Comme le rappelle régulièrement Yves Krief, PDG de la Sorgem, le téléphone n'a pas réussi à s'imposer comme média de recueil pour les études qualitatives. Pourtant, le téléphone est très adapté à une interrogation qualitative. Voici quelques réflexions tirées d'une dizaine d'expériences d'études menées chez QualiQuanti.
Le téléphone souffre d'une association très forte aux enquêtes quantitatives. Quand on est sollicité pour une étude par téléphone, un enquêteur à la voix automatisée par des heures d'interrogation s'apprête à vous débiter une litanie de questions fermées. Cette voix machinale est souvent accompagnée du brouhaha du call center. L'entretien semi-directif par téléphone renoue au contraire avec la convivialité et la spontanéité de la conversation téléphonique. Pas de questions à échelle mais un vrai échange humain et vivant.
Comparé à l’entretien semi-directif en face à face, l’interrogation qualitative par téléphone présente aussi de nombreux avantages :
- Il y a d’abord l’avantage économique et logistique, qui est indéniable. Avec le téléphone, on peut joindre un échantillon national voire international sans avoir besoin de locaux, de recrutement préalable, d’incentives. On peut interroger beaucoup plus d’individus avec un budget limité. A l’inverse, les entretiens semi-directifs en face à face sont en général commercialisés entre 700 et 1200 euros HT par interviewé (pour la préparation, le recrutement, l’administration, la retranscription et l’analyse). Et malgré ce budget important, les entretiens sont peu rentables pour les instituts car les moyens mobilisés sont très lourds.
- Le téléphone permet aussi une qualité d’interrogation exceptionnelle. L’anonymat, le centrage sur l’écoute, les qualités projectives du dialogue téléphonique ont des vertus encore sous-utilisées. L’interrogation à domicile, en prenant un rendez-vous téléphonique si besoin, crée des conditions naturelles de dialogue. Les interviewés se confient volontiers dès lors qu’ils bénéficient d’une écoute attentive. Par ailleurs, le fait d’être chez eux, dans leur propre environnement, peut être un facteur utile pour centrer les interviewés sur leur ressenti et aboutir à davantage de fiabilité dans la façon de relater leurs pratiques.
- Le téléphone donne également une grande souplesse dans la gestion du terrain. En fonction de l’interlocuteur, les entretiens peuvent durer 10 minutes ou une heure. A l’usage, on constate que certains entretiens peuvent se limiter à quelques minutes alors que d’autres gagnent à durer longtemps. On a donc souvent intérêt à prévoir un plus grand nombre d’entretiens avec des durées variables. Cette liberté est impossible en face à face, où les durées sont convenues à l’avance (1h à 1h30) pour planifier l’emploi du temps de chacun. Cette durée est justifiée pour certains profils et exagérée pour d’autres.
Les entretiens semi-directifs en face à face conduisent souvent à sous-traiter le terrain à des spécialistes des terrains. Grâce à la fluidité et la durée des entretiens téléphoniques, cette coupure entre le terrain et l’analyse n’est pas irrémédiable : on peut facilement répartir 60 entretiens entre 3 personnes directeurs et chargés d’études. L’équipe en charge de l’analyse peut participer au terrain, sans souffrir de la lourdeur du face à face.
- Le téléphone permet d’interroger aussi bien les personnes peu impliquées que les personnes très impliquées. Lorsque vous travaillez sur une cible d’abandonnistes ou de désabonnés par exemple, l’interrogation en face à face introduit un biais : ceux qui sont prêts à se déplacer pour évoquer les raisons de leur abandon sont ceux qui y ont vraiment réfléchi. De même, les cibles b to b acceptent de s’exprimer mais ne sont pas toujours prêts à le faire en face à face.
Avec le développement de l’auto-administré via Internet, on peut remplacer certains entretiens semi-directifs par des questionnaires online très ouverts. Mais l’auto-administré semi-directif ne fonctionne que si le répondant est motivé. Le téléphone est parfaitement complémentaire pour interroger les cibles qui n’entrent pas dans ce schéma : les cibles b to b (notamment les cibles d’acheteurs), les cibles peu impliquées (abandonnistes, désabonnés, etc).
Bien sûr, il y a des domaines où le face à face est irremplaçable : pour tous le entretiens qui nécessitent un support et une observation de l’interviewé en situation. C’est notamment le cas des entretiens ergonomiques où l’interviewé est suivi pas à pas. Néanmoins, l’interrogation au téléphone peut être complétée par diverses solutions : on peut inviter l’interviewé à aller chercher un support qu’il a chez lui ou lui envoyer quelque chose par la poste ou encore l’inviter à se connecter à une interface sur le web. Cette méthode téléphone + support Internet, déjà utilisée en quantitatif, a toute sa pertinence en semi-directif.
J’espère que ce témoignage contribuera à revaloriser le téléphone comme média de recueil qualitatif.
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