Dans le « paysage » des enquêtes en ligne proposées sur Internet, on trouve principalement des enquêtes avec une seule question par page – parfois un petit groupe de questions par page –.
Il est intéressant de s’interroger sur le bien fondé de cette pratique.
En matière de format d’interrogation, il existe deux grandes logiques de fonctionnement :
- le mode séquentiel, où l’on ne pose qu’une question à la fois, sans dévoiler les questions qui suivent
- le mode panoramique, où l’on donne à voir le questionnaire en entier (ou tout au moins : on ne le cache pas)
Le mode séquentiel correspond bien au style oral :dans les questionnaires en face à face ou au téléphone animés par un enquêteur, on ne peut pas poser toutes les questions en même temps ! L’interviewé découvre pas à pas les questions.
Le mode panoramique correspond aux questionnaires auto-administrés papier, où les interviewés ont immédiatement une vue d’ensemble du questionnaire.
On pourrait comparer le questionnaire au labyrinthe du Minotaure et l’interviewé à Icare. Dans le cas du questionnaire face à face ou téléphonique, l’interviewé est plongé dans le labyrinthe, il se repère par rapport à ce qu’il voit juste autour de lui. Dans le cas du questionnaire auto-administré papier, Il vole au-dessus du labyrinthe et a une vision d’ensemble.
Le mode séquentiel a d’autres avantages, qui dépassent de très loin l’aspect oral ou non du questionnaire.
Mode séquentiel |
Téléphone ou face à face |
Pas de vision d’ensemble du questionnaire |
Chaque réponse est isolée de son contexte |
Mode panoramique
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Auto administré papier |
Vision d’ensemble du quest- ionnaire |
Le contexte interfère avec chaque réponse |
En tant que questionnaire assisté par informatique, l’interrogation en ligne emprunte beaucoup d’éléments à la logique du CATI téléphone et du CAPI face à face. L’utilisation de questions filtres milite pour un questionnaire séquentiel permettant de sélectionner les interviewés adéquats ou de diffuser des questions adaptées au profil recueilli précédemment. A la personne qui déclare utiliser telle marque, on va pouvoir poser une question sur la marque cochée. L’approche séquentielle permet également la construction de points de passages obligés et la mise en place de balises de contrôle. Elle devient indispensable lorsqu’on ne souhaite pas que l’interviewé accède à la question suivante et soit influencé.
Le découpage par écran permet aussi la focalisation de l’attention de l’interviewé sur une question (comme en face à face lorsque l’interviewé répond directement aux questions lues sur l’écran de l’interviewer).
Le questionnaire séquentiel appartient, à des degrés divers, à la conception behavioriste des sciences humaines. A la limite, on ne cherche pas à construire un dialogue avec quelqu’un, mais à voir comment il réagit à des questions, selon un schéma mécanique stimulus-réponse.
Le responsable d’études estime que chaque réponse peut et doit être étudiée pour elle-même, nettoyée de tout contexte, qui viendrait la polluer. Poussés à l’extrême, les questionnaires séquentiels placent le répondant dans une posture de réponse-réflexe, comme un rat de laboratoire, soumis à différents stimuli qui entraînent des réponses-clics.
Les capacités de calcul, de filtres, de tri, permettent de faire réagir les interviewés précisément sur tel ou tel point très précis, sans être influencé par le contexte ou les questions suivantes. Pour tester l’appréciation d’extraits musicaux, cette forme d’interrogation est idéale.
On s’est ainsi habitué à avoir sur Internet des systèmes d’interrogation totalement assistés par ordinateur avec des filtres et des liens.
Cette logique ne s’applique pas à tous les sujets. Pour faire un retour d’expérience approfondi sur un produit ou un service, on ne peut plus considérer les interviewés comme des cobayes, qui se livrent passivement à une interrogation. Cela est d’autant plus vrai que sur le web, l’internaute est naturellement actif et sait jongler avec les logiciels. Si on considère trop les interviewés comme des rats de laboratoires, ils peuvent se défendre en déjouant certaines questions. S’ils découvrent qu’à chaque fois qu’ils cochent une marque ils reçoivent en retour une batterie de questions sur la marque cochée, les interviewés vont vite apprendre à minimiser leurs réponses pour s’économiser.
Dans certaines enquêtes, il est beaucoup plus intéressant de profiter du potentiel de dialogue offert par Internet en même temps que de son potentiel de calcul ou de cadrage. Avec le mail, le chat ou le Messenger, les internautes sont déjà habitués à s’exprimer de façon beaucoup plus riche et spontanée que lorsqu’ils devaient se mettre à une table pour répondre à un questionnaire papier. Ils témoignent d’un comportement actif, participatif, qui peut être particulièrement fructueux pour les enquêtes, et dont il faut tirer parti.
Il faut donc se demander si on ne pourrait pas utiliser Internet dans un autre sens que l’approche « séquentielle-behavioriste-atomistique » qui prévaut aujourd’hui.
On peut considérer l’enquête online comme une enquête auto-administrée reçue par mail plutôt que par voie postale. Elle peut tout à fait donner à l’interviewé une vision panoramique en lui laissant le soin de naviguer au sein du questionnaire. La vision d’ensemble permet à l’interviewé de se situer en permanence et de voir la progression de son travail. Elle favorise l’implication de l’interviewé et encourage des réponses réfléchies.
Au lieu de concevoir internet comme un calculateur géant, un « mesureur de réflexes », on peut le concevoir comme un moyen de créer un dialogue plus riche avec le répondant.
De plus, on s’aperçoit que la majorité des répondants n’apprécient guère le système séquentiel*, à l’aveugle. Ils préfèrent les questionnaires « en rouleau », qui permettent d’avoir une vue d’ensemble du questionnaire, d’en estimer la longueur et d’avoir une idée de l’enchaînement des questions.
La progression « à l’aveugle » dans un questionnaire laisse supposer que « ceux qui font » le questionnaire gardent la maîtrise totale sur l’interviewé, ce qui ne correspond pas à la promesse de réappropriation et d’expression personnelle portée par le net. Voici un exemple de questionnaire panoramique sur 5 pages : http://www.sphinxonline.net/survey/cinekit_bnpparibas/cinekit_bnpparibas.hyp?query=input&java=0&form=1
Approche séquentielle
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Approche panoramique |
Une question à la fois |
Vue d’ensemble du questionnaire |
Focalisation sur une question |
Implication et posture réfléchie |
Vise à étudier les réponses à chaque question indépendamment du contexte. |
Vise à créer un dialogue riche avec l’internaute, qui détient toutes les cartes en main pour s’exprimer. |
Exploite certaines capacités du média (calculs, tris, filtres, balises,…) |
Convient bien à la logique du média (un seul coup d’œil, réappropriation) et aux souhaits de vision d’ensemble des répondants |
Risque de réponse machinale et de clic compulsif (clicking through) |
Risque de pollution par le contexte, oblige au traitement qualitatif des réponses |
*
L’interrogation online a donc le choix entre plusieurs logiques, et combine des avantages de plusieurs modes d’interrogation autrefois disloqués.
Le questionnaire en ligne peut mixer les deux approches au sein d’un même questionnaire hybride, et comporter des parties séquentielles et des parties panoramiques. Pour éviter que les interviewés ne soient influencés par les questions suivantes, on peut découper un questionnaire panoramique sur quelques pages en introduisant des coupures dans les passages stratégiques.
Avec Internet, la boite à outil de l’enquêteur s’est considérablement élargie. Il serait dommage de systématiser l’approche séquentielle : ce serait un appauvrissement à l’heure où nous avons un appareil pour faire des études « sur mesure », en fonction du sujet, de la cible, des objectifs, de l’implication des interviewés, etc. Le CAWI n’est pas simplement la déclinaison web du CATI ou du CAPI. Il est aussi le descendant direct de l’auto-administré papier.
Pour obtenir l’implication maximale de l’interviewé, le recours au questionnaire panoramique est très efficace. C’est aussi de cette manière qu’on obtient les réponses aux questions ouvertes les plus riches.
- Dans une étude menée en novembre 2005 auprès de293 panélistes de TestConso.fr, une question a été posée sur la perception des formats de questionnaires.
Préférez-vous un questionnaire :
- sur une seule page avec un ascenseur à droite permettant de faire défiler l’ensemble des questions : 58,4%
- découpé en 3 à 5 pages avec plusieurs questions par page : 23,5%
- avec une question par page : 18,1%
je voudrais mesurer de manière chiffrée : la visibilité ; l'accessibilite et la diponibilité de nos produits chez les clients
(sans questions qualitatives ou ouvertes) que du chiffre;
auriez-vous une suggestion pour m'aider.
MR AGOUMI
Rédigé par : AGOUMI | 27 février 2008 à 15:28