Retour sur le livre de Erik du Plessis, The Advertised Mind, paru en 2005, avec cette fiche de lecture réalisée par Matthieu Guével, directeur d’études chez QualiQuanti.
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Qu’est-ce qui fait que nous retenons certaines publicités et pas d’autres, qu’est-ce qui nous attire vers tel ou tel message de marque, comment peuvent-ils influencer nos achats ? La réponse tient en un mot : l’émotion.
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Pour comprendre l’efficacité publicitaire, Erik du Plessis se penche sur le fonctionnement du cerveau, et mobilise quelques découvertes récentes faites en sciences cognitives. Il met en avant le rôle joué par l’émotion sur les fonctions supérieures du cerveau, et en particulier sur la raison. L’agrément (ad liking) y apparaît comme le meilleur indicateur de l’efficacité publicitaire, ce qui invite à modifier certains réflexes, jusque dans la pratique des études (pré-test et post-test).
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Les dernières recherches en sciences cognitives ont revalorisé et souligné le rôle joué par les émotions dans le fonctionnement du cerveau. Depuis Descartes la raison et l’émotion étaient considérées comme opposées, la seconde étant même subordonnée à la première (sauf désordre passager, c’est la raison qui nous gouverne). Même les théories de la complémentarité cerveau gauche / cerveau droit ont toujours postulé la séparation de la raison et de l’émotion.
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Les découvertes popularisées depuis quelques années par le professeur Damasio (L’Erreur de Descartes, Spinoza avait raison), ont montré que c’est l’inverse qui est vrai : non seulement émotion et raison ne sont pas opposées, mais en plus notre comportement est bien plus sûrement guidé par nos émotions, qui sont le socle de notre raison. Du point de vue neuronal, le cerveau marche à l’émotion. Pour Du Plessis, il s’agit de rien moins qu’un changement de paradigme.
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En (très) gros, tout ce que nous percevons suscite en nous des réactions neuronales qui sont d’abord prises en charge par l’amygdale, une sorte de centre de tri, où chaque stimulus extérieur est affecté d’une charge émotionnelle, avant de passer par l’hippocampe, siège d’une analyse rationnelle plus poussée (chapitre 6).
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Il existe d’infinies nuances d’émotions, mais selon du Plessis, à leur niveau instinctif, les émotions sont soit positives, soit négatives : cet objet est-il dangereux ou agréable ? Dois-je m’en méfier ou l’approcher ? La survie et le bien-être d’un l’organisme dépendent de sa capacité à rechercher les émotions positives (maximiser le plaisir), et rejeter les négatives (synonyme de déplaisir, ou de danger). Si nous voyons sur la route un objet en forme de serpent, nous sursautons et nous mettons sur nos gardes, de façon instinctive, bien avant de réaliser qu’il ne s’agit que d’un bâton : l’émotion parle en premier, et « demande » aux fonctions supérieures de faire attention à l’alerte donnée. Ce filtrage par l’émotion correspond au moindre coût pour l’organisme : il est préférable d’avoir peur devant un bâton qui s’avère être un serpent que de ne pas se méfier devant un serpent pris par erreur pour un bâton. C’est aussi ce qui explique que lorsqu’on demande aux consommateurs de nous dire ce qu’ils pensent de telle ou telle pub, ils disent en premier « j’aime, j’aime pas, parce… ». L’émotion d’abord.
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L’apprentissage et la mémoire nous aident à classer les objets de l’environnement selon qu’ils procurent des émotions positives ou négatives (expérience passées, leçons apprises, oui-dire…), à viser les uns et éviter les autres. Lorsque je vois tel produit sur une étagère de supermarché, l’apparition du logo ou du pack sollicite toute une série de souvenirs liés à cette marque, et je m’oriente instinctivement vers celle qui a réussi à créer une trace mémorielle chargée de la plus forte émotion positive (soit parce que je l’utilise tout le temps, soit parce que j’y associe un souvenir heureux d’enfance… soit enfin parce que j’ai aimé la pub).
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Cette mise en sourdine des fonctions rationnelles dans la marche du cerveau, permet à Du Plessis de clarifier certains débats sur la clé de l’efficacité publicitaire. L’efficacité d’une pub (mémorisation et persuasion) ne dépend pas d’abord de la longueur du spot, de sa fréquence de diffusion, de son taux d’exposition (le fameux stade des « trois expositions »), des arguments qu’on y développe (chapitre 1).
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L’efficacité d’une publicité dépend surtout de sa capacité à susciter une émotion positive dans l’esprit du spectateur. Autrement dit : il faut aimer la pub. Lorsque les gens aiment la pub, ils s’en souviennent mieux, ont envie de la revoir, et sont mieux disposés à l’égard de la marque. Tout l’enjeu consiste à :
- Créer dans le cerveau une trace mémorielle chargée d’une émotion positive,
- À associer cette émotion positive à la marque (c’est le danger des publicités appréciées mais non attribuées, chapitre 17). Toute apparition future de la marque ouvrira dans le cerveau la boîte des souvenirs, et l’émotion (positive ou négative) qui leur est associée décidera de l’achat, bien avant l’intervention consciente de tout choix rationnel.
La difficulté consiste à définir plus précisément ce que « aimer la pub » veut dire, car cela va bien au-delà du divertissement et de l’humour. Il y a plusieurs façons d’aimer la pub, si elle divertit bien sûr, mais aussi si elle apporte une information utile, crée de l’empathie (chapitre 15), ou même, ce qui n’est que très furtivement abordé dans le livre, de la possibilité d’interaction et d’échange (voir à l’inverse les effets négatifs de la non-originalité, de la confusion, de l’agressivité).
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On peut sans doute discuter de l’ampleur du « changement de paradigme » en question. En particulier, l’opposition schématique émotion / raison que l’on prête à Descartes paraît sortie tout droit d’un digest du Discours de la méthode, et pourrait être nuancée par une lecture suivie des Passions de l’âme. De même, le souvenir des théories mécanistes du XVIIème / XVIIIème siècle sur le fonctionnement des impressions faites dans le cerveau comme sur une plaque de cire, et associées à un plaisir ou déplaisir (y compris chez Descartes pour le dressage des chiens) rappellent – par certains aspects – les découvertes qu’on nous présente comme des révolutions.
Commentaire de Daniel Bô :
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Il est clair que le livre est une synthèse très éclairante et agréable, avec de très nombreux insights, y compris sur le métier des études. Cet ouvrage confirme la nécessité pour les enquêtes de capter les réactions émotionnelles des consommateurs. Les questionnaires quantitatifs standardisés font la part belle au rationnel au détriment de l'émotionnel. Ils mettent surtout l'interviewé dans une posture peu favorable à l'émotion. Or, l’émotion stimule
l’activité cérébrale, et permet des réponses plus justes, plus
investies, plus prédictives. A l’inverse, les questionnaires ennuyeux
ou répétitifs, où l’on doit simplement cocher quelques cases suscitent peu d'émotion. L'approche quali-quanti que nous défendons a le mérite de favoriser l'état émotionnel nos seulement par les questions ouvertes qui permettent aux individus de s'associer à leur expérience et leur ressenti mais aussi par un soin particulier pour rendre les questionnaires stimulants et vivants (sujet intéressant, ergonomie impliquante, plaisir esthétique, support à la réflexion et prise de conscience d’un sujet, intégration de stimuli, etc).
bonjour,
je pense que ce livre de De Plessis dont vous dressez la fiche de lecture apporte des nuances intérêssantes sur le fonctionnement du cerveau,j'y comprend que l'émotion agit comme un filtre,qui permet par la suite à notre raison de s'exprimer par des réactions et des comportements,je me demande, est-ce que l'émotion se place toujours devant la raison,ou est ce qu'un personne quelconque de part son expérience et son historique pourra arriver à placer la raison en tête?? par rapport aussi à votre méthode quali-quanti, comment pourrions nous cerner les émotions des interviewés à travers des questionnaires, surtout s'ils sont fait en ligne et que le façe à façe n'est pas?
Rédigé par : atif - Etudiant Chercheur en Marketing Communication | 26 février 2008 à 13:43
bonjour,
je pense que ce livre de De Plessis dont vous dressez la fiche de lecture apporte des nuances intérêssantes sur le fonctionnement du cerveau,j'y comprend que l'émotion agit comme un filtre,qui permet par la suite à notre raison de s'exprimer par des réactions et des comportements,je me demande, est-ce que l'émotion se place toujours devant la raison,ou est ce qu'un personne quelconque de part son expérience et son historique pourra arriver à placer la raison en tête?? par rapport aussi à votre méthode quali-quanti, comment pourrions nous cerner les émotions des interviewés à travers des questionnaires, surtout s'ils sont fait en ligne et que le façe à façe n'est pas?
Rédigé par : atif - Etudiant Chercheur en Marketing Communication | 26 février 2008 à 13:45
Personnellement, je me pose une question sur la validité des résultats. Si on met en place une certaine émotion pendant la passation des questionnaires, interviews, focus groups,etc... qu'elle soit positive ou negative, cela risque très fortement de biaiser les résultats. En psychologie on peut observer de nombreux effets qui résultent en des biais, comme par exemple poser plusieurs questions où la personne répondra obligatoirement "oui" avant de commencer le questionnaire, où on attend des réponses positives... Comment évaluer et appliquer le contrôle de l'émotion dans le domaine des etudes quali quanti tout en conservant une certaine neutralité objective?
Rédigé par : ST - Psychologue Ergonome | 12 septembre 2008 à 02:09
Tout ça est complexe. L'auto-administré est plus neutre que le face à face car il n'y a pas d'interaction humaine. La première chose est de mobiliser l'émotion des interviewés avec des instructions et de questions qui le stimulent plutôt que de tabler sur une neutralité sans émotion avec un interviewé plus passif et moins impliqué. La question des biais est un autre sujet car il y a souvent beaucoup de biais dans certains questionnaires quantitatifs truffés d'items. Il s'agit donc d'induire au minimum en évitant des questions qui risquent d'influencer les réponses suivantes. L'idéal est de se rapprocher du questionnaire semi-directif structuré avec une progression en entonnoir.
Rédigé par : Daniel Bô | 20 octobre 2008 à 21:54