QualiQuanti fête bientôt ses 20 ans. C’est l’occasion de revenir sur deux décennies de pratique des études, autour de thèmes qui me sont chers : l’origine, les méthodes, l’internet, la rentabilité, la visibilité et les perspectives de mon activité. Cet article vise à éclairer les lecteurs (collaborateurs, clients, confrères, partenaires, étudiants) à travers quelques anecdotes révélatrices. J’ai mis beaucoup de moi-même dans cette entreprise, en suivant mes convictions et en cultivant ma différence. D’où ce récit à la première personne.
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Je suis issu d’une famille d’ingénieurs - un grand-père polytechnicien (DG, puis PDG de Rhône-Poulenc, de 1934 à 1963), un père centralien (DG de Merlin Gérin). Après une scolarité à Louis Le Grand, j’intègre HEC en 1981, dont je sors diplômé en juin 1984 (majeure Marketing). Déjà, je ressens l’orientation vers la préparation aux Ecoles de commerce comme un choix quali-quanti, un programme équilibré entre matières littéraires et matières scientifiques, entre la voie maths sup. et l’hypokhâgne. Je complète ma formation par une maîtrise de sociologie (pendant mon service militaire, en 1984-85) et un troisième cycle (Sciences Com’ à Nantes, en 1985-86), au cours duquel je découvre le Macintosh, le journalisme et la production audiovisuelle.
En 1986, je débute comme assistant chef de publicité au sein de l’équipe de Mercedes Erra chez Saatchi & Saatchi, sur le budget Danone. Je deviens ensuite chef de publicité chez Lintas, sur le budget TF1, puis planneur stratégique à mi-temps chez Equateur sur FR3. Ce fût l’occasion de pratiquer le journalisme (à L’Expression d’Entreprise), d'enseigner l’audiovisuel (à HEC) et de faire de la production. Je m’essaie aussi à l’écriture de scenarii et tourne quelques court-métrages et vidéoclips pour des musiciens africains. J’ai rapidement constaté mon manque d’affinités avec un environnement où la logistique est au cœur du métier : j’ai toujours préféré me concentrer sur la dimension conceptuelle ou intellectuelle du travail en évitant les questions d’intendance.
Début 1990, j’intègre la première promotion de l’Académie Carat Espace, avec comme projet les études qualitatives en télévision. En octobre, je crée officiellement la SARL Marketing & Télévision, qui existait en fait depuis 1989, sous l’égide de la société de production Smart. Cet hébergement m’avait permis d’expérimenter la création d’entreprise avant de m’engager dans la création d’une structure juridique.
La naissance de Marketing & Télévision
L’idée de départ de la société, c‘était de proposer des services de conseil marketing aux chaînes de télévision et aux producteurs, en développant une expertise à partir de trois piliers :
- une connaissance internationale de la télévision via une veille permanente exercée sur les pays innovants (Etats-Unis, Royaume-Uni) ;
- un décodage des contenus de télévision et la réalisation de tests auprès de spectateurs ;
- des analyses systématiques par thème ou par genre (habillage, parrainage, autopromotion, jeux, séries, magazines, etc.).
Je constitue progressivement une base de données de 3 000 cassettes VHS sur les programmes du monde entier grâce à l’une des premières imprimantes vidéo numériques (la Sony UP 5 000). Cette imprimante permet de présenter sur papier des images de décors, de génériques ou d’habillages et facilite la comparaison et l’analyse de contenus télévisuels. Avant que cet appareil n’existe, j’avais l’habitude chez Equateur de mettre le lecteur VHS sur pause et de photographier directement l’écran de télévision. De cette capacité à arrêter le flux d’images et à scruter les paysages télévisuels internationaux, naît le concept d’hyper-téléspectateur. Pour approfondir cette connaissance du flux télévisuel, je fais même traduire le livre du sémiologue italien Francesco Casetti sur le thème de l’entraînement de l’écoute TV et des containers de programmes.
En tant qu’ancien publicitaire, le premier sujet d’étude à s’imposer à moi a été le parrainage télévisuel, sur lequel j’ai constitué une pige internationale de plusieurs centaines d’exemples (vidéo et print).
Du conseil aux études … au conseil
Marketing & Télévision est une société de conseil marketing. Sa première mission significative se fait en collaboration avec la Sorgem, que j’avais pris l’initiative de contacter. Je leur avais proposé de mener conjointement une étude sur le parrainage télévisuel en leur apportant ma base de données et ma connaissance du secteur. Réalisée sur plusieurs mois, l’étude se compose d’une phase sémiologique, de 40 entretiens et de 200 questionnaires quantitatifs en face-à-face. Cette étude a été déterminante car elle m’a fait connaître mes futurs collaborateurs, Vincent Colonna et Raphaël Lellouche et m’a permis de voir fonctionner un institut d’études de l’intérieur.
La collaboration avec la Sorgem se poursuit avec la réalisation de quelques études qualitatives. Je suis très reconnaissant à son fondateur, Yves Krief, de m’avoir fait découvrir ce métier. C’est à l’issue de cette expérience que mon entreprise Marketing & Télévision s’est positionnée comme institut d’études et s’est ouvert à d’autres secteurs d’activités.
Je me rends progressivement compte que pour faire du conseil, il faut être « nourri » en permanence et que les études constituent une nourriture idéale. Notre institut, qui en publie plus d’une centaine par an, est en mesure de délivrer de précieux conseils stratégiques. Mais pour l’heure, le travail de conseil proprement dit n’est pas vraiment prévu dans les dispositifs d’études commandés. On attend du prestataire qu’il donne son retour sur le marché, qu’il émette des recommandations. Mais la véritable mission de conseil, assortie d’honoraires, n’est pas à l’ordre du jour. A l’inverse, beaucoup d’agences-conseil dispensent les leurs à partir d’une base de connaissances parfois limitée. Elles gagneraient à nouer des partenariats avec des sociétés d’études ou à se doter de cellules de recherche.
Pendant les premières années de la société, nous testons plus d’une centaine d’émissions TV et des dizaines de chaînes thématiques. J’ai eu le plaisir d’avoir parmi mes premiers clients Thierry Ardisson (lancement d’Interview qui deviendra Entrevue) et Emmanuel Chain (développement de Capital). Entre 1990 et 1995, j’ai fondé, présidé et animé Le Club Prime Time, association créée à partir des anciens de l’Académie Carat, qui réunissait la nouvelle génération du secteur télévisuel avec des soirées mémorables au Trianon ou à la Locomotive. Ces fêtes, manière sympathique et peu conventionnelle de tisser des liens, offraient à QualiQuanti la dynamique relationnelle indispensable pour une entreprise à ses débuts.
En 1994, je rebaptise ma société QualiQuanti car le champ d’investigation s’élargit à l’ensemble des médias - presse, radio, cinéma - et à la communication. Depuis 1996, nos interventions portent sur tous les secteurs d’activité : grande consommation, services, B to B, banque-assurance, automobile puis, essentielles à partir de 1998, les nouvelles technologies. Dès 2004, nous ajoutons de nouvelles expertises, telles que le caritatif ou le luxe. Aujourd’hui, je me réjouis que QualiQuanti soit généraliste tout en ayant une culture média forte, à l’heure où les marques proposent de plus en plus de contenus éditoriaux.
Depuis le début, je n’ai cessé de mener des investigations sur les différents modes de communication des marques : parrainage télévisuel, placement de produits, publi-rédactionnel, brochures, vitrines, sites de marque, etc. Cette curiosité se traduit par la sortie en octobre 2009 d’un livre intitulé Brand Content : comment les marques se transforment en médias (Dunod), co-écrit avec Matthieu Guével.
Travailler en réseau selon le principe de franchise virtuelle
L’organisation du travail chez QualiQuanti est originale et tient compte de mon expérience de salarié. Lors de mes années de salariat, j’ai fortement ressenti l’aliénation d’un travail à plein temps, impliquant de se rendre chaque jour à la même heure au même endroit et de côtoyer quotidiennement les mêmes personnes. J’avais du mal à supporter la vie sociale contrainte dans ce monde clos de l’entreprise.
Lorsque j’ai la chance de travailler pour Equateur à mi-temps, je ressens une grande libération. Chaque mois, je dois produire un dossier thématique (les speakerines, l’habillage, l’autopromotion, etc.), sans contrainte horaire. Mon salaire à mi-temps me permet de vivre et je peux inventer l’autre moitié du temps sans pression financière. J’ai gardé cette habitude d’un temps pour financer l’activité et d’un temps sans objectif lucratif immédiat.
Lorsque je crée mon entreprise, mon intention est de perpétuer cette liberté. Travailler pour plusieurs clients, c’est en quelque sorte cumuler des temps partiels. Au début, je ne souhaitais pas embaucher de collaborateurs mais plutôt travailler en réseau. J’appréciais beaucoup la collaboration avec d’autres entrepreneurs sur la base d’un intérêt mutuel.
Aujourd’hui, l’entreprise s’est développée – elle compte une dizaine de salariés - et je perçois chaque collaborateur comme une mini-entreprise autonome, avec un savoir-faire et une capacité de production. Chaque collaborateur (salarié ou non) de QualiQuanti est comme un franchisé, qui bénéficie des services communs (équipe, marque, panel, outils, expertise, comptabilité, etc.) et qui est invité à développer son activité. Il a vocation à accroitre sa compétence professionnelle et à fidéliser et développer sa clientèle comme s’il gérait son entreprise ou sa « franchise virtuelle ». Les juniors aident les séniors mais sont appelés à s’autonomiser.
Le télétravail est très adapté au secteur des études, où l’on a besoin de tranquillité pour réfléchir et rédiger. Dans notre métier, beaucoup de choses peuvent se gérer par mail et par téléphone. Nous organisons des réunions ou des rencontres en face-à-face lorsque c’est nécessaire, mais à l’usage on s’aperçoit que la systématisation d’échanges écrits a de nombreux avantages. Un projet d’étude qui fait plusieurs allers-retours entre 3 personnes se bonifie par enrichissements successifs. De même, un rapport gagne souvent à être élaboré à plusieurs mains. Avec les interrogations par Internet, le travail à distance devient d’autant plus naturel que chacun peut suivre ou animer le terrain, d’où qu’il soit. A l’ère de l’intelligence collective, la centralisation dans un espace physique n’est plus si nécessaire et peut même devenir contre-productive. Dans certains instituts, les équipes sont obligées d’attendre le soir ou de venir, tôt le matin, pour trouver le calme nécessaire à la réflexion et à la rédaction.
Le télétravail favorise aussi une meilleure qualité de vie. Telle collaboratrice a eu besoin de passer un an à Londres et a pu continuer à collaborer, avec pour seule contrainte de prendre l’Eurostar de temps à autre. Chacun peut respecter son rythme, travailler tôt ou tard selon ses humeurs ou le degré d’urgence. Chacun travaille d’où il veut, en fonction de ses contraintes ou de la période de l’année. La gestion du temps se fait sur une base annuelle avec des périodes plus ou moins intenses. Les collaborateurs se voient au bureau, chez l’un ou chez l’autre en fonction des projets. Déconnectées de toute routine, les occasions de se voir sont toujours un plaisir. Ce sujet du télétravail est essentiel, nous y reviendrons en décrivant nos meilleures pratiques et en alertant, aussi, sur les risques et précautions à prendre.
L’équipe
Vincent Colonna, mon premier collaborateur salarié (avec un statut d'associé), m’a appris le métier des études qualitatives. Il venait de quitter la Sorgem, où il était directeur d’études. Il a travaillé avec moi de 1993 à 1998, date où il a créé sa propre structure, Protagoras. Toute cette période a été l’occasion d’expérimenter et d’optimiser de nouvelles méthodes. Pierre Gaillardon fût le premier stagiaire en télétravail en 1998, fidèle depuis bientôt 12 ans. Il a participé à la naissance des études online en France au sein de QualiQuanti en apportant son implication et son sens de l’organisation. Claire-Marie Lévêque démarre également comme stagiaire, passe dans un autre institut, avant de rejoindre l’équipe. Plusieurs seniors accompagnent le développement de l’entreprise en travaillant avec leur propre structure. La collaboration avec Maxime Lehrhaupt incarne un modèle de relation en réseau. Dans la période 1994-99, puis de nouveau à partir de 2003, il développe l’activité en utilisant les ressources de QualiQuanti tout en conservant sa propre structure, Cosmopolis. Yves Bardon m’accompagne quelques années sur le même mode avant de rejoindre Jean-Marc Lech chez Ipsos. Plus récemment, Claude-Emmanuelle Couratier a apporté son précieux savoir-faire quantitatif tout en ayant sa société, Vox Populi. Isabelle de St Remy, qui a longtemps travaillé à temps partiel, illustre l’intérêt de notre mode de fonctionnement pour des femmes très qualifiées ayant arrêté de travailler quelques temps afin de s’occuper de leurs enfants et qui veulent reprendre une activité avec une vraie flexibilité.
Pendant toutes ces années, j’ai été assisté par quelques stagiaires, qui ont accepté le principe du télétravail et qui ont animé l’entreprise. Plusieurs de ces anciens stagiaires (Pierre, Claire-Marie, Alexandra, Matthieu, Delphine, Lauren) composent aujourd’hui l’équipe de QualiQuanti. J’ai ainsi la chance d’avoir une équipe à la fois jeune et expérimentée avec un très fort potentiel. Le mode d’organisation contribue à créer un climat sympathique et positif et je suis fier de cette équipe. Mon rôle est de la fidéliser par un travail intéressant, une qualité de vie et des perspectives motivantes.
J’ai toujours voulu favoriser la complémentarité entre collaborateurs, permettant à chacun de se dépasser à travers des échanges riches et stimulants. L’arrivée de Matthieu Guével (HEC, Doctorat de philosophie) a beaucoup apporté à QualiQuanti. Sa capacité d’analyse et ses qualités rédactionnelles d’une part, mon intuition et ma créativité d’autre part, nous permettent d’avancer vite, aussi bien sur la voie de la réflexion méthodologique que sur celle de la recherche en communication. La collaboration étroite entre Raphaël Lellouche et Matthieu tout au long de ces années a permis de produire des études sémiologiques de grande qualité, à la fois très pointues dans l’analyse et très opérationnelles.
Ma philosophie méthodologique
Au fil des études, je me suis forgé des convictions sur l’approche méthodologique. Je les ai formalisées sur le blog www.marketingetudes.com et dans des recueils d’articles.
En permanence, nous expérimentons des méthodologies ou faisons évoluer des techniques existantes : enquêtes semi-ouvertes ciblées, sémio-live®, quali par téléphone, études photos et vidéos, quali online, enquêtes quanti online en plusieurs phases, quali-quanti®, etc. Il y a un vrai plaisir à tester et à mettre au point de nouvelles méthodes et à formaliser cette expérience. Nous avons même initié des analyses sémiologiques pour décrypter les formats des questionnaires via Internet et le fonctionnement du forum quali online. Ce travail épistémologique a été enrichi grâce à des échanges réguliers avec Jean Moscarola (Le Sphinx), Yves Evrard (professeur de marketing à HEC spécialisé en analyse de données), puis avec Matthieu Guével, qui a lu beaucoup sur ces sujets. A voir les programmes des Ecoles et les sujets de thèse, je ne peux que regretter le décalage de l’enseignement des études marketing avec la réalité que nous vivons. J’aimerais œuvrer à la fertilisation de ces deux univers très éloignés.
De 1994 à 1999, je pratique le développement personnel, entraîné par mon ami Patrick Mathieu, rencontré chez Saatchi et encouragé par Patrice Levallois. La PNL (Programmation Neurolinguistique) m’a été très utile pour percevoir les conditions optimales d’une relation d’écoute, affûter mes capacités d’animation et d’analyse, mais aussi pour développer un regard critique sur les sondages.
Plus généralement, j’adhère à la démarche des créatifs culturels, qui mettent leurs actes en conformité avec ce qu’ils ressentent. Toutes mes initiatives récentes reposent simplement sur la prise en compte de la réalité observée et de mon ressenti intime. Quand je vois qu’au-delà d’une vingtaine d’entretiens individuels, on se heurte à une déperdition, je ne peux pas le proposer à mes clients simplement pour faire du chiffre. Quand je comprends que le principal risque des études par internet sont les questionnaires bâclés, je cherche immédiatement des solutions pour motiver les interviewés et contrôler les terrains.
J’ai toujours été frappé par le fossé creusé dans ce métier entre qualitativistes et quantitativistes, qui me paraît artificiel et finalement stérile. Pourquoi faudrait-il choisir entre approfondissement et grand effectif ? Dans quelle mesure est-il possible de faire du quali à grande échelle ou du quanti en profondeur ? Le nom « QualiQuanti » avec la signature « savoir allier quali et quanti » est le symbole de ce rapprochement nécessaire d’univers abusivement présentés comme opposés.
La superficialité de certaines études quantitatives
Petit à petit, je prends conscience de la superficialité de certaines études quantitatives (les études de perception), auxquelles on fait trop souvent une confiance aveugle.
Je raconte dans un article une expérience où j’ai mené une étude qualitative avec des résultats très négatifs après un test quantitatif très positif, réalisé par un institut de sondage renommé. Pourquoi ? Lors de la phase quanti, les interviewés néophytes avaient été bluffés par l’offre, le temps du questionnaire. La même offre n’avait pas résisté à l’évaluation plus fouillée par deux groupes qualitatifs. On fait comme si les tests quantitatifs de perception avaient la même robustesse que les mesures comportementales. Or ils sont plus fragiles et dépendants du questionnement. J’ai constaté dans la pratique des études la justesse de certaines remarques émises par Bourdieu et les universitaires bourdieusiens sur les sondages, notamment :
- la fascination contraignante pour l’échantillon représentatif, là où le ciblage et la démassification seraient plus adaptés (l’échantillon « national représentatif » donne l’impression de fonctionner comme le miroir de la France en petit) ;
- les tentatives illusoires de mesure de l’opinion avec des interviewés qui comptent en centimètres et d’autres en kilomètres ;
- la culture positiviste et rationnelle des études quantitatives qui, trop souvent, évacuent la motivation et l’émotion.
Dans une société positiviste où la mise en chiffres est capitale, certaines décisions se prennent à partir de données « simplistes ». Nombre de professionnels du marketing sont élevés dans la religion des échantillons représentatifs ou du questionnaire monadique : c’est parfois une illusion de scientificité qui éloigne de la vérité. Il faut se méfier de l’apparente scientificité des sondages quantitatifs et apprendre à accepter l’impureté des études. La compréhension d’un phénomène est plus souvent le fruit du croisement des approches et passe par l’acceptation contrôlée du facteur humain, qui est après tout notre principal sujet.
Avec le développement des études auto-administrées par Internet, une enquête se doit plus que jamais d’être une expérience aussi enrichissante que possible, et en tous les cas ne peut plus être une instrumentalisation du consommateur. Ce simple constat devrait amener à une modification substantielle de l’approche des instituts d’études et du paysage des questionnaires. Il y a même urgence à se préoccuper de la motivation des interviewés en général, sous peine de perdre la « matière première » quasi-gratuite sur laquelle reposent les études.
Ayant répété ces vérités simples pendant des années, je suis passé pour un iconoclaste. Pour ma part, j’avais le sentiment de dire des évidences tirées d’une lecture pragmatique de ce que chacun peut observer.
Chez QualiQuanti, nous continuons à mener, en parallèle de nos études, un important travail de recherche méthodologique et de recherche tout court, à la manière d’un work in progress permanent, avec la volonté sous-jacente de ne pas séparer le quanti du quali, ni le travail d’étude appliquée de celui de recherche fondamentale.
Un laboratoire de recherche privé
Nous sommes aussi un laboratoire de recherche sur les marques, la communication et les médias. Pour ce faire, nous essayons en permanence de susciter des demandes d’études sur des sujets que nous estimons importants. Malgré leurs contraintes, nous favorisons les études publiées car elles comportent souvent une dimension de recherche fondamentale, facilement capitalisable. Il nous arrive ainsi de mener des études pour nous-mêmes, ou partiellement financées si elles sont indispensables à notre connaissance.
Nous apprécions les sujets très vastes, qui nécessitent de brasser un corpus important. Par exemple, nous avons étudié le fonctionnement des affiches et des bandes-annonces cinéma, la grammaire des décors télévisuels, les codes de communication du luxe, les publi-rédactionnels, ou les contenus de marque. Ces recherches sont exigeantes lorsqu’il faut analyser plusieurs dizaines, voire centaines d’exemples. Mais elles permettent de vraiment prendre du recul sur un sujet, là ou un simple test ad hoc apporterait des réponses limitées. C’est dans cet esprit que nous avons pu capitaliser différents travaux de recherche sur la communication et les médias : depuis 2000, nous collaborons régulièrement avec le CNC sur des études publiées consacrées à l’audiovisuel, au cinéma et aux nouveaux usages.
A partir de commandes ou de suggestions, nous avons ainsi pu explorer des sujets tels que la VOD, les nouveaux formats publicitaires sur Internet, le développement durable, le low cost, les marques distributeurs ou l’innovation alimentaire. Plus généralement, dès qu’une étude nous est commandée, nous cherchons à lui donner une profondeur et une pérennité même s’il s’agit d’un simple test ponctuel. Cette recherche fondamentale vient éclairer fort opportunément les travaux ad hoc qui nous sont demandés. Elle nous aide aussi à gagner des appels d’offres par un point de vue plus avisé.
Dans mon expérience des études, j’ai immédiatement apprécié la puissance de la sémiologie grâce à Raphaël Lellouche. Pour lui, nous avons créé la méthode Sémio-live®, qui impressionne toujours ceux qui ont la chance d’y assister. Raphaël a beaucoup influencé les études qualitatives en France (dixit Yves Krief). Il est celui qui donne à ce métier ses lettres de noblesse en nous ouvrant les yeux sur l’essentiel. La sémiologie avec Raphaël Lellouche constitue la méthode ultime d’investigation à des années lumières de beaucoup de bavardages, qu’on peut entendre dans certaines réunions marketing. Tout simplement parce qu’elle repose sur une culture générale colossale en cumulant son expérience du marketing, ses connaissances en histoire de l’art, sa culture philosophique, sa connaissance aigüe des derniers travaux de recherche en sciences humaines et ses propres travaux de recherche (sur la couleur, sur les écrans, etc.).
L’exercice sémio-live® est une analyse sémiologique qui se pratique « en direct » en présence du commanditaire. Elle ouvre ainsi la possibilité d’un échange et est tout à fait symptomatique de notre volonté de transparence dans le processus d’élaboration des études. Au lieu d’asséner des vérités élaborées « en chambre », qui paraissent souvent « sorties d’on ne sait où », nous préférons le contact direct, qui est à la fois un exercice de modestie, une démystification de la sémiologie, et une meilleure transmission des savoirs. Dans le même esprit, nous mettons à disposition des commanditaires les liens qui leur permettent de suivre la réalité du terrain ou du recrutement. Nous sommes pour montrer au grand jour la valeur ajoutée que nous apportons, en donnant la possibilité aux clients de pénétrer dans les coulisses des études. La transparence sur le mode de recueil et les techniques d’analyse favorise une collaboration dans la confiance et une bonne appropriation des résultats. Nous refusons le principe de la boîte noire : nous sommes prêts à former nos clients à nos méthodes de travail quand c’est nécessaire ou quand ils le demandent.
Le développement du terrain online avec Testconso.fr
En 1998, je mène les premières études sur Internet (Multimania, Fortuneo, Canal+, Trader.com). Un an plus tard, lors d’une enquête réalisée par mail pour le site www.canal+.fr, je découvre la richesse de l’auto-administré online et la puissance de l’interrogation par Internet. Je n’ai donc pas hésité à lancer www.testconso.fr en 2000 avec la signature « votre avis a de la valeur » transposée de la formule américaine « we pay for opinion ». Il suffisait d’observer attentivement les principaux panels américains pour annoncer le développement des panels en France, et déduire ce qu’il fallait faire. Je me félicite tous les jours de ce choix qui nous permet de figurer parmi les pionniers des études online et les plus à la pointe sur le quali online.
Au cours des années 90, je réalise de nombreuses enquêtes auto-administrées papier. J’avais été touché par la sincérité des contributions de tous ceux qui répondaient, notamment aux questions ouvertes. L’écriture manuscrite des interviewés illustrait l’effort d’expression personnelle. A contrario, j’avais eu une perception mitigée des études par enquêteurs. En lisant les questionnaires face-à-face remplis par les enquêteurs, je constatais qu’on retrouvait souvent les mêmes expressions pour des personnes différentes interviewées par un même enquêteur. Comme si l’enquêteur influençait consciemment ou inconsciemment les interviewés ou manquait d’imagination lors de la rédaction des verbatims.
J’ai aussi vu comment le métier difficile de recruteur ou d’enquêteur pouvait conduire à certains abus. Un enquêteur, venu m’interviewer à domicile, m’explique qu’en répondant de telle manière, j’économise quelques minutes d’interview, me suggérant même des astuces pour abréger l’enquête dans une complicité interviewer/interviewé. Un recruteur de province m’organise une table ronde de clients, pour laquelle tous les participants ont reçu des consignes sur ce qu’il faut dire - aucun d’entre eux n’était client. J’en ai gardé une méfiance plus grande pour les professionnels des terrains que pour les consommateurs, même si j’apprécie et je respecte beaucoup de responsables de sociétés de terrain, qui font un travail souvent ingrat. Avec la société Recrutement Service, nous mettons au point des méthodes pour optimiser le travail de sélection des consommateurs en utilisant des phases de screening online. Objectif : présélectionner des volontaires disponibles à l’aide de questionnaires online semi-ouverts. Les recruteurs concentrent alors leur valeur ajoutée sur l’échange téléphonique lors de la sélection finale.
Avec l’utilisation des questions ouvertes dans les études online, on retrouve la spontanéité de l’interrogation auto-administrée. On peut apprécier la richesse des commentaires non influencés et on détecte et on élimine très facilement les questionnaires bâclés. Il n’y a pas de risque qu’un intermédiaire trafique des réponses. Pour une enquête en face-à-face nationale, nous faisons ainsi en sorte que chaque enquêteur saisisse son questionnaire sur une interface online. Les avantages : récupérer plus vite les réponses, suivre les quotas, responsabiliser l’enquêteur sur les réponses saisies et contrôler son travail au fur et à mesure. Le forum quali online (bulletin board) représente l’aboutissement de cette démarche d’auto-administration avec des participants qui peuvent s’exprimer quotidiennement pendant plusieurs semaines, envoyer des photos ou effectuer des missions. Après plus de 60 forums quali online et 4 ans d’expériences, je confirme que cette méthode asynchrone à la fois individuelle et collective, où le répondant vit avec l’étude dans la durée, est exceptionnelle si elle est bien utilisée.
La question de la rentabilité
Quel que soit l’intérêt de notre métier, il faut reconnaître que son potentiel de rentabilité est relativement limité. Nous vendons du temps à des tarifs horaires assez bas et les prix de vente évoluent peu. Dans un autre article, j’explique en détail les problèmes de rentabilité que pose la gestion d’un institut d’études. Les instituts internationaux les plus rentables travaillent principalement sur des études quantitatives multi-clients récurrentes. Sur ces outils vendus par abonnement, la rémunération est régulière et porte sur un dispositif mutualisé. Pour ces instituts, le qualitatif n’est pas toujours essentiel du point de vue de la rentabilité. Il permet surtout d’entretenir la relation client afin de leur proposer des outils plus quantitatifs.
Personnellement, je vois différentes raisons de continuer ce métier passionnant en dépit de ces limites. Le métier des études permet de satisfaire une curiosité et une excitation intellectuelle à un degré difficile à égaler. Comprendre les comportements des français, analyser les nouvelles offres et l’impact des technologies, voilà qui est extrêmement stimulant. Le métier est très diversifié et permet de comprendre l’évolution de la société. De plus, les relations avec les commanditaires sont sympathiques, courtoises et saines. A chaque fois qu’un client sollicite un institut, c’est parce qu’il l’a choisi pour une mission et lui fait confiance. Les petits instituts sont bien acceptés en France comme partenaires, y compris de grosses entreprises qui apprécient leur implication. C’est donc une activité pour laquelle être une entreprise de taille limitée ne constitue pas un handicap en soi.
Lorsqu’on gère un institut, il faut s’adapter aux pics et aux creux de la demande. Nous ne connaissons généralement pas le type d’études sur lesquelles nous travaillerons le mois suivant et il faut pouvoir être très réactif. Lorsque nous gérons plusieurs appels d’offres en parallèle, nous ne sommes pas toujours capables de savoir lesquels seront fructueux et qui sera disponible. Les délais sont souvent courts et les marges de manœuvre faibles. C’est ce qui rend le métier aussi varié et imprévisible mais qui encourage à être prudent quant à la taille de la structure, car les marges des périodes fastes ne sont pas toujours suffisantes pour compenser les périodes creuses.
Compte tenu de la demande, il faut être capable de faire à la fois des études low cost et des études à très forte valeur ajoutée. Certaines nécessitent d’obtenir un simple feedback des consommateurs (le plus juste et précis possible) pour un budget limité. Il faut être en mesure de répondre à ce besoin rapidement et le fait de disposer de son propre panel le facilite. L’organisation mise en place chez QualiQuanti permet de minimiser les frais de structure et de se concentrer sur la valeur ajoutée. Nous n’hésitons pas à proposer des terrains bruts ou semi-bruts lorsque cela permet de tenir le budget et suffit au client. Dans d’autres cas, il nous est demandé d’éclairer des directions générales ou marketing sur des sujets très complexes. Il faut alors pouvoir mobiliser une équipe de très haut niveau et utiliser notre expertise cumulée.
De la valeur des études et de l’importance des sciences humaines
Le métier des études n’est, à mon avis, pas estimé à sa juste valeur. Cela provient du fait que cohabitent des travaux très approfondis et des sondages extrêmement superficiels. J’estime que nous sommes capables d’interventions dignes des meilleurs cabinets de conseil qui n’exploitent pas aussi bien que nous le potentiel des sciences humaines. Les cabinets de stratégie modélisent, quantifient, observent, interrogent mais utilisent peu les études qualitatives ou la sémiologie. Avec la préparation aux études littéraires (Khâgne), Normale sup ou l’agrégation de philosophie, nous avons la chance d’avoir en France des gens dotés d’une grande culture générale. Ceux qui ont combiné cette formation initiale à un enseignement plus pragmatique de type Grande Ecole sont particulièrement bien armés pour ces missions. Chez QualiQuanti, nous recrutons volontiers ces profils d’excellence dans la continuité de ce qu’a toujours fait la Sorgem tout en restant ouverts à d’autres combinaisons. Pour pouvoir continuer à faire travailler ce profil de collaborateurs, la profession doit monter en gamme et démontrer sa valeur ajoutée. Si tel est le cas, nous avons pu constater que les commanditaires trouvaient les budgets nécessaires.
La prise en compte de l’international est capital chez QualiQuanti avec une équipe le plus souvent bilingue, un réseau d’experts et une posture de veille permanente. L’analyse sémiologique de corpus internationaux est particulièrement fructueuse et éclairante. Notre expérience des études internationales en face à face montre qu’elles sont souvent un peu lourdes à organiser et nécessairement chères. Avec le quali online, il devient simple de gérer en parallèle des terrains sur plusieurs pays et il nous arrive même de réunir dans un même forum des personnes venant de différents pays. Le lancement prochain d’un panel international vise à faciliter la mobilisation de consommateurs du monde entier.
Fort de mes 20 ans d’expérience, je considère que capitaliser sur l’expertise est l’un des atouts clés des instituts d’études. Surtout s’ils mènent une politique de recherche un peu systématique. Le secret des grands cabinets de stratégie consiste à mettre beaucoup d’énergie à mutualiser leur expertise à l’échelle internationale et à donner un accès facilité aux ressources. Chez QualiQuanti, nous capitalisons l’expertise de manière consciente et organisée. Nous sommes toujours en train de préparer l’étape suivante de la réflexion.
Les études, c’est anticiper, être aux premières loges pour préparer le futur. J’ai toujours eu l’intime conviction que ce métier nous conduirait à développer d’autres activités, plus ou moins proches de son coeur. Par exemple, devenir le partenaire de recherche d’une agence de communication ou d’un spécialiste de l’innovation. Ou proposer, à partir de nos études, de la production éditoriale pour des marques en attente de visibilité. Nous allons bientôt lancer le Grand Prix du Brand Content et réaliser un annuaire dans la foulée du livre publié chez Dunod. Cette initiative découle d’une étude réalisée voici deux ans. C’est bien d’une diversification dont il s’agit. Développer une activité de terrain online haut de gamme avec Testconso.fr, qui reflète notre philosophie du respect de l’interviewé, est un autre horizon possible. Nous sommes ouverts à partager nos panels et nos outils avec des services études d’annonceurs, des agences ou d’autres instituts, non directement concurrents. Nous avons récemment formé au Cameroun Seven worlwide, pour le lancement de www.panel-africa.com.
Plus de visibilité pour QualiQuanti
Depuis 2006, après de longues années de maturation, j’ai décidé de donner une forte visibilité à QualiQuanti. L’idée était que nous nous étions bien préparés et qu’il était temps de « sortir du bois ». Nous multiplions les conférences (Irep, EBG, Adetem, etc), affirmons notre présence au Semo et augmentons notre visibilité sur Internet, via des articles ou des contenus désintéressés. Chez QualiQuanti, nous avons expérimenté à quel point les études produites constituaient un levier important pour donner de la visibilité via des contenus de haut niveau. Nous avons développé une expérience forte en référencement naturel à partir d’études. Cette expérience nous donne envie d’en faire bénéficier d’autres entreprises.
Les sondages représentatifs publiés représentent le moyen traditionnel pour obtenir de la visibilité dans les médias. Mais ces enquêtes strictement quantitatives ont une portée intellectuelle qui reste souvent faible. L’objectif aujourd’hui, c’est de développer la publication d’études et de produire du contenu à forte valeur ajoutée avec et pour les médias. En 1993, j’ai écrit un article intitulé « Relever la sauce journalistique », qui militait pour une association journalisme-études. Mon angle : donner du fond à des articles un peu légers grâce aux études. Avec du recul, je me suis aperçu que les journalistes avaient souvent du mal à traiter une matière qualitative et qu’ils privilégiaient par conséquent les données issues de sondages représentatifs. Aujourd’hui, avec le web, nous ne dépendons plus d’une reprise par les médias : nous pouvons directement publier les résultats d’études en ligne et le lecteur peut se rendre compte par lui-même de l’intérêt et de la pertinence de telle ou telle recherche. C’est ce que nous avons proposé récemment avec le site www.observatoiregulli.com, qui diffuse directement différents travaux sur les rapports entre enfants et écrans.
Pour QualiQuanti, l’histoire ne fait que commencer. L’entreprise a toujours privilégié le long terme et l’innovation sur le chiffre d’affaire immédiat. Nous recevons beaucoup de CV de candidats talentueux et avons de beaux clients fidèles. Nous avons des partis pris différenciés et une avance méthodologique qui permettent d’éviter les appels d’offres jugés sur des critères stricts de prix. J’aspire clairement à un développement qui soit harmonieux et permette d’obtenir toujours à la fois l’enthousiasme des clients, l’intérêt des sujets et la qualité de vie des collaborateurs. Cela passe certainement par un partenariat avec quelques entreprises privilégiées plutôt que par une dispersion sur un grand nombre de clients. La qualité de ce que nous offrons n’est pas toujours facile à démontrer avant d’avoir entamé une mission et c’est pour cela que nous essayons de montrer des exemples de travaux et d’expliquer notre positionnement. La prochaine étape consistera à faire partager notre expérience et nos analyses en utilisant l’audiovisuel.
Vous aurez compris que j’exerce ce métier avec passion et j’invite les confrères, partenaires, étudiants et commanditaires d’études à réagir à ce travail d’explicitation.
Voir la suite de l'histoire racontée en 2014.
Daniel Bo
47 ans, marié à Nathalie et père de 3 enfants : Inès (1998), Jules (2001) et Diane (2006)
Voici en complément quelques images d'archives :
Merci Daniel, franchement, j'ai lu avec intérêt, étant passioné aussi, donc il faut qu'on arrive à bosser ensemble d'autant que nos passions communes sont complémentaires, on essaie?
à bientôt
laurent
Rédigé par : Laurent Flores - crmmetrix | 21 novembre 2009 à 11:54
Merci Laurent de cet intérêt. Il y a beaucoup de choses à inventer autour de nos métiers.
Rédigé par : Daniel Bô | 21 novembre 2009 à 18:16
Bravo Daniel pour cet bel historique complet et passionnant. Longue vie aux projets de QualiQuanti & co ! Patrick
Rédigé par : Patrick Mathieu | 17 avril 2020 à 15:57
Merci Patrick. Cet article date de 2009 mais j'avais passé du temps à essayer de raconter la démarche. C'est l'idée du testament scientifique. A très vite.
Rédigé par : Daniel Bo | 17 avril 2020 à 16:51