L’objectif de cette analyse est de réfléchir à la place occupée par les témoignages des spectateurs de films sur des sites tels que Allociné.
Les témoignages sur les films se font sous différentes formes :
- La rédaction de quelques lignes exprimant son avis :
. avis de 3 à 5 lignes en moyenne sur AlloCiné (www.allocine.fr)
. netcritique sur TF1 (avec un concours de la meilleure critique)
. réaction formatée en 90 mots minimum sur Ciao (www.ciao.fr) (avis noté de très utile à pas utile par les internautes
Deux sites sont totalement dédiés aux témoignages d’internautes sur les films : http://www.mediacritik.com et http://www;vivelecinema.com, qui se présente comme le moteur à réactions du cinéma.
- Les systèmes de notation :
. évaluation du film sur plusieurs critères sur Ciao.fr (évaluation générale, histoire, acteurs, mise en scène)
. Note de 1 à 5 sur Monsieur Cinéma
. système d’étoiles sur AlloCiné synthétisant la tendance des appréciations (www.allocine.fr)
. scores des films sur la section cinéma du site TF1.fr avec classement des films préférés
. sélection de valeurs sûres par les spectateurs avec le label UGC (http://www.ugc.fr/ugcm.do?FEATURE=affiche)
- Les forums de discussion :
. rédaction d’avis sur un film ou un thème avec indication du nombre de messages laissés sur chaque sujet, sur Premiere.fr (http://forum.premiere.fr/htm2/accueil.aspx)
- La présence sur le site de micro-trottoirs filmés montrant des réactions de spectateurs à chaud à la sortie des salles
. Sortie des salles sur AlloCiné,
. Fin de séance sur Club-Internet,…
Les sites spécialisés dans le recueil d’opinion ont des partis pris particulier quant à la mise en forme et à la hiérarchisation des témoignages.Par exemple le site Ciao, leader des sites d’opinion a développé une charte de rédaction des avis (http://www.ciao.fr/popup_conditions.php) . Voici les consignes qui sont données aux internautes :
« Vos avis doivent :
- Etre personnels.
- Ne posséder aucun contenu publicitaire, politique, pornographique, diffamatoire, obscène ou illégal.
- Respecter le minimum de 90 mots.
- Concerner uniquement le produit ou le service sur lequel vous vous exprimez.
- Faire référence à votre expérience personnelle du produit ou du service que vous avez choisi.
- Etre aussi instructifs que possible, contenant des faits utiles sur le produit ou le service concerné.
- Etre rédigés dans un français de qualité, bien structuré et avec une mise en page claire et aérée. »
La démocratisation de la critique
Un détour par l’histoire de la peinture au 18ème siècle fournit des pistes d’éclairage intéressantes pour évaluer les implications du nouveau média internet sur le cinéma, sa perception et sa réception.
Jusqu’au 18ème siècle, l’exercice de la critique d’art était l’apanage d’un petit nombre de personnes autorisées et reconnues compétentes de la même manière que l’accès aux œuvres d’art était réservé à l’élite de la société.
La qualité des peintures commandées par le roi à l’Académie était jugée par les pairs de l’artiste, détenteurs d’un savoir sur l’art validé par l’institution (théories de l’art pictural, hiérarchie des genres, échelle de valeur, critères du beau,…). Le profane ne se sentait pas autorisé à formuler un jugement et n’en avait pas les moyens.
Or, au 18ème siècle, la création des Salons sous l’impulsion notamment de Diderot marque le début de la démocratisation de la critique et ouvre l’accès aux œuvres d’art à un public plus large : des écrivains (Vs peintres académiciens) se sont mis à prendre la parole, écrire et diffuser leurs avis sur les œuvres dans les journaux et gazettes de l’époque.
Le fonctionnement de la critique officielle, dont l’hégémonie pouvait être maintenue grâce à la compétence supposée et l’accès privilégié aux œuvres, s’est alors trouvé attaqué sur trois fronts :
- Les peintres, qui étaient auparavant seuls autorisés à s’exprimer sur les œuvres de leurs pairs, se sont trouvés dépassés par la prise de parole libre des écrivains et des publicistes.
- Les structures d’accès aux œuvres, auparavant réservées à l’élite autorisée, ont également été ouvertes à un public plus large d’intellectuels dans les nouveaux Salons.
- Les journaux, média naissant dans lequel les nouveaux critiques se sont exprimés, a élargi encore les frontières de la parole critique en la rendant accessible à un public plus massif.
Avec l’utilisation des journaux pour parler de l’art et l’ouverture soudaine à un public profane, le rapport à l’œuvre s’est trouvé modifié.
L’art lui-même, autant que ses critères d’appréciation, et la nature et les structures de la critique ont évolué. Le jugement s’est ouvert à des impressions plus subjectives et plus libres que les catégories figées des académiciens. En effet, le propre des Académies avant la démocratisation du jugement critique était de juger les œuvres sur leur contenu cognitif, leur sujet, car la technique, le “ savoir peindre ” était supposé acquis, dans la mesure où les artistes appartenaient à l’institution. Or, les réactions du nouveau public libre portaient moins sur le sujet et le contenu des toiles que sur les impressions et états subjectifs ressentis devant les tableaux. Ce type de réaction ne relève pas d’un jugement critique au sens propre, mais du domaine de l’esthétique, en tant que discipline de la réception (Cf. : aisthêsis, le ressenti), qui a été créée à cette époque (KANT).
Il existe en effet plusieurs types d’attitudes et de jugements face à une œuvre d’art :
- L’attitude esthétique, qui correspond à porter un jugement de goût lié à un état subjectif de plaisir suscité par la réception de l’œuvre : “ Ceci est beau = j’ai aimé ”.
- L’attitude critique, qui consiste à porter un jugement normatif sur la valeur intrinsèque de l’œuvre en fonction de critères théoriques : “ Ceci est beau = ceci est conforme aux canons de l’art ”.
Avec internet, média de masse démocratique interactif (Vs unilatéral), le privilège d’accès à la critique cinématographique disparaît :
- Chaque récepteur peut écrire une critique librement et spontanément, sans avoir besoin d’une autorisation spécifique ni d’un titre particulier. L’arrivée de ce média ouvert à tous représente une nouvelle étape de la démocratisation de la critique, particulièrement en affinité avec le cinéma.
- En naviguant sur les sites des films, chaque spectateur peut obtenir des informations, qui auparavant n’étaient accessibles qu’aux journalistes spécialisés.
Au cours des dernières décennies, le cinéma est devenu un bien culturel de consommation courante autant que la culture cinématographique s’est répandue dans la société. Ce phénomène de banalisation de la culture cinématographique se trouve encore accentué par le réseau mondial, qui met à disposition du public de plus en plus d’informations de toute nature sur les films. Il n’y a pas si longtemps, le seul biais par lequel il était possible d’avoir des informations sur le cinéma étaient les magazines spécialisés, avec quelques photos noyées dans des pages de texte. Cette relative rareté des documents sur le cinéma s’est aujourd’hui transformée en une profusion et une disponibilité intermédia (presse, TV, internet, …) proche de la surabondance.
Les avis de spectateur sir internet
Exemples :
J'ai vraiment adoré, au début j'étais sceptique car les films de Disney ce n'est pas trop mon truc mais je ne regrette pas du tout de l'avoir vu.
J'ai rigolé du début jusqu'à la fin.
Un film aussi bien destiné aux petits qu'aux grands. Chapeau aux dialogues et aux images on en oublie que ce sont des images de synthèse...
A voir absolument
Tout simplement génial. Un grand bravo à l'équipe de DreamWorks qui, après "La Souris" et "Fourmiz", continuent de nous faire rire... Maintenant en filant un grand coup de pied dans les contes de Disney Shrek (on citera Blanche Neige qui en prend pour son grade).
Shrek On ne s'ennuie pas pendant ce film permet de bien rire ...Bref, à ne pas louper !!!
Incroyable ! Un film génial, avec de superbes effets spéciaux, des acteurs touchants, une histoire bien ficelée. On ne voit pas le temps passer. En allant voir ce film je ne savais pas qu'il durait 3 heures et bien je n'ai pas été déçue. Merci au cinéma de nous faire vivre autant d'émotions.
Pearl Harbor… c’est beau ?… C’est bien ? Non. Suis-je cruel ? Je ne le crois pas, nous avons le droit d'exiger d'un film, avec autant de moyens, un service minimum. J'ai trouvé Ben Affleck et Josh Hartnett totalement insipides, et ne parlons pas de l'infirmière, une poupée trop maquillée...Le décor (naturel celui-là), les combats et les séquences avec les Japs, font oublier l'ineffable vacuité du scénario (et vlan !).
Mais sur 2h45, excusez du peu, c'est vraiment pas satisfaisant !
Alors si vous voulez alimenter les caisses des Américains en mal de respect et de cirage pour leurs pompes, allez y ne vous gênez pas, faites comme moi, mais je vous aurais averti !!
Les critiques de films rédigées par les spectateurs sur des sites comme Allociné sont très différentes des critiques de professionnels.
De la même manière que l’ouverture de la critique picturale aux profanes avait entraîné un déplacement de la critique sur le ressenti (Vs jugement normatif sur le contenu), les avis de spectateurs portent sur le domaine de la sensibilité et de la capacité de divertissement du film plutôt que sur les critères techniques et intellectuels typiques de la critique traditionnelle.
Le critique spécialisé annule sa position de sujet pour porter un jugement normatif sur l’objet, alors que le discours du récepteur ordinaire est de parler de son propre état de sujet-récepteur à l’occasion de sa confrontation avec l’objet-film. En effet, le récepteur institutionnel occulte la plupart du temps sa subjectivité. C’est par la densité de sa réflexion que le critique professionnel tend à légiférer en fonction d’un savoir, avec une prétention à pouvoir délivrer la vérité sur une œuvre.
En revanche, pour un spectateur ordinaire, écrire une critique n’est pas l’occasion de parler du film proprement dit, mais de parler de son ressenti par le biais des états subjectifs les plus simples : euphorique / dysphorique, positif / négatif.Sans argumentation ni spécification de ce qui suscite ou non le plaisir du récepteur, les critiques de spectateurs semblent parfois se réduire à une suite de “ j’aime / j’aime pas ” assez monotone. L’avis des spectateurs peut paraître réducteur dans la mesure où il consiste à porter le même jugement, quelque soit le film, c'est à dire un jugement soit globalement positif, soit globalement négatif, mais qui n’apparaît pas suffisamment différencié pour être véritablement éclairant sur le film et son intérêt.
En effet, la réception et le jugement esthétique implique d’aller au-delà du simple jugement de goût, en spécifiant ce qui dans l’œuvre a contribué à créer l’impression dominante positive ou négative.
Kant distingue 3 éléments dans le jugement esthétique :
- L’interprétation, qui correspond à la distinction des éléments qui mobilisent l’intérêt esthétique et contribuent au plaisir ou au déplaisir.
- Le jugement de goût, qui correspond à l’expression ultime de l’état subjectif de plaisir / déplaisir suscité par la réception.
- La question de l’universalisation du jugement, qui veut que si une chose est belle, elle doit plaire universellement.
Les informations recherchées par les spectateurs à propos d’un film où d’une œuvre artistique ont trait à ces trois dimensions.
En effet, lorsqu’un spectateur a éprouvé une expérience esthétique forte, il ressent le besoin de se confronter à l’avis des autres pour confirmer son jugement :
- Pour vérifier qu’il n’est pas le seul à penser ce qu’il pense, ou ressentir ce qu’il ressent.
- Pour voir s’il n’y a pas un aspect de l’œuvre à côté duquel il serait passé.
Le jugement de goût est déterminé par la richesse de l’expérience émotionnelle et intellectuelle, dont il est la résultante finale. Pour être véritablement intéressante, une critique doit pouvoir rendre compte de l’interprétation c'est à dire des points clés de l’expérience sur lesquels la satisfaction s’accroche.
La critique, elle, débouche sur un jugement qui n’est pas véritablement un jugement de récepteur dans une communauté de réception, mais tend plutôt à légiférer en fonction d’un savoir, avec une prétention à pouvoir délivrer la vérité sur une œuvre. La normativité du jugement des rares experts autorisés entre en crise à partir du moment où internet ouvre l’accès à une multitude d’autres réactions.
Les avis de spectateurs sont des jugements de récepteurs individuels inscrits dans une communauté de réception. Leur somme tend à renvoyer une image de la réaction globale du public de masse, comme un miroir collectif. L’ “ universalisation ”, c'est à dire la confrontation de son jugement avec celui des autres peut s’effectuer au sein même de la communauté de récepteurs dans laquelle le sujet se situe.
Auparavant, l’universalisation du jugement ne pouvait se faire que de façon aveugle, de proche en proche, par le bouche à oreille (“ je connais le copain d’une copine qui aime / n’aime pas… ”). Avec internet, média démocratique interactif, l’opinion du public est rendue beaucoup plus transparente et se donne à voir sans la médiation de la presse dans les espaces d’expression libres sur les films.
Une synthèse nécessairement immanente
La synthèse de l’avis du public en tant que récepteur collectif ne saurait émaner d’autre chose que du public lui-même : par un phénomène d’autorégulation statistique, la réaction du grand public massif tend a être globalement positive ou négative. Les indicateurs de la satisfaction du public doivent être immanents pour être crédibles.
La synthèse de l’opinion du public ne saurait être le fruit de l’intervention d’un élément extérieur à la communauté de réception, sous peine d’être mise en doute.
Toutefois, le classement d’un film dans une échelle n’est rien d’autre qu’une mesure, ce n’est pas informatif du film, mais de la réaction du public. Pour avoir un indicateur pertinent de la perception d’un film par le public, il faut non seulement une mesure de la satisfaction globale, mais également des éléments de spécification sur le film, qui permettent de se déterminer d’une manière plus précise.
Remarque :
Dans une certaine mesure, l’Observatoire de la satisfaction publié dans la revue Ecran Total et repris sur internet se rapproche du type de synthèse décrit ci-avant, avec :
- Un indicateur quantitatif de la satisfaction des spectateurs
- Quelques éléments de spécification qui éclairent le taux de satisfaction présenté, sous la forme d’un paragraphe “ critique ”, qui a l’avantage d’être synthétique et très compact.
Analyse de contenu des avis de spectateurs
L’analyse d’un corpus d’avis de spectateurs sur internet (Allociné) montre un registre d’expression et d’ “ interprétation ” assez limité, articulé autour de quelques grandes dimensions :
- Les états affectifs subjectifs suscités par la réception du film en salle : “ J’ai passé un bon moment ”, “ ennuyeux ”, “ sympathique ”, …
- Une évaluation de la qualité du film autour de critères plus ou moins variés de définition du genre du film : “ comédie ratée ”, “ bon divertissement ”,… En se basant sur leur réaction, les spectateurs indiquent leur degré de satisfaction par rapport aux attentes génériques suscitées par le type de film.
Par exemple, pour un drame psychologique comme La chambre du fils, les appréciations des spectateurs s’articulent autour de l’aspect dramatique avec la récurrence du mot “ émouvant ” et sur l’aspect psychologique autour du “ deuil ”.
De la même manière, pour le film d’animation Shrek, on retrouve la convocation de quelques critères du genre (humour, qualité graphique, originalité du scénario, …) avec une appréciation qui fait office de note positive ou négative.
La réaction écrite des spectateurs semble toujours prendre place dans le cadre a priori de la réception générique, avec les même repères et les mêmes catégories et ne donne pas lieu a des points de vue véritablement originaux ni à un vrai débat.
La multiplication des critiques de spectateurs sur le site d’Allociné donne l’impression qu’il y a une grande diversité d’avis alors qu’en réalité, il s’agit de réflexions très répétitives et stéréotypées.
Or ce qui peut décider à aller voir un film est l’anticipation d’une expérience riche et positive qui peut être suscitée soit par :
- L’impression qu’il y a un consensus positif en faveur d’un film.
- Un éclairage original qui accroche l’intérêt sur un problème ou un aspect particulier.
Les réactions des spectateurs dans un cadre prédéfini et limité par des critères normatifs flous ne semblent pas de nature a exercer une véritable fonction d’aide à la décision pour les internautes.
Il y a un besoin minimum d’explicitation des éléments sur lesquels la satisfaction s’accroche, dans la mesure où les attentes ne sont pas les mêmes suivant les cibles.
En outre, dans leur appréciation du film, les spectateurs internautes se situent le plus souvent par rapport à une promesse. C’est ce qui explique que les avis sont souvent tranchés dans le positif (“ hallucinant de beauté ”) ou le négatif(“ décevant ”, “ pollution mentale ”, …), avec des réactions souvent emportées et extrêmes. En effet, les critiques de spectateurs tempérées sont rares : à la différence des critiques professionnels contraints de se prononcer systématiquement, les spectateurs n’ont pas d’inhibitions et ne prennent la plume que lorsqu’ils ont quelque chose de fort à exprimer.
Outre les comparaisons avec d’autres films classiques du genre, les spectateurs évaluent parfois les films à l’aune de ce que la promotion ou la presse leur a laissé espérer.
Quand ils s’agit d’un film primé à un festival, les spectateurs se comparent aux juges et se mettent en position de critiques virtuels pour confirmer ou retirer virtuellement la récompense attribuée précédemment par le jury.
Critique des spectateurs Vs des professionnels
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