Dans le cadre de la préparation de la conférence "Brand culture & Luxe" de lundi prochain, nous vous invitons à lire les citations de Patrick Mathieu issues du livre Brand Culture. Vous y trouverez des éléments sur la singularité, domaine sur lequel travaille Patrick au sein de son entreprise. Il insiste beaucoup sur le rôle du fondateur, sujet qui sera un fil rouge de notre intervention commune.
Selon le consultant en stratégie identitaire Patrick Mathieu « Les marques doivent accomplir leur mission culturelle, qui n’est jamais terminée. Le problème d’une marque est de traiter à la mesure de ses moyens les enjeux anthropologiques de son époque, et de contribuer, autant qu’elle le peut, à répondre aux questions que les individus se posent et cherchent à aborder à travers elles. »
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Selon Patrick Mathieu « L’origine d’une marque est déterminée par une convergence entre ses fondateurs et l'histoire, ce qui relativise déjà considérablement la toute-puissance des marques et souligne leur dépendance vis-à-vis d’un environnement qu’elles n’ont pas choisi. Une marque insère sa culture dans l’histoire du monde. De plus, la marque est dépositaire de la structure identitaire et de la Singularité de son fondateur, dont elle assure le déploiement et la pérennité. Par conséquent, ce qui est fondamental pour les marques ne leur appartient pas pour une raison simple : elles n’en sont pas l’auteur. » L’exemple de L’Oréal illustre parfaitement cette inscription de la marque dans la culture de son temps et dans celle de son fondateur.
Eugène Schueller et L’Oréal par Patrick Mathieu, consultant en stratégie identitaire
< Eugène Schueller crée en 1909 la Société Française de Teintures Inoffensives pour Cheveux, qui deviendra en 1939 L’Oréal. C’est effectivement au tournant des XIXe et XXe siècles que le tabou sur la coloration des cheveux des femmes est levé. Depuis que Saint Louis avait obligé les prostituées à se teindre les cheveux, cette pratique restait marquée d’un tabou religieux fort. Il fut levé avec la laïcisation progressive de l’Etat, et la promulgation de lois comme celle de 1905 (loi de séparation de l'Église et de l'Etat). À la même époque, entre 1890 et 1910, on assiste à une seconde rupture historique dans l’histoire sociale : avec l’invention de l’aspirine, la découverte des vertus de la pénicilline, de la pasteurisation, de la vaccination, la santé humaine va être irrémédiablement transformée. L’invention d’Eugène Schuller, une formule chimique inoffensive permettant aux femmes de colorer leurs cheveux, se situe à la convergence de ces deux phénomènes.
Entrepreneur libéral, il considère que la meilleure santé de tous est un marché à stimuler. Un corps en bonne santé est potentiellement beau : les femmes ont toutes un potentiel dont elles doivent se servir au mieux. « Parce que vous le valez bien »… Sa créativité accompagne les évolutions sociales (comme les cheveux courts et colorés de Coco Chanel et Louise Brooks dans les années 1920 - 1930) et promet aux femmes un mieux-être plutôt que l’équilibre prôné par Shisheido ou le bien-vivre défendu par Nivea. Eugène Schueller avait par ailleurs compris l’importance de communiquer sur ses valeurs, et créa le magazine de L’Oréal, Votre Beauté, qui invitait les femmes à s’occuper de leur santé et de leur beauté et dont il écrivait sous plusieurs pseudonymes la plupart des articles.
Le Groupe L’Oréal hérite d’un acte fondateur ancré sur une évolution majeure de la société, et reste fier de sa mission d’universalisation de la beauté, « la beauté pour tous », qu’il étend à un grand nombre de marques et de produits. Sa conscience de ce destin, entretenue par le maintien d’un actionnariat familial (deux générations et cinq dirigeants en cent ans), a permis au Groupe L’Oréal de devenir un leader, qui stimule en permanence ses équipes de recherche pour rester à la pointe de la chimie (le groupe dépose près de deux brevets par jour et produit quatre mille nouvelles formules par an), et ses équipes marketing pour être à l’écoute des opportunités de mieux-être pour les femmes. C’est dans cette histoire que L’Oréal puise sa grandeur et son développement.>
Les entreprises ont donc une singularité, une manière d’être, de penser, qui les rendent inimitables. Depuis une quinzaine d’années, Patrick Mathieu se consacre à mettre à jour cette Singularité, qui « leur permet de créer de la valeur ».
Patrick Mathieu « Ce qui fait la Singularité des marques ». L’enjeu pour les marques est de se centrer sur ce qui fait leur Singularité. Le point de départ de toute analyse est déjà de prendre conscience que dans l’identité d’une marque, il y a une composante fondamentale qui n’est pas choisie par la marque, dont elle est dépositaire et responsable. De même qu’une personne individuelle ne choisit ni le sexe, ni la famille ni l’environnement dans lequel elle vient au monde, une marque ne choisit pas son profil identitaire. Les marques qui finissent pas penser qu’elles ont une totale liberté et qu’elles ne doivent rien à personne sont en grand danger. Ce profil identitaire, dont les marques héritent de leur fondateur, est essentiel et c’est à travers lui que les marques doivent se connecter à la culture, aux enjeux existentiels des individus, qui sont universels. Une marque qui veut construire du contenu, organiser le sens ou donner du sens, doit de se positionner culturellement en fonction de questions importantes, parfois existentielles, qui touchent véritablement les consommateurs. Dès la création de la marque, on notera que cette « connexion » entre le profil identitaire de la marque et l'histoire opère à travers deux facteurs déclencheurs : - L'évolution technique (sans Internet, impossible de lancer Google ou Facebook). - L'évolution éthique / morale : exposer des éléments de vie personnelle dans l'espace public devient un enjeu d'existence sociale et d'ouverture au monde, ce qui rend possible la création de services et d’outils sociaux de partage autour de la vie privée. |
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Patrick Mathieu, expert conseil interviewé dans cet ouvrage, analyse en ces termes la notion de culture de marque : « La culture de marque oblige à réconcilier l’interne et l’externe des marques et des entreprises. Penser en termes de « marketing », c’est s’orienter vers l’extérieur des marques, pour se projeter sur un marché. Mais il peut très bien exister une dichotomie entre ce que l’on dit au consommateur sur le marché et ce que les managers ou les professionnels de la marque vivent et pensent en interne. Parler en termes de culture, c’est différent, car une culture qui ne serait qu’un argument de vente pour les consommateurs, sans être vécue par les équipes, par l’intérieur de la marque, ne serait pas une culture, ce serait un mensonge. La culture crée, nécessairement, un lien entre externe et interne parce que la culture devient opposable en interne. »
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Selon Patrick Mathieu, « Ce qui va organiser la différence, c’est l’esprit dans lequel on va faire les choses. On a trop tendance à prendre le concept publicitaire pour l’idée de l’entreprise. La singularité d’une entreprise, c’est l’impérieuse nécessité de procéder d’une certaine manière. Les entreprises ont vocation à faire œuvre, c’est à dire à créer des choses qui ont du sens pour les gens dans une durée. Les entreprises doivent s’interroger sur leur contribution à l’histoire et se demander en quoi elles sont inoubliables. »