Nous avons interrogé Daniel Bô, qui nous dévoile ses conseils pour définir un territoire éditorial de marque, ainsi que les pièges à éviter en vue de créer une stratégie de brand content performante, à l’occasion du salon All for Content.
Fort de ses expériences dans la publicité, où il collabore pour des acteurs tels que Saatchi, Lintas ou Equateur, Daniel Bô fonde l’institut d’études QualiQuanti en 1990. Pendant plus de 25 ans, il évalue plusieurs centaines de contenus et mène des recherches sur le parrainage TV, le placement produits ou encore la publicité digitale. Il publie également plusieurs ouvrages sur le brand content, avant de lancer en août 2016 le Brand Content Institute. En 2018, il participe à la création du salon All for Content et du Club des brand content managers. En janvier 2022, il a publié l’ouvrage Big Quali, la puissance des études qualitatives à l’ère du big data.
En quoi l’élaboration d’une stratégie de brand content est-elle incontournable aujourd’hui pour les marques ?
Précédemment cantonnées au genre publicitaire, les marques transcendent leur fonction commerciale et s’approprient les fonctions d’auteur et d’éditeur. Jusqu’ici, la marque était un annonceur : elle prenait la parole avec un mode d’expression principalement commercial. À travers une publicité, elle transmettait un message sur son produit et sur sa marque. Celui-ci était véhiculé par un média extérieur, qui pouvait imposer des contraintes fortes : en termes de durée, de contenu, de genre publicitaire, etc.
Avec l’émergence du brand content, la marque s’approprie deux nouvelles fonctions : en tant qu’auteur, elle produit des contenus qui lui sont propres ; en tant qu’éditeur, elle choisit ou crée son média. En termes de formes, elle peut donc désormais naviguer dans tous les genres éditoriaux (blogs, clips, web-séries, reportages, podcasts, etc.).
Quel est l’objectif final d’une stratégie de brand content ?
Les fonctions du brand content peuvent être classées en 4 catégories :
- Il représente un moyen d’enrichir le produit, d’éduquer le consommateur aux usages et d’animer le lieu de vente.
- Il constitue un vecteur de sens qui conduit à la réinvention de la relation avec les clients, mais aussi avec l’ensemble des publics, y compris les futurs collaborateurs. En particulier, il aide l’entreprise à être un pôle d’attraction sur son domaine d’expertise et motive l’interne.
- Il incarne un levier pour accroître le chiffre d’affaires. Il augmente la visibilité de la marque et peut mener au recrutement et à la conversion de nouveaux consommateurs. Il peut devenir source d’innovation et même de diversification.
- Les entreprises accèdent au statut d’agents culturels : elles occupent l’espace public, accomplissent des missions d’intérêt général, renforcent leur crédibilité et se protègent contre les agressions extérieures.
Quelles bonnes pratiques recommanderiez-vous pour créer une stratégie de brand content efficace pour une marque ?
Le choix du positionnement éditorial est un sujet crucial. Les marques doivent tenir compte de leur identité culturelle profonde et de leur environnement. Le brand content correspond à ce que la marque mobilise de sa culture, dans son activité éditoriale. L’univers culturel d’une marque constitue le terreau à partir duquel éclosent les contenus qu’elle émet.
Pour définir un territoire éditorial de marque, différentes approches sont possibles et cumulables. Voici un inventaire non exhaustif des démarches identifiables :
- Développer des mondes complets autour de la marque,
- Partir de son univers thématique ou de ses spécificités historiques,
- Explorer les pratiques associées et les fonctions des contenus pour le public,
- Mobiliser des personnalités liées à la marque,
- Expliciter son point de vue sur le monde,
- Puiser dans la culture populaire ou des univers à fort potentiel.
L’un des enjeux du territoire de marque consiste à savoir si la marque doit parler de son domaine d’activité ou non. En parler directement pourrait conduire à de l’autopromotion ou de valorisation des concurrents. À l’inverse, elle risquerait d’être trop éloignée de son univers ou ne pas être légitime si elle ne l’évoquait pas.
La définition du territoire éditorial se joue entre deux exigences potentiellement antagonistes :
- L’intérêt de la marque, c’est-à-dire la capacité du contenu à la nourrir et lui être bénéfique en termes d’image et de ventes,
- L’intérêt spontané du contenu pour les différents publics visés.
Les lignes éditoriales peuvent ainsi être définies selon deux logiques qui peuvent cohabiter à savoir, d’une part, des contenus liés à la marque et qui sont directement associés à l’offre de produits et de services, et d’autre part, des contenus plus éloignés de l’offre mais qui s’approprient les intérêts du public visé.
Pour aller plus loin, vous pouvez regarder cette vidéo pour savoir comment définir une stratégie éditoriale de marque efficace et pérenne :
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Quelles sont les erreurs à éviter ?
Les principaux risques du brand content sont de produire des contenus génériques, superficiels, peu associés à la marque, dispersés et autopromotionnels.
Voici 9 pièges à éviter :
- Développer des contenus sans fonction claire, dont le public ne comprend pas immédiatement l’intérêt.
- Proposer des contenus de mauvaise qualité par rapport à la marque, qui dégradent son image aux yeux du consommateur.
- Proposer des contenus trop autopromotionnels, qui seraient perçus comme de la publicité et non comme du contenu intéressant en soi, en raison d’une place trop importante accordée à la promotion des produits et services, d’une dimension publicitaire présentée dès le début du contenu, ou encore un dosage trop important du promotionnel vs le contenu diffusé.
- Instrumentaliser le contenu afin d’attirer des consommateurs vers la marque : le contenu est produit indépendamment puis est exploité à des fins strictement commerciales.
- Créer des contenus trop décorrélés de la marque, où celle-ci traite d’une thématique en général, sans la relier à son état d’esprit, sa philosophie, ses valeurs ni ses produits, avec un contenu qui serait anonyme, impersonnel, masqué, flottant dans l’espace médiatique faute d’émetteur, et interchangeable d’une marque à l’autre.
- Intégrer des publicités de marques déconnectées de son secteur, de son état d’esprit et de sa philosophie, ce qui a pour conséquence d’affaiblir l’univers de la marque elle-même.
- Chercher à imiter les médias classiques en brassant des thématiques générales : le brand content doit toujours partir de la marque, de ses valeurs et de ses produits. Contrairement aux médias, qui ont l’obligation de produire en masse pour remplir des grilles ou des colonnes, la marque doit privilégier l’originalité et, pourquoi pas, adopter une démarche expérimentale.
- Reproduire des contenus de marques existantes : les marques doivent trouver le moyen de se différencier. Même lorsqu’une thématique est déjà couverte, il est possible de développer un contenu plus original, plus puissant et plus visible.
- Ne rien faire : le contenu étant une source d’apprentissage, il y a un véritable risque de ne pas en produire. Si l’on veut profiter de la courbe d’expérience, il faut commencer le plus tôt possible, mais à condition de partir sur de bonnes bases.
Quels canaux une marque peut-elle mobiliser pour diffuser sa stratégie de brand content ?
À l’heure où les contenus prolifèrent, privilégier la qualité et le ciblage constituent des conditions nécessaires, mais elles restent insuffisantes : il faut passer de sites dédiés à la construction d’un véritable écosystème médiatique, et amplifier sa diffusion.
L’article polémique Content Shock de Mark Schaefer met en garde contre les risques d’inflation des contenus par rapport au temps disponible :
- L’offre gratuite croît de façon exponentielle,
- La capacité de consommation est limitée.
Les entreprises doivent donc redoubler d’efforts pour intéresser. Si le coût est gratuit pour le lecteur, il est croissant pour l’émetteur. Un budget conséquent est nécessaire pour faire émerger les contenus.
De plus, chaque marque possède un certain nombre de contextes de diffusion du contenu en propre : packagings, newsletters, consumer magazines, applications de la marque, sites, boutiques, etc. Ce sont des médias que contrôle la marque, mais qui ne sont fréquentés que par un public averti.
Enfin, les médias privés (owned) permettent d’échanger directement avec le public. La création de valeur y est durable et les coûts sont moindres. Ils sont consultés à la demande ou sont transmis spontanément par la marque (cadeau ou geste de la marque).
Parmi les différents canaux existants, on peut donc évoquer :
- Le packaging, qui est un espace privilégié pour héberger du contenu (recettes, conseils, DVD joint dans une boîte).
- Les consumer magazines, qui sont adressés par courrier postal ou qui sont disponibles en magasin. Ils constituent souvent un premier bénéfice de l’adhésion à la carte de fidélité.
- Les newsletters ciblées par centre d’intérêt.
- Les supports offerts ou vendus par la marque : comme les livres, DVD, CD, etc.
- Les sites de la marque : des sites génériques, des pages thématiques, un blog, une webTV, une web radio, etc.
- Les comptes de reseaux sociaux : Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, Snapchat, etc.
- Les applications pour smartphones et tablettes, les agents conversationnels, ou encore les contenus numériques embarqués dans les objets connectés.
- Et le point de vente, qui est également un espace de diffusion de contenus. L’espace commercial permet de construire des expériences sensorielles complètes, qui mettent en scène la marque et lui donnent du sens.
À noter que le point de vente appartient parfois à la marque, parfois au distributeur qui alloue un espace à la marque. Pour véhiculer des contenus en magasin, on peut compter sur différents emplacements tels que la vitrine ou la boutique pour abriter des expositions ou des contenus, des lieux emblématiques (flagship, corners) pour ressentir l’expérience de la marque et créer des événements, le rayon, pour diffuser des informations en rapport avec les offres (fiches, espace de démonstration, vidéo explicative), mais aussi les vendeurs car rien ne remplace le contact humain.
Quels sont les principaux indicateurs à suivre pour évaluer les résultats de sa stratégie de brand content ?
La question de la rentabilité du brand content est légitime. Après avoir considéré son efficacité média et son impact en termes d’image, il s’agit de mesurer si le brand content stratégique dépasse largement une opération de communication ou de marketing. Son évaluation passe par une série d’indicateurs clés de la performance (KPI), mais aussi par une certaine ouverture d’esprit.
Les annonceurs regrettent que les données se limitent au temps passé et au partage. Ils réclament des outils d’évaluation des usages plus fins :
- Une approche plus détaillée des réactions consommateurs recueillies,
- La création d’indicateurs fins, capables de synthétiser l’activité sociale,
- Un monitoring précis du parcours : rebond, transformation en visite sur le site institutionnel, dans la lignée de ce qui se fait déjà pour le e-commerce,
- L’établissement de critères sur la corrélation entre contenu et commentaire / partage : y a-t-il des points communs entre les contenus les plus partagés sur une marque (longueur, tonalité, période, format…) ?
- Des données sectorielles qui s’appuient sur la comparaison des data récoltées pour des marques concurrentes.
L’économie de l’expérience et l’économie du don invitent à reconsidérer les critères d’efficacité du brand content. Et si le brand content stratégique était une forme de jardinage, où la marque ne sait pas à l’avance à quels aléas et opportunités les graines qu’elle sème vont donner naissance ?
Une stratégie de brand content s’élabore progressivement. Il faut accepter la part d’incertitude d’une élaboration dans la durée. C’est le prix à payer pour que le contenu de marque produise des effets de levier puissants.
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