Le dogme de l’intouchabilité du logo
On dit souvent que le logo d’une marque ne doit pas être modifié. On estime qu’il doit durer près d’une décennie et on juge maladroits ses changements fréquents, reflets d’une incertitude ou d’une instabilité de la marque. Ce postulat et ce tabou reposent sur trois ordres de considération.
- A) La distinction entre signes codés et non-codés.
Un message ordinaire, dans la mesure où il suppose un émetteur ayant l’intention de communiquer une information, ne peut pas être intégralement codé. Sa signification ne dépend pas uniquement du code, mais également de l’interprétation de l’intention de l’émetteur et du contexte de la communication. A l’inverse, certaines informations ne sont pas dépendantes de l’interprétation d’une intention, mais sont intégralement codées dans le signe. C’est le cas des logos et de ce qu’on appelle la “signalétique”. En ce sens, un logo n’est pas un message. Il appartient aux signes codés.
L’expression visuelle de l’identité d’une marque ou d’une institution est étroitement codée au sens où l’association entre le signifiant et le signifié y est rigide : elle ne laisse aucune place à la variation, aux jeux de l’intentionnalité et du contexte. Cette “rigidité” est justement nécessaire pour remplir la fonction de l’expression visuelle : la marque reste identique à travers le temps, aussi la rigidité de son expression correspond à cette permanence, l’exprime et la sert.
- B) La fonction symbolique des codes d’expression
Les codes visuels de la marque, ne servent pas principalement à délivrer des messages, mais à reconnaître une identité. Lorsque l’identité est en jeu dans la communication, on a affaire à une communication symbolique. Ce que signe le logo, c’est non seulement certaines valeurs propres à la marque, mais sa pure et simple identité (c’est elle, et pas une autre, elle, la même ici et là, la même hier et aujourd’hui), comme le nom propre ou la signature. Or tout symbole d’identité possède un aspect fétichiste: le signe et la chose deviennent indissociables, le signe emporte un morceau de la chose et la chose se nourrit de son symbole. Le tabou sur l’identité se transforme en tabou sur son symbole. Attenter au symbole, c’est attenter à l’identité. Ici aussi, le tabou de l’identité symbolique est inévitable, et c’est une source du dogme de l’intouchabilité du logo.
Cependant, il y a une troisième raison au dogme de l’intouchabilité, qui paraît devoir être mise en cause.
- C) L’héritage d’une culture du support fixe
Ce dogme, érigé pour préserver la permanence de la fonction d’identité, ne l’a été sous cette forme que conformément à des conditions (historiques) d’inertie des supports. Il n’est cohérent qu’avec une situation sémiotique, où la pérennité de la marque coïncide avec la fixité visuelle d’une inscription sur un média inerte. Or avec les supports audio-visuels et l’image en mouvement, il n’y a plus de raison de ne pas attacher la fonction d’identification à des signifiants eux-mêmes audiovisuels et mobiles.
Dès lors que le support est intrinsèquement mobile -- comme la télévision, le cinéma, et la vidéo informatique, cette loi d’intouchabilité du logo devient contradictoire avec la nature du support.
Avant d’illustrer les conséquences de cette situation nouvelle, il faut mentionner un autre aspect très important du logo : la façon dont il combine les deux modalités de l’image et du mot. C’est important pour mesurer la signification des logos animés et la nature de leur animation.
Le logo: un signe multimodal
L’art du logo commercial consiste en la création de caractères synthétiques servant la perception immédiate d’une identité . On reconnaît au passage la vieille fonction d’abréviation des anciens “arts de la mémoire”. Grâce à une concision elliptique de traits, elle permet de noter de façon extrêmement économique – c’est-à-dire d’un seul signe -- des entités sociales très complexes. Mais ce caractère “synthétique” ne se réduit pas seulement à sa fonction de notation abrégée, il se repère également en deux autres aspects du Logo : le fait qu’il réalise une synthèse des “matières d’expression” du mot et de l’image d’une part, et qu’il condense d’autre part plusieurs “couches” sémantique distinctes, à l’instar d’une métaphore.
Le logo allie deux matières d’expression : dessin et mot, image et texte. Or les régimes de l’écriture phonétique et de l’image sont normalement séparés, et s’ils s’adressent bien tous les deux à l’œil, c’est selon les deux modes distincts : le visible et le lisible. Unissant texte et image de façon à en composer un “caractère”, un signe unique, le logo transforme les graphèmes (les lettres à lire) en figures (en images à voir). Il n’use des lettres que calligraphiées et
spatialisées, et rompt avec la linéarité de l’écriture. Proche d’autres formes de spatialisation de l’écriture, telles que la calligraphie, les lettres historiées des manuscrit médiévaux ou les monogrammes, il réalise un compromis entre les deux modes du voir.
Ce caractère mixte (visuel-acoustique) n’est pas étranger à ses virtualités “emblématiques”. On a en effet eu raison de souligner que le logo « devait loger en lui un peu d’énigmatique » (Dagognet). Car c’est une caractéristique essentielle du Logo que cette “transformation” réciproque du texte en image et de l’image en texte s’effectue au sein d’un travail de “resémantisation” qui s’appuie sur l’iconicisation des mots.
Que son mode d’appréhension synthétiquement lisible/visible fasse déjà de lui un signe multimodal, les logotypes audiovisuels animés de la télévision ou du cinéma qui en réalisent le perfectionnement et l’achèvement, le confirment après-coup. Et aujourd’hui, nous pouvons interpréter rétroactivement sa plasticité et sa multimodalité comme une préfiguration de sa susceptibilité d’animation audiovisuelle requise par l’hégémonie des médias de l’image mobile. Venons-en maintenant à nos illustrations.
Les deux pôles de la communication et leur immixtion audiovisuelle
Le spectre des manifestations de la marque est polarisé entre deux extrêmes: d’un côté un pôle fixe, rigidement codé, d’identité visuelle pris en charge par les packagings, logos, et codes chromatiques et signalétiques; et, d’un autre côté, un pôle de messages publicitaires occasionnels, qui actualise les fonctions discursives et narratives, et se sert notamment d’images en mouvement.
L’idée est que ces deux pôles se rapprochent et s’interpénètrent grâce à l’image en mouvement du média TV. Entre ces deux pôles, on constate aujourd’hui l’existence de tout un éventail de formes hybrides où les codes fixes d’identité s’interpolent dans les messages des campagnes publicitaires, et où, inversement, des éléments de narrativisation et d’animation viennent altérer les symboles jusqu’ici fixes de l’identité commerciale. On observe un “continuum” de modalités d’expression. D’un côté, l’identité visuelle tend à se transformer en une identité audiovisuelle intégrée et dynamique, et, de l’autre, des éléments de codification visuelle de la marque tendent à s’intègrer aux récits publicitaires.
On peut illustrer cela avec des exemples de “logos animés” tirés de 2 domaines : les pré-génériques de films et les signatures publicitaires (on pourrait y ajouter les habillages de chaîne, les génériques d’émission ou les billboards de sponsoring).
- A) Les pré-génériques de films
Partant d’un logo qui a une existence statique préalable, on pourrait introduire des facteurs d’animation de ce logo. Cette animation peut prendre d’abord un caractère purement formel, où l’on ne fait que “jouer” par exemple avec les lettres du mot, où on les fait danser sur l’écran ou bien où l’on se livre à un jeu de permutations de couleurs. Une telle chorégraphie des lettres et des couleurs du logo n’aurait en elle-même encore aucune signification. Elle permettrait simplement d’éviter, à moindre frais, la sorte d’incongruité sémiotique qu’il y a dans le fait d’occuper pendant un certain laps de temps l’écran d’un média-d’images-en-mouvement d’une manière purement statique. C’est ce qu’illustre le logo d’UGC où les lettres-blocs solidifiées s’agencent pour former les initiales UGC. Mais ce n’est là qu’une première étape dans la temporalisation de l’identité visuelle.
Or l’animation peut n’être plus seulement formelle. Elle ne relèvera plus d’une simple syntaxe, mais acquerra un caractère sémantique . Le “jeu” aura une fonction narrative, il relatera une histoire. Dans le cas des pré-génériques de films, ce qui est signifié, c’est le média lui-même. En effet, les producteurs se trouvaient dans la situation originale de n’avoir pas à transcrire sur un écran mobile un logo de marque ayant une existence statique préalable (sur des packagings), mais étaient confrontés à la nouvelle tâche de créer un logo directement adapté aux conditions de l’écran cinématographique. Pour la première fois, on avait directement affaire à quelque chose comme un “packaging temporel”. Le logo du producteur devant exprimer la nature de son activité – le cinéma –, il se trouvait devant la situation nouvelle où un logo de marque devait signifier un produit qui est, en tant que tel, un nouveau média : le cinéma..
Il le fait en parlant de l’écriture de la lumière, métaphore cinématographique du vieux symbole mystique d’une écriture de feu (les étoiles), pour ce qui est du “mode de production” de l’image cinématographique. C’est ce qu’illustrent exemplairement les logos d’AAA et d’Orion ou même de façon plus allégorique le mythe luciférien (porte-lumière) de la Columbia. Il le fait également en parlant du “transport” du spectateur dans l’univers onirique du film, grâce à des procédés d’implication psychologiques tels que le “zoom” d’un ancien logo animé d’UCG qui fait pénétrer vertigineusement dans un autre monde (le générique du JT TF1 20 heures repose sur un procédé semblable). Et il n’est pas inutile de remarquer également ici que ce procédé, dans le cas du pré-générique de cinéma (on l’observe dans le cas de Gaumont ou AAA) est propre au cinéma, puisqu’il comprend certains types de mouvements spécifiques à la caméra comme le recadrage.
En même temps que le pré-générique met en scène la genèse d’une écriture, il réalise pragmatiquement une opération de transformation du mode de relation à l’écran. Dans un premier temps, les “lettres”-blocs ne sont encore que des images visibles induisant chez le spectateur un mode perceptif qui est celui de la visualisation d’images, tandis que dans un second temps, ces “images” se sont progressivement composées en un texte lisible induisant un mode “lecture”. Le logo intègre ainsi structuralement la dimension du temps. Le temps joue alors un rôle fonctionnel, celui du shifting progressif des modes de relation à l’écran. L’opération actualise selon une succession temporelle la double “modalité” qui appartient à tout Logo, cela dans une transformation qui oblige le spectateur à modifier en acte son attitude perceptive et mentale.
- B) Les signatures publicitaires (exemples de 1992)
Le packshot final des films publicitaires consiste le plus souvent à surimprimer des logotypes au moment de la chute du spot : l’image se fige et la marque vient s’inscrire au milieu de l’écran (Chambourcy). Mais ce procédé est assez pauvre.
Quelques moyens d’échapper à ce simple plaquage du logo, consistent à filmer la signalétique de la marque “en situation” sur le produit et par conséquent d’exploiter la présence antérieure du logo sur son support traditionnel, le produit et son packaging : on fait d’une pierre deux coups. Au-delà d’une signalétique abstraitement présentée sur son support vidéographique effectif, sa mise en scène “en situation” sur le packaging permet de lui assurer un “support matériel” de second degré et ainsi de réifier sa présence, de l’incarner. Mais cette solution souffre précisément du défaut de la fixité du logo traditionnel sur les supports inertes !
C’est pourquoi, une solution un peu plus élaborée consiste à mixer le packshot avec une animation synthétique du logo. L’effet de zoom (ou d’autres manipulations et effets synthétiques) d’un logo qui s’extrait du packaging ou part d’un coin, et grossit en s’avançant pour occuper tout le champ est une forme élémentaire (Bic, Panzani). Ou encore d’animer le packaging lui-même comme la pile Duracell. Mais cela est encore statique et formel, le logo reste une image fixe inaltérée.
Avec les cas d’exploitation de l’effet-lumière sur un logo, dont la “matérialité” mystique des lettres est suggérée par contraste avec le jeu des reflets lumineux sur leur surface, on passe déjà à une forme plus élaborée puisque la marque est magnifiée par cette métaphore de l’étincelle de vie (très proches des logos de producteurs de cinéma). Les 3 étoiles étincelantes de Gourmet viennent s’aligner et se déposer sur la boîte avec leur effet de phosphorescence “magique”; Un rais de lumière resplendissante balaye le sigle métallique d’Honda; Une luminosité vivante ondoie sur le logo de Nintendo.
On fait encore un pas supplémentaire dans le sens de l’incarnation du logo lorsqu’on utilise un support intermédiaire (l’étiquette, le drapeau), lui-même de caractère symbolique (réalisant ainsi une ébauche d’hypermédia: un média dans un autre média: le drapeau sur l’écran, l’étiquette sur le drapeau, etc.). Ainsi, BP ou Iglo signent leurs spots avec un drapeau qui flotte. Cette mise en scène fait sens en rappelant le fanion, qui flotte au-dessus des stations service. L’intérêt de ce procédé est de réaliser un compromis intéressant: il satisfait à l’impératif selon lequel, comme un kaléidoscope ou une eau agitée, l’écran TV doit toujours être animé , que le mouvement ne doit jamais le quitter, et cela sans que pour autant le logo (en tant que type) ne soit touché ou modifié en tant que tel. L’animation de son support – matérialisant une de ses occurrences – se substitue avantageusement à l’animation du logo lui-même, et permet ainsi de contourner le tabou. Cette substitution se retrouve également lorsque l’entrée dans le champ de l’étiquette permet d’incarner celle du logo, comme dans le cas du saucisson Pierre Bertrand.
Le changement de nom Raider/Twix a fourni un cas exemplaire de mise en situation du logo sur des objets réels. En l’occurrence, l’apposition des logos sur des supports vestimentaires à double-face (casquette, éventail, veste…) a permis de visualiser la substitution : en tournant la tête la casquette passe de Raider à Twix, comme si ces deux marques étaient les deux facettes d’un même produit.
Le stade ultime de l’incarnation, c’est celui où la calligraphie du nom de la marque a l’aspect d’une empreinte gravée sur la matière même du produit. Lindt, qui a intégré au sein du spot confiserie le moulage de son logo en chocolat montre qu’on peut s’appuyer sur la matière du produit pour évoquer la marque. Il en va de même du savon Dove. Il est significatif que dans les deux cas de Lindt et Dove, on ait affaire à une marque dont le nom est quasi-manuscrit ou calligraphié et dont le produit est un fluide moulé et solidifié. Le processus de fabrication, symbolisé par la solidification, se transfigure en empruntant le thème de la création, du passage de la confusion à l’ordre. Amorphe au départ, le nom de marque, d’abord dilué et indistinct, prend forme sous nos yeux pour devenir totalement lisible et distinct, comme la signature que le créateur appose finalement à son “œuvre”. C’est le processus inverse de celui de la “fusion”. Ce qu’il importe de remarquer ici, c’est que le graphème (les lettres) échappe à son principe ordinaire de commutation discontinue du digital, pour adopter le principe de la métamorphose continue, qui est propre à la figure, à l’icône analogique.
Cette métaphore de la création, sous la forme du passage du désagrégé à l’agrégé, du désordre à l’ordre, on la trouve également dans les spots Ducros, où le logo apparaît en surgissant d’une multitude d’épices qui s’agencent astucieusement pour donner forme au logo de la marque. Il serait faux de croire que ce type d’animation ne comporte aucune dimension narrative. Le déroulement de ce “jeu” étant soumis à l’asymétrie temporelle, il y a bien là un “récit” niant le principe entropique d’irréversibilité des processus physiques et la direction de la flèche du temps. C’est un “miracle” qu’instaure la marque dans cette “projection à l’envers”, une remontée du désordre à l’ordre qui produit une “information” : la victoire de la lisibilité et la défaite du désordre. C’est aussi l’acte d’écriture, déjà analysé sur les pré-génériques de films, et qu’on va retrouver sous d’autres formes dans les signatures publicitaires.
Mais on passe réellement à un procédé différent lorsque l’un des éléments figuratifs du logo est animé de façon narrative -- c’est-à-dire conformément à la nature de ce qu’il représente. On retrouve ainsi l’esprit du “lion rugissant” de la MGM ou du Coq de Pathé, qui permettait, pour un producteur de cinéma, de signifier d’une part la nature “photographique” de l’image, et d’autre part un média d’audiovision intégré, grâce à l’indexation du son à une origine sur l’image, dans le champ. Le clin d’œil de la Vache qui rit ou de la Grand-Mère des Cafés Grand-Mère, le mouvement de la vague Harpic, ou le coq de Kellog’s Corn Flakes constituent des animations très simples, mais qui altèrent effectivement la figure présente dans le logo. Bien sûr, ces animations narratives sont motivées. Ces signatures fournissent l’occasion de raconter une petite histoire autour du logo, des micro-récits participant à la sémantisation de la marque. Le Coq de Kellog’s entame son chant matinal (pour le petit déjeuner), l’ondulation de la vague Harpic nie l’eau stagnante.
Le déroulement de la signature anglaise de Konica rappelle le processus photographique : la barre du K s’allume avec un bruit de flash et le reste du nom se déroule comme une pellicule après la prise de vue. En finissant chacun de ses spots par le grossissement de la coiffe de son personnage, l’Alsacienne apporte également une dimension narrative à l’animation de son logotype. Soulignée par la phrase “si l’Alsacienne a de grandes oreilles, c’est pour mieux écouter les gourmands”, cette signature audiovisuelle rappelle le message fédérateur de la marque de biscuit. La dimension narrative d’habitude réservée à la partie publicitaire du spot touche ici la signalétique. En “narrativisant” son logo, la publicité charge de sens l’identité de marque, la nourrit et la sémantise.
Ce type d’animation suppose généralement la présence d’un “personnage” emblématique de la marque et exploite souvent le procédé de la “fenêtre” – médium de l’apparition et de la présence – dans laquelle ce personnage s’inscrit. La stabilité de cette fenêtre garantit un cadre fixe à l’animation du seul personnage, ce qui permet d’éviter ici encore une métamorphose complète du logo dans son ensemble. Elle impose des limites salutaires au jeu. C’est pourquoi ce genre d’animation produit un effet de connivence, comme le symbolise très bien le clin d’œil, parce que la fragment narratif n’est qu’une dérogation partielle et momentanée à l’intangibilité hiératique du logo, le message de complicité, d’ironie ou d’humour restant par définition limité comme une “scansion”, un battement, ou un trait d’esprit de la marque.
Cependant, déjà avec l’exemple de la pellicule Konica, on n’est plus dans le simple clin d’œil. Le processus de réification du logo atteint son maximum et son animation est intégralement narrativisée. Alors qu’avec Playtex (qui de façon auto-référentielle “joue avec le texte”), il s’agit encore d’agencer une écriture à partir d’un “ballet” de lettres figuratives non encore lisibles, où le texte de la marque n’est animé que de manière formelle, il s’agit avec Konica de mettre en jeu un mythe de la lumière (inhérent à la photo-graphie). avec un logo entièrement “réifié” (métamorphosé en chose) et constitué en récit. Mais on respecte ici toujours le principe selon lequel, malgré toutes les métamorphoses que subit le logo, la manipulation actualise progressivement le texte pour aboutir, en son point d’arrivée, à un “moment de fixité” nécessaire à la lecture.
C’est le sens de toutes les animations de logo fondées sur la métaphore de l’écriture : sous nos yeux, le logo s’écrit. Ainsi de Playtex, ainsi aussi de British Télécom, où les petits bonshommes formant une chaîne (la communication ou la solidarité) se transforment en texte. C’est le principe d’une chorégraphie des groupes humains qu’utilisait déjà le ballet de cour allégorique de l’âge baroque pour signifier le corps mystique du Prince. Voir également British Airways. Les entreprises de services – où le collectif humain a plus d’importance que les produits – ont finalement ainsi plus de facilité que les produits à jouer avec leur identité visuelle car elles n’ont pas à extraire leur logo d’un packaging. Pour d’autres services, certaines publicité TV vont jusque consacrer la totalité du spot à raconter le logo. Le spot AGF, sur fond de Boléro, transforme les lignes représentatives des analyses économiques (orageuses) de la société d’assurance et met les courbes discordantes à l’unisson en dessinant les lettres de son logo.
Toujours, l’écriture suppose la stabilité finale dans le moment de lecture. Or, de façon plus radicale, le logo d’Electrolux renverse ce principe et inverse les points d’arrivée et de départ de la manipulation, puisqu’il s’agit dans son spot d’une dés-écriture et d’une dé-signature : la marque d’aspirateur est engloutie dans son produit. Réifiée comme “nuage de poussière”, elle est avalée par l’aspirateur.
Conclusion: l’origine de la fixité du logo traditionnel
Le logo traditionnel en tant que “caractère” fixe relève d’un mode de marquage de l’identité indexé sur la forme statique et objective du “produit” (la chose). A des produits “substantiels” ayant la forme de “choses” ou d’ “objets”, correspond une écriture statique : celle du “caractère” inscrit sur le produit ou le packaging et reproduit par simple duplication . Ceci n’est pas fortuit. C’est un fait d’anthropologie et d’histoire parallèle à celui qu’on peut retracer dans le cas de l’argent dans son processus d’immatérialisation progressive, des coquillages et des pièces de métal frappées jusqu’aux billets de banque et aux flux d’écriture électronique. Il y a une affinité fondamentale entre l’écriture fixe et la “chose”. Il est normal que le “marquage” des produits-choses soit l’écrit lui-même. On sait en effet qu’avant d’être une transcription du langage parlé, l’écriture a d’abord été une technique d’enregistrement de listes, de nomenclatures, et d’étiquettes administratives et commerciales, dont les fonctions étaient indépendantes de celles dévolues à la parole. D’autre part, l’importance de l’invention de l’écriture est qu’elle évite d’avoir à mémoriser les énoncés “importants”: “visuellement enregistrés” par l’écriture, ils rejoignaient les autres produits de la technique, en devenant de véritables artefacts que l’on pouvait stocker comme les autres.
L’origine de la fixité du logo traditionnel réside donc dans le fait qu’il fallait au signe, pour garder sa “permanence”, qu’il soit inscrit sur un registre capable d’en conserver la mémoire. Cette permanence fut confiée à la résistance d’un support matériel solide et relativement inaltérable, c’est-à-dire qu’elle reposait sur la capacité (physique) du média auquel était confiée l’écriture de résister au temps au-delà du moment de son émission. On voit qu’elle était rattachée aux propriétés matérielles d’un média inerte.
Mais s’en tenir toujours là aujourd’hui, c’est ne pas prendre en considération les nouvelles conditions médiatiques – ou ce qu’on peut appeler l’“écologie cognitive” – de l’ère audiovisuelle et informatique, et le rôle qu’y jouent les images en mouvement. Or, l’identité des marques ayant été jusqu’ici solidaire d’une technologie et d’une culture du support fixe, cet héritage est aujourd’hui progressivement et de fait réévalué à la lumière des développements d’une technologie mentale et médiatique associée aux langages audio-visuels en mouvement. La double hégémonie du support fixe et de la forme réifiée du produit est mise en question par la nouvelle culture audiovisuelle, et cela nous engage à réviser certains aspects du dogme de l’intouchabilité du logo. Les marques doivent de plus en plus intégrer dans leurs systèmes d’identité la dimension du temps, le mouvement et la synergie son/image. A des formes plus “immatérielles” doit correspondre une écriture plus en affinité avec leur “mode d’existence technique ou matériel”: à l’ère des flux, correspond une écriture plus dynamique en affinité avec le média TV.
Daniel Bô et Raphaël Lellouche
(Intervention à l’IREP en 1992 – article inédit)
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