Dans le cadre de la préparation d'une intervention au sein de l'émission Culture Pub sur les études qualitatives, j'ai demandé à un sémiologue un décodage des principes de l'émission. Il ne s'agit pas d'une analyse en profondeur mais d'un décryptage de quelques minutes.
Voici un compte-rendu de notre discussion.
Magazine présenté par Christian Blachas et Thomas Hervé
Produit par CB News
Durée : 26 minutes
A l’antenne depuis 15 ans.
Plusieurs rubriques :
Ø Une rubrique explorant les dernières tendances de la communication
Ø Une rubrique présentant les dernières campagnes-choc (et leur making-of)
Ø Une rubrique dévoilant le meilleur de la créativité mondiale (planète pub)
Ø En mineur, quelques grands classiques plus effacés désormais : la saga des marques, griffe de la pub (les plus grands talents de la réalisation publicitaire), rétro-pub, l’inédit de la semaine.
2) Décryptage de l’émission en détails
A) le générique
- une succession de logo
Il consiste en une succession de logos, qui sont dans leur forme, dans leur identité visuelle, tout de suite reconnaissables.
La reconnaissance est non seulement immédiate mais aussi globale : tous les téléspectateurs sont concernés.
Les logos sont cependant là détournés, on a Culture Pub à la place des marques a priori reconnues.
Cette succession de logos détournés dit plusieurs choses :
· « vous avez bien reconnu le logo de telle ou telle marque »
· « mais ce ne l’était pas »
Il est donc fait dès le générique une démonstration de la force d’impact des signes.
Il y a dans la communication deux grands éléments :
Ø l’élément fixe/stable, l’invariant visuel : le logo
Ø des éléments qui sont dans le temps indexés sur les produits (les messages publicitaires) : les campagnes qui déroulent le message des marques au cours d’une histoire.
En jouant sur un élément fixe (donc ancré dans les mentalités), il s’agit également de commencer une émission qui concerne une culture avec laquelle nous sommes déjà familiarisés, puisqu’il y a un acte d’identification et de reconnaissance immédiate.
- Un savoir partagé
Le générique parvient à créer un acte de connivence et ainsi une complicité culturelle.
Ce message de connivence consiste à démontrer un « mutual knowledge ».
En effet, cette culture est aussi la vôtre puisque vous la reconnaissez.
C’est donc un savoir l’un dans l’autre, une connivence s’établit et il y a progressivement une culture.
Le titre « Culture Pub » dit clairement que le discours commercial moderne est une culture.
En reconnaissant les logos détournés, chaque téléspectateur démontre qu’il partage cette culture.
Le titre est également mis entre parenthèses, cette indication insinue « tout ce que vous avez vu c’est ça ».
- Une musique ludique
Enfin, la musique crée une ambiance euphorique, connotant le discours commercial actuel de cette dimension ludique et moderne.
La communication est un monde sympathique et vivant, ce qui nous éloigne de la connotation machiavélique du marketing : peut être peut-on y voir une dédramatisation.
B) le sommaire
Les deux animateurs se partagent l’énonciation du sommaire, dans un espace de dialogue, avec des rôles assez distincts.
- Il existe entre les deux une interaction
Christian Blachas |
Thomas Hervé |
+ âgé, + serein, + sage |
+ jeune, + dynamique |
Il annonce frontalement le sujet |
Il fait souvent office de clown |
+ stable > rôle d’annonceur |
+ instable Ø soit il développe le sujet Ø soit il l’illustre à ses propres dépens, il le mime |
Le sommaire est une véritable bande annonce, qui décrit parfaitement leur manière d’aborder la publicité : c’est à dire toujours à travers des tendances.
C) le traitement du sujet
- Evolution de l’angle : du marketing aux tendances
Auparavant, ils envisageaient la publicité dans la diachronie de stratégie des marques (exemple : « la saga des marques »).
Maintenant, leur traitement est plus journalistique, ils cherchent à découper des unités thématiques.
Ils transmettent une image de la publicité qui n’est donc pas celle du marketing.
Ils ont plus évolué vers une culture d’agence (leur esthétique, leur humour, leurs thèmes, leur créativité), une culture de la pub pour la pub.
Cette culture d’agence se différencie de la publicité en tant que construction des marques et de leur stratégie.
En rendant compte de ces problématiques de vagues, de tendances du discours publicitaires, ils se rapprochent du téléspectateur.
Le téléspectateur change ainsi de rôle, il n’est plus la cible du message marketing (une cible touchée ou non). Il peut en effet être intéressé à titre culturel par une publicité, même lorsqu’il n’est pas concerné comme cible.
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le téléspectateur n’est donc plus récepteur destinataire mais récepteur culturel
Leur discours s’est ainsi déplacé d’une explicitation de la publicité (marketing) à une vision journalistique, indexée sur les tendances.
Ils s’adressent au téléspectateur non pas comme analyste (quelqu’un qui réagirait) mais plutôt comme consommateur culturel de la publicité.
Ce n’est en effet pas Capital (magazine expliquant la micro-économie), la publicité n’est pas seulement une stratégie de marque.
L’émission n’est pas destinée à nous apprendre à décoder un message puisque nous ne possédons pas tous les éléments (la marque, son histoire, sa distinction face aux concurrents, sa stratégie, son discours).
Elle a glissé sur un segment plus « actualité ».
Retranscription de l’attitude ambivalente du consommateur face à la pub
Cependant, Culture Pub n’a jamais abandonné l’ambivalence de l’attitude du consommateur face à la publicité.
Pour traduire cette ambivalence, ils présentent à chaque fois un sujet comme ayant deux sens possibles.
Exemple :
« Les femmes qui cognent » :
Ø Soit un nouveau discours sur les femmes
Ø Soit une démagogie pour tromper encore mieux la femme
Ils construisent ainsi leurs messages sur cette double interprétation possible. Rendre compte de cette ambivalence fait donc partie intégrante de leur cahier des charges.
- Neutralité du discours grâce à sa dualité
Le propre de cette neutralité consiste à prendre en compte les critiques pour les désamorcer.
Ils ne résolvent jamais, ils ne concluent pas en général, ce qui leur permet de désamorcer la critique suivante « Invasion de l’espace public par un message commercial privé ».
Ils font toujours ressortir la dualité du discours :
Ø en phase avec la société
Ø mais machiavélique
En jouant sur cette ambivalence, ils dénoncent en filigranes la manipulation d’un discours intéressé et non gratuit.
Culture Pub, c’est avant tout le plaisir des formes, des couleurs, de l’esthétique du logo.
C’est donc à ce titre une émission culturelle qui préfère faire sa part de façon démagogique aux dénonciations du discours marchand plutôt que rendre compte d’un travail d’analyse (comme Capital).
Ils ne permettent pas de comprendre puisque c’est toujours le même message.
C’est l’actualité de la culture publicitaire sans être une veille internationale.
Ce n’est donc pas un travail de réflexion sur des publicités déjà vues mais une démonstration de l’étendue de la publicité (« on vous montre des pubs que vous n’avez jamais vues ! »).
Ils insistent avant tout sur le plaisir de la découverte (et non sur le décryptage du message).
La voix off joue d’ailleurs un rôle primordial dans cette dualité du discours : en effet le langage est sophistiqué, le ton un tantinet intellectuel, il donne ainsi l’impression d’une vraie réflexion sans jamais entrer dans la stratégie de marque, puisqu’ils ne donnent jamais de réponses.
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Culture Pub est avant tout un discours d’acculturation générale sur la publicité.
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C'est vraiment très bien, très bien vu, très ludique ! Merci pour la mise à disposition de cet article.
(c'est un compte rendu que vous aviez rédigé à l'époque de Culture Pub sur M6 ?)
Rédigé par : Michael | 12 mars 2009 à 16:04
Oui juste avant d'être interrogé dans cette émission sur les études qualitatives (j'ai été filmé en train d'animer une réunion avec des spectateurs de Culture Pub)
Rédigé par : Daniel Bô | 12 mars 2009 à 16:18
C'est passionnant ! Merci pour cette analyse très pénétrante. Comme quoi, parfois pas besoin de faire de long discours !
Rédigé par : Emmanuel Bruant | 19 mai 2009 à 10:52