Pour une approche culturelle (adieu la “bureaucratie“) - article paru dans Influencia
Trop rares sont les études qui ouvrent la voie à une stratégie originale et innovante. Selon Douglas Holt[1], c’est la faute à la brand bureaucracy, qui privilégie des outils d’analyse et de présentation standardisés. Ces méthodes de recherche bureaucratiques schématisent la réalité à partir d’approches cartésiennes, voire pseudo-scientifiques, laissant peu de place aux arguments irrationnels, aux émotions, à l’humain…
Les bureaucrates de la marque sous-traitent ainsi généralement le travail de recherche culturelle à des agences ou à des instituts d’études qui, eux-mêmes, condensent et simplifient leurs résultats.
Pourtant, les marques restent avant tout des expressions culturelles. Aussi les « bureaucrates » réinjectent-ils du contenu culturel — design, packaging, communication…— dans la dernière étape de création (mix marketing). Mais pour n’avoir pas été pensée en amont, l’injection a posteriori de culture est faite de façon systématique et artificielle.
Or le propre de la culture, c’est de s’inscrire dans un champ multi-dimensionnel et évolutif, dont tous les pans sont connectés les uns aux autres.
La vie comme de l’art
Selon Paul Willis[2], les hommes ne cherchent pas seulement à survivre économiquement et matériellement, mais aussi à donner un sens à leur existence. Jusque dans les dimensions formelles et concrètes de la société, la vie doit ainsi être considérée « comme de l’art ». Et être analysée en tant que telle.
Cette matière étant symbolique et vivante, elle exige une démarche en affinité avec elle. Il s’agit donc :
. d’étudier la part sensible de nos vies humaines. Nos propres attitudes — mode de vie, comportements, habillement, fréquentations… — ne participent-ils pas d’une stylisation ? Comme dans un poème, les métaphores et les sens indirects ont toute leur place dans la construction de sens et l’interprétation du puzzle.
. de sortir de la dichotomie entre théorie et expérience pour créer des liens entre les concepts et le désordre du quotidien ;
. d’aboutir à un étonnement et d’apporter quelque chose de nouveau. Paul Willis appelle à aller sur le terrain, quitte à remettre en cause ses croyances, et ce pour élargir le champ des connaissances.
L’intelligence créative permet de sortir des sentiers battus de la rationalité et des strictes données quantitatives et qualitatives en prenant en compte un champ large de connaissances décloisonnées. Il s’agit d’intégrer le sensible et l’expérience en convoquant l’intuition et à l’imagination, en recherchant la surprise et en autorisant des réponses ouvertes, multiples et évolutives.
Les méthodes inductives (versus déductives)
Depuis John Stuart Mill, on distingue deux types de sciences : déductives, qui s’appuient sur une logique intrinsèque (mathématiques, physique…), et inductives (fondée sur l’observation et l’expérimentation).
La démarche inductive part ainsi d’observations pour formuler une hypothèse ou un modèle. Cette méthode implique l’analyse d’un phénomène par l’observation d’un nuage de manifestations proches, plus ou moins semblables. Par la multiplication des objets d’étude, elle permet d’avoir une vue d’ensemble, une compréhension globale d’un sujet (vue d’avion).
Lors d’une étude sur les rapports annuels avec l’agence Verbe, l’analyse approfondie des exemples EDF, Pernod Ricard ou Orange a révélé une tendance à l’esthétisation, mettant au jour ceci : l’entreprise n’est plus considérée comme étant seulement une activité technique (progrès, innovation, efficacité, rentabilité), mais comme un hymne à sa beauté dans toutes ses composantes (des machines aux objets qu’elle produit en passant par les hommes qui la fondent et la mission qui l’anime).
De l’induction à la conceptualisation : l’hyperwatch
L’hyperwatch consiste à observer une multitude de cas pour acquérir une connaissance complète de l’objet et identifier ses constantes. Cette démarche nécessite de s’appuyer sur des observatoires riches qui sont analysés en largeur et en profondeur.
Exemple : Le livre-étude sur les pop-up stores publié par Klépierre[3] s’est appuyé sur un observatoire de 400 cas, spécialement créé pour analyser le phénomène selon plusieurs critères (secteur, format, durée, emplacement). L’observation de nombreux exemples a permis de dégager des conclusions sur la manière dont les secteurs de l’alimentaire, la mode ou la distribution ont recours au commerce éphémère.
Le sémiologue, un hyper-interprète
Le sémiologue fournit une interprétation plus complète que celle de n’importe quel consommateur. Il est une sorte d’interprète idéal grâce à sa culture, sa maîtrise des théories sous-jacentes à chaque sujet : il peut envisager les concepts dans leur totalité.
Il relie observations empiriques et problématiques théoriques (philosophique, sociologique, ethnologique, sémiotique…). Ce faisant, il unifie les résultats dans un même élan analytique, identifiant au passage les éléments saillants et nouveaux. Il conceptualise ainsi des problématiques transversales à un sujet d’étude.
Lors d’une étude sur les affiches et des bandes annonces pour le CNC[4], plus de 500 films ont été analysés avec l’aide du sémiologue Raphaël Lellouche. Voici un extrait de son décryptage des affiches des films policiers, qui se caractérisent par une difficulté à distinguer le bien du mal : « Les affiches de films noirs ou policiers construisent un univers incertain et trouble. Les couleurs sont sombres : noir, camaïeux de gris, marron, bleu mêlé de noir, etc. Il n'y a pas de contraste clair entre l'ombre et la lumière. Les affiches construisent un univers en clair-obscur, où les choses se distinguent mal les unes des autres. L’accent est mis sur l'ambiguïté entre le flou et le net de l'image, l'arrière-plan se devine mal car l'image est trouble. Le visage du héros est lui-même souvent indécis, à demi plongé dans l’obscurité ou partiellement flouté. Son regard est complexe, exprimant à la fois l'inquiétude et l'incompréhension. »
Stimuler la créativité des commanditaires
L’intelligence créative permet de façonner des solutions :
− efficaces et pertinentes (qui font sens et répondent aux contraintes posées).
− originales, voire inattendues, capables de créer la surprise et l’enthousiasme et de faire appel aux critères de décision les moins rationnels mais aussi les plus puissants chez le consommateur ;
L’intelligence créative est une méthodologie, une manière de réfléchir et de créer. Appliquée aux études, elle propose non seulement des solutions innovantes aux clients, mais favorise aussi leur propre créativité à travers des méthodes :
- intuitives et vivantes, qu’il s’agit de s’approprier par le ressenti autant que par l’intellect ;
- ouvertes et évolutives
- qui intègrent une vision, une dimension projective dans le futur.
L’intelligence créative par QualiQuanti
Institut d’études ET laboratoire de recherche, QualiQuanti a choisi en 2014 de se placer sous le signe de l’intelligence créative, approche inventive et évolutive pour favoriser la création de solutions originales et pertinentes.
Chez QualiQuanti, nous refusons d’appliquer mécaniquement des process fermés et immuables, leur préférant l’interdisciplinarité et la flexibilité des méthodologies. A cette fin, nous adoptons une série de partis-pris. Objectif : fluidifier les démarches de recherche, augmenter les capacités d’adaptation à des problématiques variées, atténuer la frontière entre le rationnel et l’imaginaire.
Nous reprenons volontiers à notre compte cette citation du sociologue Gilles Lipovetsky dans son ouvrage L’esthétisation du monde : « Dans la nouvelle économie du capitalisme, il ne s’agit plus seulement de produire au moindre coût des biens matériels, mais de solliciter les émotions, de stimuler les affects et les imaginaires, de faire rêver, sentir et divertir. »
Daniel Bô
Pdg-fondateur de QualiQuanti
[1] Cultural Strategy
[2] The Ethnographic Imagination
http://www.klepierre.com/content/uploads/2016/02/Livre_Blanc_Pop-up_Store1.pdf
[4] http://www.cnc.fr/web/fr/publications/-/ressources/19778
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