L’intelligence collective désigne la forme d’intelligence, dont sont capables les communautés ou les organisations humaines (entreprise, équipe, groupement), confrontées à la complexité de leur environnement.
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Dans cet article, nous synthétiserons quelques principes de l’intelligence collective. Pour bien en comprendre les enjeux, vous pouvez télécharger l’ouvrage de Jean-François Noubel, chercheur et consultant en intelligence collective, intitulé Intelligence Collective, la révolution invisible. Ce document limpide de 45 pages dresse un panorama très complet.
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Dans une deuxième partie, nous verrons comment les théories de l’intelligence collective peuvent s’appliquer aux études marketing et en quoi les études online participent d’une nouvelle forme d’intelligence collective.
Pour solutionner les problèmes qu’ils ne peuvent résoudre seuls, les hommes s’organisent en communautés. Ces communautés fonctionnent alors comme des entités autonomes, comme un « organisme vivant » doté d’une intelligence propre.
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Trois formes d’intelligence collective
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Jean-François Noubel distingue trois grandes formes d’intelligence collective.
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1 - L'intelligence collective originelle est celle du petit groupe, de la tribu. Nous en avons tous une expérience directe, dans la vie associative, le sport d'équipe, les groupes de réflexion, l’orchestre... Dans une équipe de football, chaque joueur sait ce qu’il doit faire en fonction de la situation qu’il perçoit, et l’équipe émerge comme un tout intelligent, capable de s’adapter aux évolutions des phases de jeu. Il en est de même dans un orchestre de jazz, une cellule anti-terroriste ou autre.
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Le média privilégié de ce type d’organisation, ce sont les 5 sens, en particulier la vue, l’ouïe et le toucher pour sentir ce que fait le voisin et adapter son comportement en conséquence.
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Ce mode d’organisation n’est toutefois pas adapté à tous les types de problèmes, et se heurte rapidement à des limites :
i. D’abord, une limite numérique : ces communautés ne peuvent fonctionner qu’avec un nombre restreint d’individus, qui établissent entre eux des relations interpersonnelles.
ii. Ensuite, une limite spatiale : les personnes doivent être proches, afin que chacune puisse appréhender la globalité de ce qui se passe (holoptisme) et caler son comportement sur celui des autres.
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C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de sport d’équipe à quatre-vingt joueurs…
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2 - L’intelligence collective pyramidale. Pour dépasser les deux grandes limites de l'intelligence collective originelle, l’organisation hiérarchique de type pyramidal s’est rapidement imposée. Lorsqu’il faut bâtir, planifier, cultiver, transporter, fabriquer, coordonner un très grand nombre d’individus et des activités dispersées dans l’espace, il n’est plus possible de s’en remettre aux seules capacités d’auto-régulation « sur le terrain », comme dans le cas d’un match de foot. Il faut un chef qui décide et des individus qui s’en remettent à lui.
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Le média privilégié de cette forme d’intelligence collective pyramidale, c’est d’abord l’écriture. Sans elle, il aurait été impossible au chef de transmettre des directives, de compter, d’administrer, et d’organiser des collectivités très larges, à l’échelle d’une ville ou d’un pays entier.
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Ce type d’intelligence collective pyramidale est très courant, et aussi très puissant : les entreprises, les administrations, les gouvernements, les armées, fonctionnent sur ce modèle. Il suppose à la fois :
i. Division du travail, la spécialisation des tâches.
ii. Autorité : de droit divin, par filiation, au mérite, par expertise, par légalité, par diplômes...
iii. Normes et des standards : ils permettent l'objectivation, la circulation et l'interopérabilité des savoirs au sein du collectif.
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L'intelligence collective pyramidale a elle aussi des limites, car à l’inverse de l'intelligence collective originelle, très évolutive, la hiérarchie pyramidale est lourde, hostile au changement, et démontre son incapacité structurelle à s'adapter aux sols mouvants, imprévisibles de la complexité.
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3 - L’intelligence en essaim. Cette forme d’intelligence collective est celle que l’on trouve dans certaines colonies d’animaux, où le nombre dépasse celui de la meute. Comment des milliers, voire des millions d’individus, tous individuellement « stupides » comme les oiseaux, les poissons, les abeilles, les manchots, peuvent-ils s’organiser en collectifs dotés d’une intelligence collective redoutable, et qui donnent aux individus qui les composent des capacités de résistance et d’adaptation incroyables ?
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Cette forme d’intelligence collective peut sembler stupéfiante, mais elle est hors de portée de l’homme. Les sociétés d'insectes sociaux sont régies par l’instinct et s’appuient sur des conditions extérieures (température, météorologie, danger, nourriture...), comme des contenants naturels qui dictent la marche à suivre auprès d’individus interchangeables. Il a fallu des millions d'années d'évolution pour que s'affine la panoplie comportementale des individus ("programmée" génétiquement), et que ces sociétés atteignent la stabilité et la robustesse que nous leur connaissons. De plus, l'intelligence en essaim est "aveugle" du fait de son absence d'holoptisme ; aucun des individus n'a une quelconque idée de ce qu'est l'entité émergente. Il y a donc peu de chance que l’homme puisse avancer dans cette voie.
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Internet et l’intelligence globale
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L’évolution des techniques et des médias, et tout particulièrement l’apparition de l’Internet collaboratif, laissent entrevoir néanmoins une nouvelle forme d’intelligence collective, une intelligence « globale ».
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L’avènement du web collaboratif, l’apparition des wikis (cf. Wikipedia), et le phénomène des logiciels libres sont des exemples d’un travail collaboratif, où un grand nombre d’individus dispersés à l’échelle de la planète travaillent ensemble et se positionnent dans une architecture invisible, sans structure hiérarchique dirigiste, de façon démocratique. Il y a bien quelque chose comme un nouveau type d’organisme global, une nouvelle forme d’intelligence collective.
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Ce n’est pas le lieu ici de préciser les formes nouvelles de ces communautés émergentes. Mais on peut tenter de dresser un parallèle avec le métier des études, et de voir s’il n’y aurait pas, là aussi, de nouvelles formes d’organisation à proposer pour élever le niveau d’intelligence collective.
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L’apport pour les études marketing
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Les études marketing peuvent aussi être considérées comme des efforts pour répondre aux problèmes complexes d’une communauté humaine (amélioration d’un produit alimentaire, hausse d’un niveau de confort, satisfaction d’un intérêt culturel, etc.).
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Jusqu’ici, pour résoudre ces problèmes, les hommes d’études se sont organisés collectivement selon plusieurs logiques :
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- Le groupe qualitatif, qui se rapproche de l’intelligence collective originelle. La « dynamique de groupe » permet au bout de quelques heures de faire émerger des idées que les individus n’auraient pas pu fournir pris isolément. Mais les groupes connaissent les limites des communautés originelles décrites plus haut : impossibilité de fédérer de façon cohérente et dans un même espace un grand nombre d’individus. Avec les méthodologies de face à face (entretiens et groupes), il est vite compliqué de travailler sur une population importante.
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- L’enquête quantitative se rapproche de l’intelligence pyramidale avec une division du travail, une logique de fractionnement et de normalisation des questions. L’interrogation à travers un questionnaire (normalisation du recueil) entraîne une instrumentalisation des interviewés, qui sont obligés de simplifier leur contribution pour qu’elle puisse être collectée à grande échelle (nivellement). Quant à ceux qui rassemblent les résultats, ils n’ont pas la vision de détail, qui disparaît dans l’agrégation des résultats (risque de superficialité).
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Le développement des études par Internet ouvre de nouvelles opportunités pour les études.
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- Avec le Forum Online, le qualitatif peut s’affranchir des espaces physiques (architecture invisible) et permet de réunir un plus grand nombre d’individus dispersés, sans qu’un lieu de réunion ne détermine de contexte culturel trop fermé. Il n’y a pas d’organisation figée dans l’espace-temps (type table ronde) avec des positions attribuées à chacun et un contexte délimité dans le temps. Les participants peuvent s’exprimer en profondeur car ils ne sont pas limités par les contraintes temporelles. Ils peuvent transmettre des photos, des vidéos, réagir en détail. On peut leur confier des missions dans différents lieux, les inviter à faire participer leur entourage.
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- Chaque individu du groupe peut acquérir une vision de l’ensemble du projet (holoptisme), se positionner par rapport à une question, et acquérir sur le sujet une vision proche de celle des responsables d’étude.
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- L’inscription du forum quali dans la durée est très importante car elle permet de concevoir la communauté comme un organisme véritablement évolutif, qui laisse l’opportunité de reprendre le problème sous un autre angle, de reformuler les questions, de façon plus souple, plus vivante et finalement mieux adaptée à la complexité.
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- Le recueil auto-administré online rend possible la collaboration créative approfondie d’un grand nombre d’individus. Il y a des logiciels qui fonctionnent comme des « super boîtes à idées » où chacun peut lire les contributions des autres et rebondir sur les idées déjà énoncées. Le logiciel permet au final de tracer l’origine des idées et de récompenser la chaîne des contributeurs.
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Considéré sous cet angle, le online ouvre une nouvelle étape de l’intelligence collective. Il n’est pas une méthodologie « de plus », mais une nouvelle façon de concevoir les études. Il devient possible d’engager des études pleinement collaboratives, qui estompent la dissymétrie interviewer / interviewée, responsable de perte d’informations.
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Il est aussi possible de tester un produit en situation réelle pendant plusieurs semaines, pour construire à plusieurs un mode d’emploi collectif fédérant toutes les bonnes astuces, indiquant les pièges à éviter, et faisant le tour des mésusages possibles.
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Ce type d’approche paraît plus adaptée à la complexité, et plus à même d’intégrer la variable humaine comme dimension capitale des études marketing, en cessant de considérer les individus comme des agents anonymes désindividualisés, et faire émerger une compréhension collective de niveau supérieur.
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