Y a-t-il une fatalité à ce que, sous la pression ambiante, les marques s’enferment dans le green-washing, avec des discours stéréotypés et fortement teintés d’opportunisme aux yeux des consommateurs ? Certainement pas nous dit Daniel Bô (QualiQuanti), qui nous invite à adopter une vision très large du Good, permettant aux marques d’exploiter la valeur ajoutée spécifique à leur secteur d’activité tout en déployant leur propre singularité.
MRNews : Les marques sont aujourd’hui invitées et même sommées à œuvrer dans le sens du Good. Doivent-elles s’y plier ? Pourquoi et comment ?
Daniel Bô (QualiQuanti) : Les marques n’ont pas vraiment le choix, il y a le feu à la planète ! Elles doivent s’impliquer mais de façon concrète. Sur le plan environnemental, il faut encourager la sobriété. Cela passe par de l’exemplarité et la pédagogie. Les économies d’énergies sont à notre portée (réduction du chauffage la nuit et de la climatisation mais aussi lavage à basse température). Il y a des gens qui mettent la clim pour leurs animaux mais aussi leurs plantes vertes. Les marges de progression sont importantes. Dans l’étude Brandgagement que nous réalisons avec Tilt by Kea, nous avons constaté que l’appétence pour les éco-gestes stagne. Les gens ont l’impression d’agir déjà beaucoup sans avoir la garantie que c’est vraiment utile. Sur le vrac, les motivations s’émoussent. Le temps à consacrer pour acheter en vrac (pesage, transport, étiquetage des bocaux, rangement) freine la généralisation de cette pratique. Sur le tri des ordures ménagères, un reportage de Zone Interdite (M6) a montré des services de voieries, qui mélangeaient les déchets de poubelles jaunes et vertes. Le consommateur peut s’interroger sur l’effort qui lui est demandé. Dans un autre reportage, on voyait que la prise en compte du poids des ordures dans la facture était un indicateur motivant. Il va y avoir un gros chantier avec la mise en œuvre de la loi sur le compost à partir de janvier 2024.
Les marques n’ont pas vraiment le choix, il y a le feu à la planète ! Elles doivent s’impliquer mais de façon concrète.
Et sur le plan sociétal ?
Dans RSE, il y a le S de la responsabilité sociétale qui intègre les relations et conditions de travail, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, le développement local. Il faut avoir une vision large de ce qu’est le Good qui intègre la qualité de vie. Agir pour une plus grande qualité de vie, c’est réduire les nuisances externes. Le bruit en est une, extrêmement importante. En zone urbaine, est-ce normal qu’une moto puisse réveiller des milliers de personnes ? Ou que certaines sirènes sonnent en pleine nuit alors que tout le monde dort. Dans une étude pour le CNM sur les spectacles musicaux, nous avons une multitude de points d’amélioration dont les toilettes, les vestiaires mais aussi la maitrise inégale des décibels des salles de spectacle, qui peuvent générer des problèmes d’acouphènes. Il y a aussi la façon dont les entreprises traitent leurs salariés âgés (employabilité, fin de carrière, santé, club des retraités) et jeunes (accueil, formation, équipement télétravail…) mais aussi leurs clients et prospects. On devrait pouvoir mieux se défendre contre la prospection téléphonique systématique effectuée par certaines entreprises, qui imposent des appels non sollicités à répétition, que ce soit au bureau ou à la maison. Le service Bloctel n’est pas respecté. Il faut une attention au temps des consommateurs, collaborateurs, fournisseurs car le temps est une richesse. Le temps bien employé est une valeur ajoutée pour tous.
La responsabilité sociétale ouvre un champ extrêmement large…
Absolument ! Cela recouvre aussi le thème de la sécurité. Les fabricants de jouets veillent à ce qu’ils ne présentent pas de danger pour les enfants, surtout les bébés qui peuvent ingérer des petites pièces. Mais on pourrait également évoquer les trottinettes électriques, dangereuses pour les utilisateurs et pour le public en général. Les marques ont un volet d’action pour faire la pédagogie de l’utilisation de leurs produits. Pour des questions de sécurité, mais aussi pour des usages plus responsables, moins gourmands et plus propres. C’est vrai pour beaucoup de secteurs, où les marques peuvent aider les consommateurs avec des modes d’emploi et des tutoriels.
Un autre territoire consiste à aider les gens à se maintenir en bonne santé le plus longtemps possible. En promulguant les bonnes pratiques, qu’elles relèvent de la nutrition, des activités sportives ou de la lutte contre les addictions. La compagnie G7 pourrait mettre en œuvre un programme pour aider les chauffeurs qui fument à arrêter le tabac au bénéfice des conducteurs et des passagers. Il y a aussi l’empreinte esthétique des entreprises et des collectivités locales : architecture des bureaux et des boutiques, valeur esthétique des espaces, qualité de l’éclairage des lieux. L’impératif écologique et utilitariste ne doit pas faire oublier l’ambition de créer des lieux beaux et agréables à vivre.
Les entreprises doivent agir dans le sens du Good et du développement durable. Mais également préserver et si possible développer la singularité de leurs marques. Comment gérer ce double impératif ?
Nous constatons une lassitude du public face aux messages des entreprises qui clament leur engagement sur le thème du « Green ». Les marques doivent œuvrer pour des valeurs universelles, comme la protection de la biodiversité ou la réduction des émissions carbones. Mais aussi avoir des territoires originaux. Avec Alexandra Marsiglia, dans le cadre du livre Brand Culture, nous avons définis 6 critères clés pour établir une stratégie RSE.
Au fond, les alternatives sont claires. Soit les marques s’enferment dans un discours stéréotypé́, avec des messages prévisibles, typiques du greenwashing. Et celui-ci ne suscitera que de l’indifférence, voire un soupçon d’opportunisme. Ou bien elles évoquent les actions et la réalité concrète de l’entreprise, avec transparence et humilité́, en présentant les réussites, mais aussi les échecs, ce qui doit être mieux fait…
Soit les marques s’enferment dans un discours stéréotypé́, avec des messages prévisibles, typiques du greenwashing. Et celui-ci ne suscitera que de l’indifférence, voire un soupçon d’opportunisme. Ou bien elles évoquent les actions et la réalité concrète de l’entreprise, avec transparence et humilité́, en présentant les réussites, mais aussi les échecs, ce qui doit être mieux fait…
Voyez-vous des exemples pour illustrer ce point ?
Je trouve formidable les initiatives en faveur de l’accessibilité d’Ikea et de Microsoft. Face à l’interdiction du jetable, il y a la vaisselle réutilisable de Mc Donald. Il y a nombre d’initiatives dans l’univers de la distribution, et ce sur des axes variés. Avec des efforts pour l’accueil de certains publics, des personnes âgées ou souffrant d’autisme. Ces acteurs comme U proposent des solutions pour le recyclage des bouteilles voire des solutions de consigne. Ils favorisent les fournisseurs locaux, ou l’emploi de jeunes de la région. Tout ce qui tourne autour de l’implication dans la vie locale est clé pour ces acteurs. Pendant la crise sanitaire, certains ont soutenu les restaurateurs proches pour les aider à vendre des plats à emporter.
L’univers de la télévision est inspirant. Les chaines publiques en Europe affichent leur rôle sociétal dans leurs raisons d’être. Voici quelques exemples : refléter la diversité des points de vue, soutenir le processus démocratique, contribuer à élever le niveau de connaissance des gens, produire un sentiment de cohésion sociale, porter l’identité du pays, valoriser les spécificités des régions, aider à rompre la solitude mais aussi faire travailler le tissu des professionnels et des créatifs. Ces combats sont partagés par la plupart des acteurs européens. Les problématiques sociétales sont souvent sectorielles avant d’être spécifique à telle ou telle entreprise. Des observatoires internationaux sur les raisons d’être et les solutions pour l’environnement par secteur sont très fructueux.
Venons-en au rôle des responsables études dans les organisations. Quels axes vous semblent intéressants ?
Un axe concerne le chantier de réflexion sur la raison d’être des marques et leurs combats au quotidien. Cela suppose de bien appréhender la vision des collaborateurs. Je recommande de travailler sur des effectifs limités avant d’interroger l’ensemble des collaborateurs. Il est plus efficace d’y venir dans un second temps, pour valider et enrichir des pistes identifiées. Sur les questions de raison d’être, la méthode des noyaux de singularité développée par Patrick Mathieu est très pertinente : https://patrickmathieu.net/fr/singularites
Un autre axe concerne les contenus autour de la démarche RSE de l’entreprise et du bon usage des produits. Il y a aussi beaucoup à faire pour améliorer l’information produit, ce que nous appelons product content avec un blog dédié : https://productcontent.fr. Il s’agit de bien expliquer ce qu’il y a derrière l’étiquette, l’origine des ingrédients, le processus de fabrication, le sourcing, etc. Le nudge est adapté pour réussir à modifier des comportements gouvernés par les habitudes.
Les études doivent aider pour faciliter la vie des utilisateurs, leur faire gagner du temps, favoriser les rencontres et susciter l’entraide. Nous avons beaucoup exploré les attentes des plus de 65 ans et constaté combien la crise sanitaire avait généré un repli sur soi, une baisse des activités sociales, associatives et culturelles. Les entreprises ont une responsabilité de prendre en considération ce public fragile, qui a parfois des difficultés avec les outils numériques. La longévité humaine et le vieillissement est au cœur du développement durable. La préoccupation sénior doit progresser.
Les consommateurs semblent preneurs d’une aide des marques pour adopter des gestes plus vertueux. Marie-Christine Renault et Sonia Langlet l’avaient évoqué dans cette interview.
Tout à fait. Les marques ont notamment un vrai champ d’action sur la définition d’indicateurs utiles pour les consommateurs, du nombre de décibels à l’indice de sucrosité du vin. Pour choisir les produits et services, les consommateurs ont besoin de repères. Le contenu éditorial peut aider à comprendre les fonctions des produits et à comparer. L’étiquetage des denrées alimentaires est de plus en plus précis et détaillé (liste des ingrédients, origine, DLC, mode d’emploi, déclaration nutritionnelle, présence d’allergènes, etc). Ces informations demandent de l’expertise pour être utilisables. D’où l’utilité d’indicateurs synthétiques sur les qualités nutritionnelles.
Les marques ont notamment un vrai champ d’action sur la définition d’indicateurs utiles pour les consommateurs, du nombre de décibels à l’indice de sucrosité du vin. Pour choisir les produits et services, les consommateurs ont besoin de repères.
Dans le domaine des appareils électriques, il faut être ingénieur pour comprendre les spécificités techniques. La puissance des sèche cheveux s’exprime en watts (de 1000 à 2500 W) mais aussi en vitesse (Le Rowenta monte à 160 km/h) ou en volume d’air (grâce à un volume d’air de 41 litres par seconde le Dyson Supersonic sèche une chevelure longue en quelques minutes). Cela suppose de réaliser des études pour identifier les indicateurs les plus pertinents et trouver la meilleure façon de les vulgariser. Dans l’étude Brandgagement, j’ai été frappé par l’intérêt de la notion de Made In France qui motive les Français. Mais sa portée est limitée par sa complexité. Est-ce qu’on parle de l’origine des matériaux, du pays d’assemblage, de conception ? Certaines entreprises s’expriment en nombre d’emplois directs et indirects exclusifs.
Une dernière question enfin, même si l’on sort un peu du domaine des marques. Vous insistez sur la nécessité pour le monde des études lui-même d’aller vers plus d’éco-responsabilité. Comment ?
Une des clés pour nos métiers, c’est la bonne volonté des consommateurs. Si l’on veut agir en mode responsable, il faut entretenir celle-ci. Une étude doit être une expérience riche pour les interviewés. Les questionnaires quantitatifs standardisés où l’interviewé doit simplement cocher quelques cases suscitent peu d’émotion. Or, l’émotion stimule l’activité cérébrale, et permet des réponses plus justes, plus investies, plus prédictives. Les questions ouvertes ont le mérite de favoriser l’état émotionnel en invitant les interviewés à s’associer à leur ressenti. Il faut apporter un soin particulier pour rendre les questionnaires vivants : en proposant un sujet intéressant, en stimulant réflexion et prise de conscience, en éditorialisant l’enquête, en intégrant des stimuli, avec une ergonomie impliquante, etc.
Une des clés pour nos métiers, c’est la bonne volonté des consommateurs. Si l’on veut agir en mode responsable, il faut entretenir celle-ci. Une étude doit être une expérience riche pour les interviewés.
Chez QualiQuanti, nous sommes attentifs à la pérennité des études produites. Cela passe notamment par du contenu enrichi et l’enregistrement vidéo en mode slidecast de la présentation de l’étude afin qu’elle puisse être consultée à la demande. Le bilan carbone des sociétés d’études est alourdi principalement par les déplacements des collaborateurs. Reste à bien les doser.
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