongés, qui se logent dans les périodes de l’année habituellement réservées au travail.
De même que la semaine de travail est entrecoupée de demi-journées libres, le calendrier est plus facilement entrecoupé de séjours courts :
janvier février mars avril mai juin juillet Août Sept. Oct. Nov. Dec.
Les zones grisées proposent une répartition possible des vacances et week-end de voyages dans les mois de l’année.
Un nouveau statut du « temps sacré » de non-travail
Avec les 35 heures, les temps tendent à s’organiser de manière plus indépendantes. Il n’y a aucune raison pour que les temps mordent les uns sur les autres, les activités et les temps qui leur sont alloués doivent rester bien séparés.
Apparaissent alors des périodes où le travail n’a pas droit de cité, des périodes de congés « sacrés », qui peuvent varier selon les préférences de chacun, mais qui existent pour tous. Le travail en certaines périodes devient « socialement répréhensible », voire psychologiquement insupportable.
Des salariés prennent leur congés en même temps pour harmoniser les départs au sein de l’entreprise. D’autres regroupent leurs jours de RTT en début ou en fin des congés déjà existants, pour élargir leurs périodes de vacances. Ils sacralisent et « institutionnalisent » un temps de l’année où le travail n’a plus droit de cité. Des périodes de vacances sont consolidées, élargies, et se définissent de manière plus rigide dans l’année, où les gens prennent leur vacances en même temps.
• La perception des vacances se rapproche de l’image des congés scolaires. Les enfants à l’école savent qu’en juillet-Août, à Noël, ils sont en vacances, quoi qu’il arrive.
• S’ils peuvent étudier à la maison, ils savent à coup sûr qu’ils n’iront pas à l’école. La figure du professeur ne pénètre jamais dans le temps de vacances, il y est étranger.
⇒ Avec les 35 heures se dessinent dans le calendrier des zones de vacances courtes mais « intouchables » (en grisé). Les congés professionnels, déjà organisés autour des périodes de vacances scolaires des enfants, en acquièrent peu à peu le statut.
Janv. Fév. mars avril mai juin juillet Août Sept. Oct. Nov. Dec.
Sans chercher à établir un hypothétique calendrier annuel collectif des 35 heures », soulignons cette consolidation des congés existants, et dissémination de nouveaux temps chômés.
On assiste ainsi à un double mouvement :
• D’une part des périodes courtes de congés sont confortées et/ou élargies par de nouveaux « jours RTT ».
• D’autre part les voyages courts se multiplient dans l’année et fragmentent le calendrier des vacances.
Le phénomène de « fragmentation des vacances courtes » est à nuancer toutefois : tout le monde ne part pas en week-end sous prétexte des 35 heures.
Encore faut-il en avoir les moyens financiers. Ce sont les cadres qui sont les plus à même de s’offrir des séjours de courte durée disséminés dans l’année.
3.2. L’image du travailleur
Les éléments distinctifs du travail du cadre
Les 35 heures sont l’occasion de souligner la vive distinction entre cadres supérieurs et employés. L’employé est payé au temps, et si le travail n’est pas fini lorsque la journée se termine, il reprendra dans un autre temps de travail.
Le cadre adopte une conception forfaitaire de la relation au travail, déconnecté du temps mis à la disposition de l’employeur. Le contrat implicite du cadre lui accorde un statut privilégié dans l’entreprise, en échange de quoi il accepte d’y consacrer son temps.
L’identité du groupe des cadres, et surtout des cadres supérieurs, repose en partie sur cette « logique de l’honneur ». Les cadres supérieurs, justement, sont ceux qui « ne comptent pas leur temps », en échange de quoi ils accèdent à la reconnaissance de la hiérarchie.
L’élément distinctif du cadre n’est donc pas le temps, mais bien la nature de son travail, de sa responsabilité. Les cadres ne sont pas payés au temps, mais le plus souvent aux objectifs atteints.
Les cadres de la fonction publique suggèrent par une redéfinition des délégations et des missions, et soulignent qu’une réduction du temps de travail ne peut être arbitrairement décidée en terme d’horaires : elle doit être le résultat d’une nouvelle manière d’organiser le travail lui-même, et non du temps pour l’accomplir (Source : Etude Observatoire des cadres)
Certains travaux exigent un rythme particulier pour leur réalisation, demandent une continuité, un temps plus long, non morcelé. C’est le travail qui préside à l’organisation du temps, et non l’inverse.
Pour le travail du cadre, le temps ne paraît pas la seule unité de mesure à prendre en compte. D’autres composantes comme le poste de travail, l’organisation, l’ambiance, la densité de travail et le stress entrent aussi dans la définition et l’organisation des travailleurs intellectuels. (Source : Observatoire Des Cadres)
Travail manuel et travail intellectuel
Si l’on travaille à fabriquer une pièce de moteur d’avion, il faut être présent à l’usine. Une fois sorti de l’usine, on ne travaille plus. Le travail des cadres est d’un autre ordre, qui n’est pas forcément attaché à un poste de travail quelconque.
Le travail intellectuel demande sans doute une plus grande continuité. Pour aborder clairement un problème, il faut souvent le tourner en tous sens, et les solutions n’apparaissent qu’au fil du temps.
Cette continuité requise pour le travail intellectuel est partiellement remise en cause par la nouvelle physionomie de la semaine. L’unité de référence est plutôt la journée, et non plus les 5 jours classiques.
Par le nouvel ordre qu’elles imposent, les 35 heures paraissent attachées à une vision du travail comme essentiellement manuel, où l’on peut s’arrêter de travailler au temps t pour reprendre au temps t+1 de manière plus flexible. Pourtant le travail aujourd’hui n’est pas essentiellement manuel, il est intellectuel.
L’application des 35 heures aux cadres selon les mêmes modalités que pour les employés aurait tendance à leur ôter une partie de leur statut, voire à déresponsabiliser un groupe de professionnels qui prennent en charge la finalité du travail.
Si le cadre n’a plus le statut qui lui était accordé par son rapport au temps, pourquoi devrait-il garder les soucis attachés à sa fonction ?
Si chacun « compte son temps » de manière de plus en plus scrupuleuse, le cadre, et notamment celui qui n’a pas les fonctions d’un employeur ou de fortes responsabilités, pourrait bien lui aussi se dire qu’après tout, une fois le temps écoulé, il rentre chez lui. Phénomène qui peut toucher les cadres qui peuvent se défaire plus facilement de certaines de leurs responsabilités.
⇒ Les cadres supérieurs, et les petites entreprises ont plus de mal à se défaire de ces responsabilités et partant du temps de travail qui leur est attaché. Les cadres supérieurs semblent récupérer le travail des cadres moyens et employés, qui n’a pu être réalisé dans le cadre strict des 35 heures.
Le travail risque d’empiéter sur les temps de « non-travail »
la distinction cadre/employés ne couvre pas toute la réalité de l’entreprise. Avec le développement des activités intellectuelles, il existe plusieurs niveaux de cadres, et les modalités d’applications ne sont pas les mêmes.
Si les cadres moyens ou petits cadres peuvent s’adapter aux conditions des 35 heures, et faire porter la finalité du travail à un échelon supérieur, le processus ne peut se répéter indéfiniment.
Les cadres supérieurs, qui prennent en charge la finalité du travail, et les responsables des petites entreprises, peuvent moins facilement « quitter leur poste » pour le reprendre au temps t+1, confier à un autre la responsabilité de ce qui doit être réalisé dans un délai précis.
Si le travail du cadre supérieur ne peut être effectué dans le cadre strict des 35 heures, il déborde sur les temps contigus. Il empiète le plus souvent sur le temps de transport ou temps de transit, lorsque le cadre ou l’employeur continue de réfléchir sur son travail dans sa voiture ou dans le train qui le ramène chez lui.
Cet empiètement des temps les uns sur les autres est facteur de stress. Lorsqu’une activité ne peut être accomplie dans un temps particulier elle est répercutée sur les autres temps, et empêche les activités qui lui sont réservées de s’accomplir comme il se doit.
Si le travail ne peut être effectué sur le lieu de travail (si des réunions, des coups de fil, empêchent le travail efficace au bureau), le temps de transit est rempli en priorité pour réaliser ce qui n’a pas pu être accompli dans le temps imparti.
⇒ Pour les cadres dirigeant (non concernés par les lois Aubry 2), les cadres intermédiaires (pour qui les 35 heures s’appliquent de manière forfaitaire), les petites entreprises, les 35 heures ne sont pas forcément synonymes d’une répartition cloisonnée des temps.
C’est au contraire le temps de travail qui tend à contaminer les autres temps autour de lui : d’abord le temps de transit, puis le temps de loisir, puis le temps de repos.
Le temps de repos chez les cadres, chez les employés
Les revendications de certains cadres supérieurs et intermédiaires sont significatives. Alors que pour les employés, le temps de repos ne peut plus être remis en cause, protégé par les autres temps de « non-travail », pour eux c’est le schéma inverse qui se produit. Le travail grignote les autres temps jusqu’à menacer le temps de repos.
Les 35 heures sont alors l’occasion d’un chassé-croisé entre les employés et les cadres supérieurs concernant la notion de repos :
• La protection d’un temps de repos, longtemps d’actualité pour les salariés manuels, n’est plus à l’ordre du jour : les 35 heures ne libèrent pas du temps de repos, mais du temps pour se livrer à d’autres activités.
• Les cadres supérieurs ont peur désormais d’être privés de repos, s’ils doivent assumer une partie du travail non réalisé par les employés et les cadres moyens passés aux 35 heures.
De même si les cadres supérieurs doivent continuellement apporter du travail à la maison et empiéter sur leur vie de famille, les 35 heures peuvent signifier pour eux davantage de stress.
⇒ Des spécialistes du droit du travail proposent en ce sens de modifier la façon de mesurer le temps : il s’agirait de garantir un temps minimum de repos, et non plus de travail. C’est le temps de repos qui devrait être comptabilisé, et non le temps de travail, de manière à laisser libre l’organisation du temps de travail.
⇒ Schémas récapitulatifs d’une dynamique des temps entre cadres et employés :
1. Chez les employés:
• Elargissement du temps libre
• Cloisonnement strict entre chaque temps
Compression
du Temps
de travail
Extension et organisation du temps de non-travail
Temps de transit
Temps de transaction
Temps de loisir
Temps de repos
Le temps de travail (en léger grisé) fait l’objet de toutes les attentions : il est réduit et comprimé au maximum, pour laisser aux autres activités un temps qui leur soit propre.
2. Chez les cadres supérieurs, aux fortes responsabilités
• Le travail déborde et investit les autres temps : chaque temps mords sur l’autre.
• Diminution progressive du temps de repos
Extension du Temps
de travail
Compression du Temps de non-travail
Temps de transit
Temps de tran-saction
Tps de loisir
Tps de repos
Le temps de repos (en léger grisé) fait l’objet de toutes les attentions : il est réduit et doit être protégé de l’invasion progressive du travail sur les autres temps.
II/ LES 35 HEURES ET LES MEDIAS
>> Introduction : le temps interstitiel
Les temps qui rythment la semaine peuvent être schématiquement répartis en deux catégories distinctes :
• Les temps qualifiés
• Les temps non-qualifiés
Des zones du temps sont faciles à qualifier : une activité les identifie de manière précise : le temps de travail, le temps de repos, le temps de transaction sociale ont une identité claire, une fonction bien déterminée.
Il existe d’autres dimensions du temps, plus difficile à identifier. Les temps d’attente, dans le métro, sur un quai de gare, sont des temps vides, qui n’accueillent aucune activité précise.
Une file d’attente, un retard chez le dentiste, mais également le temps de transport, sont des temps de « suspension », des « temps morts » non qualifiés. Ce sont des temps dont on n’est pas le maître, du temps où l’on ne peut rien faire d’autre qu’attendre qu’il passe.
Ces « temps morts », qui regroupent les temps de transit et tous ceux qui se logent entre deux activités peuvent être dits « interstitiels » : ils ont leur place dans les nombreux interstices qui jalonnent la semaine, lors des transferts d’une activité à une autre.
Ce temps interstitiel paraît finalement du temps volé sur l’organisation parfaite ou idéale du temps : dans un monde sans retards, sans temps perdus, sans déplacements inutiles, il n’y aurait pas de temps interstitiel. Il est le résultat :
• Des retards
• D’une désynchronisation des temps sociaux.
Le travail se termine à 16h30, mais le train du retour n’est en gare qu’à 17h15, ou que les services publics sont fermés, les horaires ne sont pas parfaitement synchronisées. Un temps interstitiel est créé, pendant lequel il n’est possible de rien faire.
Avec les 35 heures, le temps interstitiel est moins soumis aux aléas des heures de pointe. Au niveau général de la population, les temps de déplacement, d’attente, les temps perdus sont lissés et sont de ce fait, peut-être plus vivables : il y a moins de gens à se déplacer en même temps, donc potentiellement moins de bouchons et d’énervement.
L’attitude des individus, leur réceptivité ou disponibilité pendant le temps interstitiel peut varier. Sur le quai du métro, certains s’absorbent tout à fait dans la contemplation d’une affiche, qu’il scrutent et dont ils regardent attentivement le moindre recoin.
D’autres sont « en attente », ils écoutent de-ci de-là, regardent à la dérobée tout ce qui les entoure, ils sont moins attentifs mais plus disponibles.
Les médias peuvent toucher les individus dans ces interstices du temps. Le temps interstitiel est un temps utilisé de fait par de nombreux médias : affiches, radio, les journaux. Nombreux sont les médias qui occupent de fait, ou souhaitent s’approprier cet espace.
>> Une classification des médias
Un même média peut être consommé de manière différente selon les individus, sur des lieux différents, pour des usages différents. Si l’on essaie pourtant de dresser une répartition des médias selon des critères simples en rapport avec l’organisation du temps, on obtient le tableau suivant :
Temps concerné
Interstitiel
travail
Libre
Disponibilité requise
pour le consom-mateur
Faible (ouïe)
Radio
Radio
Moyenne (vue)
Presse quotidienne
affiches
Télévision
Presse Magazine
Forte (vue, main, concentration)
Recherche sur Internet
Presse pro.
Cinéma
Internet
Presse Spéciali-sée
La consommation de certains médias est ancrée dans la vie active et répond à un certain nombre de rituels : on écoute la radio dans sa voiture pour aller au travail, on feuillette la presse quotidienne lors d’une pause déjeuner.
Cette consommation peut être dite « interstitielle » : elle est calée dans les interstices du temps, dans un entre-deux temps : lorsqu’on se déplace pour faire quelque chose, ou lorsqu’on se prépare à faire telle autre chose.
D’autres médias sont moins attachés au rythme de la journée de travail, ils demandent aussi qu’une disponibilité plus grande, un temps plus important leur soient consacrés.
Il sont un rapport au temps plus libre : en semaine, lorsque la voiture est garée pour aller au travail, on éteint la radio, le temps du déplacement est terminé, le temps d’écoute l’est aussi. Le Week-end c’est le consommateur qui organise lui-même son temps de consommation, qui peut décider d’allumer la radio ou de prendre le journal.
⇒ En élargissant les plages de temps libre, les 35 heures pourraient favoriser cette libre consommation des médias. La réduction du temps de travail encourage consommation plus « impliquante », plus active.
Le média tend à devenir un moment de vie : on prend son temps, on se concentre, et l’on est peut-être aussi plus exigeant, plus attentif.
⇒ La logique générale d’évolution semble aller vers un développement d’une consommation des médias comme une activité à part entière. Les médias deviennent une chose à laquelle on se consacre entièrement, et non plus seulement de manière rapide et distraite.
Il faut tenir compte également du fait que les budgets loisirs ne sont pas forcément augmentés. Les salariés travaillent moins longtemps, mais ne sont pas plus riches. Le faible coût des médias est un atout important, qui peut jouer en leur faveur.
1. La radio
le temps de transit : les rituels de la radio
Comment définir ce temps où je suis dans ma voiture et me déplace pour me rendre au travail ? Ce n’est pas un temps de travail, ni de loisir, ni de repos, ni de transaction sociale.
De même qu’il y a un temps « transactionnel » consacré aux activités de transaction sociale, il y a ce qu’on pourrait appeler un temps « transitionnel », un temps de transit, où les gens se déplacent, et qui occupe une part du temps défini plus haut comme interstitiel.
Lorsqu’on est dans sa voiture, le regard et les mains se consacrent à l’activité de conduite. On regarde la route, on contrôle le véhicule. La disponibilité au média est minimale, et la radio s’y adapte parfaitement. Le conducteur ne fait rien d’autre qu’écouter la radio, et / ou réfléchir.
Plus généralement, la consommation de la radio est attachée à l’ensemble des rituels de la journée de travail. On se réveille avec la radio pour aller au travail, on se prépare avec la radio, puis on écoute la radio dans la voiture qui nous mène au bureau, etc… la consommation radio est rythmée par l’ensemble de ces rituels ancrés sur la vie active.
Répartition des temps et répartition dans le temps
La répartition des temps opérée par les 35 heures se répercute par une répartition plus homogène des activités dans le temps sur l’ensemble de population. Les temps de transit ne sont plus les mêmes pour tous : le lundi matin, le mercredi matin, des gens qui se rendaient au bureau en même temps que tout le monde s’y rendent plus tard.
Les 35 heures ont pour conséquence de lisser les temps de transit, de mieux les répartir dans le temps. Les « temps forts » où tous le monde est dans sa voiture pour se rendre au travail perdent de leur importance passée.
A l’inverse, lorsque les gens sont chez eux, ils peuvent consommer la radio de manière plus spontanée, tout en se livrant à leurs activités. La radio peut rester allumée toute une après-midi de RTT pendant que l’on bricole ou que l’on s’occupe de la maison.
⇒ Avant les 35 heures, les modes de consommation de la radio peuvent être regroupés en deux grandes catégories :
• Les « rendez-vous », à des heures précises
• L’écoute en continu : la radio comme fonds sonore permanent, à l’inverse du rendez-vous
Avec les 35 heures, et notamment le lissage des temps de transit, la distinction nette entre ces deux manières d’écouter la radio s’estompe : les rendez-vous s’étalent sur des plages plus longues.
• Les « temps forts » ponctuels s’étalent dans la durée, parce que personne n’a tout à fait le même rythme, ne commence sa journée ou la termine à la même heure.
• Les jours chômés, la radio, écoutée comme fond sonore ou pour une émission précise peut devenir un rendez-vous hebdomadaire, et la consommation libre de la radio (où l’on n’est pas prisonnier du temps de transport, de réveil ou autre) est favorisée.
Axes d’évolution
Pour s’adapter au phénomène, la radio semble devoir réorganiser profondément sa logique de programmation, et suivre une répartition des temps de la journée qui n’est plus (ou beaucoup moins) la même pour tous.
Les gens allument le poste n’importe quand, et attendent une programmation qui épouse le rythme de leur journée, qui est différent du voisin. L’organisation des programmes doit épouser cette logique de « dé-saisonnalisation » de la consommation.
Les modèles qui paraissent le plus adaptés à cette nouvelle répartition des temps sont ceux d’Internet et des chaînes thématiques. Ces médias ne sont pas structurés en fonction du temps, et laissent le consommateur libre d’entrer et de sortir quand bon lui semble sans risque de perdre l’information.
Une chaîne thématique propose toujours le même thème : si tel sujet m’intéresse, peu importe l’heure à laquelle j’arrive, une émission parle du thème qui me plaît. Le contenu d’Internet est toujours disponible, à quelque variations près, quelle que soit l’heure de connexion.
La radio peut également s’ancrer plus facilement dans les périodes de loisirs et développer le week-end, en semaine les jours de RTT (principalement les lundi, mercredi, vendredi),
• Des réflexes : le « rendez-vous » n’est plus seulement celui fixé par l’heure du départ au travail, mais celui que l’on se fixe soi-même, librement chez soi.
• Des raisons d’écoutes : en plus de l’allumage « systématique » de la radio dans la voiture ou pour se réveiller, l’auditeur peut vouloir mettre la radio lorsqu’il est chez lui. D’autres raisons doivent l’y inciter.
La radio peut s’adapter à ce double mouvement, d’étalement dans la durée des « temps forts quotidiens attachés au travail, et de création de rendez-vous nouveaux, où l’auditeur est chez lui, disponible et libre d’allumer ou non le poste.
2. La télévision
La télévision paraît à première vue moins sensible au phénomène des 35 heures, car les tranches horaires de grande écoute et les programmations stratégiques du « prime time » sont en dehors des heures de travail, hier comme aujourd’hui.
Ceci dit, des modifications apparaissent compte tenu de l’augmentation des périodes de transition entre jours de travail et jour de repos, des soirées où le téléspectateur est plus disponible. Ceux qui bénéficient des 35 heures sont présents plus tard chez eux dans la matinée, et disposent la veille d’une plus grande soirée.
Le rythme de la semaine
Les 35 heures ont deux effets majeurs sur le rythme de la semaine :
• Le vendredi soir est renforcé dans son statut de « soir libre », ou de « première soirée du week-end ».
• Des soirées plus libres apparaissent en semaine
La semaine traditionnelle est répartie en 5 jours de travail, et deux jours de Week-end (le vendredi soir est soirée de transition). La programmation est organisée sur ce schéma, et tient compte des soirs où les téléspectateurs sont plus disponibles, où ils restent plus tard s’ils ne travaillent pas le lendemain.
Avant les 35 heures, la programmation du vendredi soir est déjà presque une « programmation de week-end ». Après les 35 heures, le vendredi soir est renforcé dans son statut de « soirée libre » : les gens sont moins préoccupés par un travail qu’ils ont quitté depuis déjà une demi-journée.
Le vendredi soir, est de moins en moins une « soirée de transition ». Il n’est plus la veille du week-end, il est véritablement « le premier soir du week-end ».
Le rythme de la journée
Si les gens prennent une demi journée le lundi, ou partent le vendredi midi, ou prennent leur mercredi (c’est le cas de nombreuses femmes qui s’occupent des enfants), ils peuvent être plus disponibles pour regarder les programmes télévisées. Les soirs libres apparaissent en semaine.
Avec les 35 heures, il est possible de rester regarder la télé plus tard le soir. La séparation nette début de soirée / deuxième partie de soirée est moins sensible.
Il est aussi possible de regarder la télé le matin, lors des matinées RTT. Lorsqu’il fallait partir au travail, la télévision restait éteinte. A présent le téléspectateur peut acquérir le réflexe de l’allumer
Les après-midi dégagées par les 35 heures modifient également le rythme de la journée : le mercredi, le vendredi après-midi, les téléspectateurs sont potentiellement plus nombreux devant leurs postes.
⇒ Les 35 heures créent de nouveaux espaces, de nouvelles possibilités pour regarder la télé en semaine. La télévision thématique paraît toute désignée pour en profiter.
Les chaînes thématiques
Les nouveaux temps de loisir permettent de développer une passion, un hobby que l’on pratiquait auparavant dans les interstices du calendrier, ou de manière ponctuelle. Les bouquets satellites conviennent bien à cette nouvelle perception du temps :
• Comme temps organisé, divisé, réparti en activités bien distinctes : la chaîne nature s’occupe de la nature, elle ne propose pas de sport
• Comme temps lissé, où personne n’a tout à fait le même rythme : peu importe l’heure où j’arrive, il y a toujours de la nature sur la chaîne nature, toujours du sport sur la chaîne sport.
Si l’on choisit de développer le hobby « nature », et de consacrer plus de temps au jardinage, les émissions d’une chaîne spécialisée peuvent être intéressantes. Ces chaînes cultivent un état d’esprit qui répond à la spécialisation des activités.
Une chaîne généraliste ne peut proposer que des émissions de type générique. Si je cultive ma passion, régulièrement, tous les Week-end, il me faut les programmes ciblés d’une chaîne qui ne fait que ça, tout comme de mon coté, tel jour à telle heure, je ne m’occupe que de moi.
Les chaînes thématiques répondent à la question du lissage du temps : à tout moment, les téléspectateurs peuvent se brancher, et voir un sujet qui se rapproche de leurs centres d’intérêt.
3. La presse quotidienne
Les 35 heures modifient les habitudes de la presse quotidienne :
• Elles changent les habitudes de lecture
• Elles changent les habitudes d’achat
La presse quotidienne est une presse qu’on lit notamment dans les interstices du travail (pause déjeuner, avec le café, etc). Elle est, plus que d’autres, attachée à tout un ensemble de rituels : on lit par exemple le journal au café avant d’aller au travail.
Avec les 35 heures, il y a moins de temps pour ces rituels. Le temps de travail est intensifié et tout entier occupé par l’activité professionnelle, la presse quotidienne peut souffrir de la modification des habitudes de lecture.
Il faut aussi prendre en compte la presse quotidienne qu’on achète en allant au travail. Avec les 35 heures, certains salariés ne vont plus au travail le lundi matin par exemple : les « journées 35 heures » modifient les habitudes d’achat.
Le format de lecture
Des familles de presse ont connu des embellies significatives avec les 35 heures, comme la presse quotidienne régionale et départementale du septième jour (plus 8,17 %) ou les mensuels (plus 2,8 %).(Source : Diffusion Contrôle/OJD, repris dans Le Monde du 15 Août 2000
La plus grande disponibilité du Week-end peut amener en France de nouveaux modes de lecture. Le format jusqu’ici est extrêmement court, il pourrait s’élargir en fin de semaine, pour rejoindre le modèle allemand ou américain.
Les journaux allemands proposent en effet des quotidiens très épais en fin de semaine, lorsque les gens ont du temps pour lire. Les magazines et les articles plus longs des quotidiens (feuilletons, séries thématiques hier réservées aux périodes estivales) ont, avec les 35 heures, un nouveau lectorat potentiel, ou au moins un lectorat plus disponible.
⇒ Pour le moment le format de la presse quotidienne convient parfaitement à l’ensemble des « rituels courts » que chacun aménage dans sa journée. Par exemple, prendre une pause café en lisant le journal est un rituel quotidien de 10 minutes.
Les 35 heures rendent possible la création d’un rituel hebdomadaire, plus long, pour se consacrer à la lecture du journal. Dans le nouveau Week-end il est plus facile d’aménager un temps pour lire, d’établir un rendez-vous de lecture de la presse.
Si le format court est toujours de mise en semaine, compte tenu de l’intensification des activités, il se justifie de moins en moins le samedi-dimanche.
Les 35 heures n’ont pas qu’un impact sur l’organisation des temps, elles touchent aussi les modes de comportement. Plus disponibles, les RTTistes sont aussi potentiellement plus reposés, plus à même de s’intéresser à des documentaires, de lire la presse de manière plus approfondie.
Le format long ou les « rendez-vous » hebdomadaires peuvent être une piste de réflexion pour la presse. Non seulement parce que les salariés ont plus de temps, mais aussi parce qu’ils peuvent adopter un mode de lecture plus actif, plus investi.
Un temps pour soi
Les 35 heures ne donnent pas l’envie de faire de nouvelles activités. Elles donnent plus de temps pour se consacrer à celles que l’on fait déjà. Des passe-temps occupent désormais un créneau balisé dans la semaine, des choses que l’on faisait un peu selon les trous du calendrier « s’institutionnalisent » : on fixe un moment pour s’occuper de soi.
Tout ce qui est de l’ordre de la « sphère du soi » prend de l’ampleur dans l’esprit des 35 heures, et les intéressés le soulignent comme avantage notable. 85 % des salariés effectivement passés aux 35 heures relèvent en premier lieu que la RTT permet d’avoir « plus de temps pour soi », et ce point constitue un élément fondamental de l’adhésion au processus (Source Sofres, étude réalisée pour le ministère de l’emploi, 13 juin 2000).
Le temps dégagé est ainsi consacré pour les femmes principalement à la lecture, l’écoute de la musique, la couture et pour « s’occuper de soi ». Les hommes évoquent la pratique d’un sport ou de la micro informatique (Source : Le Monde du 14 Mai 2001)
La presse consacrée à la « sphère du soi », au bien être, la santé, la psychologie, et plus généralement tout ce qui touche à « l’art de vivre » est particulièrement concerné par ce phénomène.
⇒ Les Messageries lyonnaises de Presse (MLP) constatent « une forte augmentation du nombre de titres consacrés à la maison et à l’art de vivre, au jardinage, ainsi qu’à l’Internet et au DVD ». (Source : Le Monde, mardi 15 Août 2000)
Un temps dédié à la lecture
Ce phénomène d’institutionnalisation des temps touche également la lecture. les moments de lecture éparpillés dans la semaine peuvent être rassemblées dans un plage horaire qui lui est tout spécialement dédiée.
Une récente étude de Cofremca-Sociovision pour le Syndicat de la presse magazine relève que la lecture constitue désormais un « moment de vie, pas une consommation ». Il faut accorder à cette expression « moment de vie » toute son importance. Dans la semaine il est désormais possible de fixer un moment pour lire, pour se poser tranquillement avec un magazine.
Dans ce cadre la presse qu’on lisait rapidement ou les magazines vite feuilletés dans la semaine traditionnelle peuvent être recueillis dans cette plage horaire réservée à la lecture. Dans la mesure où les 35 heures permettent d’accorder à chaque activité un temps qui lui est propre, la lecture peut en ressortir renforcée.
Le développement des voyages courts
Si le Week-end commence le vendredi midi, il devient possible de partir en voyage court. A fortiori si l’on a rassemblé ses demi-journées gagnées sur un seul week-end dans le mois.
Si temps de travail et week-end sont organisés de manière plus indépendante, le réflexe du départ est plus facile à acquérir, du moment qu’on en a les moyens financiers.
Ce n’est plus (ou plus seulement) le temps de travail qui ordonne le calendrier. Les activités du Week-end ne sont pas un accessoire à la semaine du travail, elles peuvent devenir un élément à partir duquel le reste s’organise.
Avec le développement de ces voyages courts, les magazines ou journaux qui présentent des destinations possibles acquièrent une résonance nouvelle. La tendance lourde paraît être l’accroissement de l’importance relative du week-end et de ses activités, et les magazines qui ciblent les loisirs et l’esprit des 35 heures ont un rôle à jouer.
Les 35 heures favorisent une « interconnexion » des médias et des loisirs, un mode de consommation où les médias deviennent le « mode d’emploi » du temps gagné.
La presse spécialisé renseigne sur tel ou tel hobby, propose des destinations de voyages. La presse informatique dit comment bien acheter, comment faire, comment surfer.
Le média est un « réservoir d’idées », un « mode d’emploi » pour bien utiliser le capital-temps gagné.
4. Internet
Un média indépendant de l’ordre du temps
Internet paraît le média le plus adapté et le plus flexible à toute modification de l’ordre du temps. C’est un média asynchrone, il n’est pas organisé temporellement. Il est amorphe à ce niveau, il n’a pas de programmation, il a un rapport au temps totalement libre.
Contrairement à la radio, à la télé, qui imposent d’être à l’écoute pendant le temps de l’émission, les documents Internet sont disponibles à n’importe quel moment de la journée. A la radio, lorsque l’émission se termine, il est « trop tard », sur Internet, il est presque impossible d’arriver « trop tard ».
Un média indépendant de l’ordre du lieu
Son mode d’utilisation est également très souple : l’internaute regarde la toile à la fois sur le lieu de travail et chez lui. C’est une autre forme de souplesse, qui ne regarde plus le temps, mais le lieu d’utilisation.
Les médias attachés à des petits rituels, dans les interstices de la journée, sont le plus souvent attachés également à des lieux précis. Lorsque le radio réveil sonne, le travailleur est dans son lit, ou dans la salle de bain, lorsqu’il écoute la radio pour aller au travail, il est dans sa voiture, lorsqu’il lit le journal, il est dans un café ou à la cantine, etc.
Une fois qu’il sort de ces lieux, sort de chez lui ou de sa voiture, la consommation du média s’arrête. Avec Internet, la notion du lieu est moins fondamentale, lorsque le salarié quitte le bureau il peut encore retrouver Internet chez lui.
Certes, on ne peut consulter Internet n’importe où : il faut être devant un ordinateur. Ceci dit, l’Internaute est beaucoup moins dépendant ou prisonnier d’un lieu particulier pour consulter son média. Il peut avoir un ordinateur chez lui comme au bureau, et si le vendredi il ne travaille pas, et n’écoute pas la radio, il peut néanmoins consulter internet.
Un média indépendant de l’ordre de l’usage
L’extrême malléabilité d’Internet se manifeste encore dans un troisième ordre. La consultation d’Internet n’est pas liée à un usage de type particulier. Lorsqu’un père de famille lit un magazine de bricolage, il se détend. S’il veut travailler, il prend un autre type de magazine. De même, dans un magazine de bricolage, on ne trouve rien sur le sport automobile, le cloisonnement est strict.
L’usage d’Internet est tout à fait libre de ce point de vue : on peut consulter Internet à la fois pour le travail et le loisir, pour le bricolage et l’informatique. Les occasions de le consulter sont liées à la fois à la sphère du travail, et à celle des loisirs. C’est un média qui est un lien, un pont entre le travail et le non-travail, entre les loisirs
Si le temps de travail diminue, et que l’activité s’intensifie, le temps consacré à la lecture de la presse professionnelle sur le lieu de travail a des chances de diminuer. Une fois rentré à la maison, la presse professionnelle laisse plus largement place à la presse loisir.
La consommation d’Internet s’adapte parfaitement à cet état de chose : si je n’utilise plus la toile pour travailler, je peux encore le faire chez moi pour me détendre, m’informer.
La pratique de la micro-informatique apparaît en bonne place dans les activités favorites citées par les hommes passés aux 35 heures. Voilà une utilisation « loisir » de l’ordinateur qui a toutes les chances de développer encore davantage l’usage d’Internet. Devenu l’outil du bureau, il s’installe comme passe-temps à domicile.
Les courses sur le net
les 35 heures permettent de mieux répartir les activités sur la semaine, et tout spécialement les courses. Il est plus facile d’échapper aux heures de pointe, et les flux de consommation sont lissés eux aussi.
Pour éviter tout à fait les grandes foules des magasins, il est même plus facile de recevoir une commande de e-course à domicile. Cette utilisation d’Internet est un autre type d’usage qui peut bénéficier de l’effet 35 heures.
⇒ La dimension « mode d’emploi » du média est encore ici bien sensible. Le média est le moyen de gagner encore davantage de temps sur le temps, un moyen de bien consommer, de faire fructifier son « capital temps ».
⇒ Une des forces d’Internet est d’échapper aux catégories de type spatial, temporel, de spécialisation thématique, et d’être ainsi particulièrement malléable aux réorganisations qui touchent ces trois sphères.
La dimension active d’Internet
Internet comporte par ailleurs une dimension active qui s’inscrit bien dans la logique d’une vie de loisirs pleine d’activités. Le téléspectateur, l’auditeur, sont passif face au média, ils reçoivent des images, de la musique. L’internaute est actif, il surfe, il va chercher.
Si le temps de « non-travail » est aujourd’hui encore moins qu’avant un temps de repos, l’activité d’Internet paraît être bien adaptée à l’esprit du temps sur ce point de vue là également.
Avec les 35 heures,
• le rapport au temps est plus libre,
• la disponibilité est plus forte.
Les médias qui répondent à ces critères, ou qui développent une consommation en accord avec eux, paraissent privilégiés.
Le temps libre dégagé privilégie les médias qui donnent au consommateur l’impression réelle de « faire quelque chose », de se consacrer tout à fait à son activité.
La messagerie
Internet bénéficie d’un levier qui incite l’internaute à se connecter quotidiennement : la consultation de sa boite aux lettres (qu’elle soit professionnelle ou personnelle).
⇒ Un des problèmes lié à Internet, dans un contexte qui privilégie le gain de temps, est justement la perte de temps impliquée par les recherches longues.
En ce sens, les internautes apprécieraient sans doute tout ce qui facilite leurs recherches personnelles (newsletters personnalisées avec liens spécifiques, etc.)
Les newsletters quotidiennes s’inscrivent dans une logique de ritualisation de la lecture du média, les jours de travail comme les jours non travaillés.
Elle porte sur des sujets pointus, normalement ciblée selon les intérêts de l’internaute, la précision évite l’aspect « nuisance » des pollutions électroniques.
La « newsletter » est bien une « lettre », elle s’inscrit dans la sphère personnelle et s’adresse à un individu particulier. Elle n’est pas une publicité qui s’adresserait à la multitude.
A travers l’exemple de la messagerie, c’est la situation privilégiée d’Internet qui est encore une fois soulignée :
• au carrefour de l’usage professionnel et personnel
• à la fois sur le lieu de travail et à domicile,
5. Le cinéma
Une entière disponibilité requise
Le cinéma est l’exemple même du média qui requiert une disponibilité totale de la part du consommateur. Il faut y consacrer deux heures de temps, sortir de chez soi, le spectateur est plongé dans le noir et est entièrement concentré sur ce qui se passe à l’écran.
Le cinéma est le média qui est une activité à part entière. Les autres médias peuvent être consommé « en passant », l’air distrait, le cinéma fait figure d’activité en soi. Il est un média qui donne le sentiment de « faire quelque chose ».
Feuilleter le journal n’est pas une activité à part entière, c’est quelque chose que l’on fait dans un entre-deux. Lorsqu’il écoute la radio, l’auditeur est souvent concentré sur autre chose (conduire, faire le jardin, faire les mots croisés, etc.)
⇒ Dans la mesure où du temps libre est libéré, le cinéma apparaît en position de force : il permet de faire une activité que l’on considère comme un véritable programme et non comme une activité annexe, que l’on ferait entre deux autres choses.
Un droit permanent aux loisirs
La fréquentation des cinémas est d’autant plus amenée à s’accroître que ces temps disponibles sont mieux répartis dans la semaine. Si l’on a le samedi de libre, iI est rare d’aller deux fois de suite au cinéma dans la même journée. Si à présent, le mardi soir et le dimanche soir sont libéré, sortir deux fois par semaine au cinéma devient plus envisageable.
Les outils comme la « carte illimitée » donnent un droit permanent et s’inscrivent de plein pied dans cette logique du loisir « à tout moment » : le loisir n’est plus confiné en week-end, il est davantage répartit sur l’ensemble de la semaine. Comme pour Internet, la carte illimitée va dans le sens d’une indépendance plus grande à l’égard du temps.
Elle permet des visionnages « luxueux » ou « superflus », des films que l’on aurait pas été voir s’ils avaient été « la sortie de la semaine ». Avec la carte et la plus grande répartition des heures de loisirs dans la semaine, aller au cinéma ne comporte plus aucun risque, le loisir devient une pratique courante et non plus seulement réservée à un temps déterminé. La carte est en ce sens tout à fait en phase avec l’esprit des 35 heures.
Récapitulatif
Il est malaisé de mesurer l’impact exact des 35 heures sur les modes de consommation. La réduction du travail ne change pas tout, et d’autres facteurs entrent en jeu.
A partir des éléments explicités plus haut, quelques lignes directrices se dégagent quant aux effets de la RTT sur les médias :
1. Elle augmente la disponibilité-temps des consommateur, ce qui est un premier gain, d’ordre quantitatif
2. Elle peut modifier le comportement, et encourager une consommation plus active des médias. Le média tend à devenir un « moment de vie », le support d’une activité à part entière.
3. Les médias peuvent être plus facilement consommés en complément d’un loisir. Ils prolongent et enrichissent une activité que l’on développe avec les 35 heures. Magazines spécialisés en complément d’un sport, radio en fond sonore d’un hobby, etc.
4. Les médias deviennent le « mode d’emploi du temps gagné », un moyen de bien acheter, de se renseigner sur des destinations de voyage, des idées de sorties, de livres, etc… Le média fait « fructifier le capital temps », pour gagner encore davantage de temps et organiser un
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