Voici la fiche de lecture de Chief Culture Officer, livre de Grant McCracken, que nous avons présenté dans Influencia du 9 février 2012.
A l’heure où les marques ne doivent plus proposer seulement des produits, mais une expérience de marque, et élaborer une vraie « brand culture », G. McCracken esquisse le portrait d’un nouvel acteur fondamental : le Chief Culture Officer. Loin d’avoir un rôle décoratif, celui-ci doit ouvrir grands les yeux sur le monde qui l’entoure, sur la « culture » très large dans laquelle évolue la marque, afin de l’aider à mieux communiquer avec l’environnement, et à répondre avec justesse aux attentes des consommateurs.
Téléchargement Grant McCracken CCO
Levi’s a perdu 1 milliard de dollars en ratant le mouvement hip-hop, passé d’une culture marginale à une culture de masse et en omettant de revoir la coupe de ses jeans. Facebook s’est attiré des critiques en revendiquant posséder 7 milliards de photos… les exemples sont multiples : beaucoup d’entreprises ne savent pas lire la « culture », leurs stratégies en sont affectées et elles s’en mordent les doigts.
Lorsque McCracken parle de « Culture » il ne parle pas ici de la culture au sens de « culture d’entreprise » ou au sens noble du terme (la littérature, l’art…), mais au sens de la culture « en dehors des entreprises ».
Le terme, ici, a un sens large, c’est l’ensemble des idées, des émotions et des activités qui constituent la vie des consommateurs.
Les entreprises ont bien cherché à étudier la culture, au sens énoncé ici, mais elles ont souvent laissé l’appréhension de cette question à un jeune interne, ou à un quidam… Alors que les enjeux sont bien trop forts pour être confiés à une personne choisie au hasard.
Pourquoi s’intéresser à la culture ? Parce que c’est elle qui permet aux entreprises d’extraire des valeurs qui les rendront légitimes aux yeux des consommateurs (Nike, The Four Seasons, ont fonctionné parce qu’elles se sont inspirées de la société, et ne sont pas imposées à elles sans prendre en compte les valeurs qui l’habitaient), et parce que comprendre la culture, c’est comprendre la société, pouvoir faire face à ses mutations, et s’y adapter.
Certaines entreprises ont su s’intéresser à la culture, chacune a eu ses trucs pour la comprendre. Mais ici, l’idée est de développer un nouveau concept : The Chief of Culture Officer (approximativement, « le vice-président à la culture ») que nous désignerons par les initiales CCO. Le CCO a pour fonction de connaître la culture sous toutes ses facettes, dans ses grands mouvements et dans ses détails, afin d’aider au mieux l’entreprise à définir ses stratégies compte-tenue de la culture.
Ce livre s’adresse à ceux qui travaillent en entreprise et souhaitent faire fonctionner leur organisme au mieux grâce à la culture, ainsi qu’aux personnes qui veulent faire de la culture un élément clé de leur travail.
Franchir l’étape du « gourou »
On entend partout que Steve Jobs est un homme indispensable, irremplaçable de la marque Apple. Pourtant, au niveau de la culture d’entreprise, il n’a rien fait d’extraordinaire, et beaucoup pourraient en faire autant. Bien sûr, nous ne pouvons pas nier que S . Jobs a beaucoup fait pour Apple, il a révolutionné le téléphone, lui a apporté une figure charismatique…Mais pour les autres, en dehors de la marque, qu’a-t-il fait de plus qu’un CCO aurait pu faire ? Nous nous sommes rendus nous-mêmes dépendants d’un gourou, alors que cela n’avait rien de nécessaire. La marque Apple devrait pouvoir vivre en dehors d’une image.
Beaucoup de marques dépendent d’un figure : Virgin dépend de R. Branson, Omnimedia de M. Stewart…mais une figure les rend fragile finalement, parce que la marque dépend des idées, de l’image, de la santé d’une personne. Lorsque l’égérie est défaillante, c’est la marque entière qui risque de l’être. Si l’égérie devient l’actrice d’un scandale, la marque risque de plonger avec elle. Pour limiter ces risques de défaillance liée à la faillibilité d’une personne, il faut donner sa place à un CCO. Ce qui a fait marcher Apple, ce n’est pas seulement –même si cela joue- Steve Jobs qui ressemble à un génie sorti de son laboratoire avec ses cols roulés. Ce qui a fait marcher la marque, c’est aussi la valeur d’esthétique présente dans les produits Apple. Les produit Apple ont un style artistique qui semblait, jusque là incompatible avec les produits de micro informatique. Cette esthétique a rencontré l’enthousiasme a la fois des professionnels de l’informatique (l’’esthétique n’a pas été créée au détriment de la performance des produits), des créatifs et des consommateurs. La soif d’esthétique était/ est inhérente à la société contemporaine d’Apple. La marque a fonctionné parce qu’elle a rencontré une soif particulière présente dans la « culture ».
Finalement, toutes les marques devraient être attentives à ces tendances pour essayer de s’épanouir au mieux…
C’est ainsi que G. Frost a sauvé Motorola en donnant une vraie place à l’esthétique des téléphones portables, en instaurant le Razr, premier téléphone Motorola qui n’était pas seulement un téléphone mais aussi un accessoire de mode. Le Razr est devenu un véritable phénomène de société parce qu’il répondait à un besoin d’esthétisation de la société. Lorsque G. Frost est mort, Motorola a rapidement perdu de son souffle, parce qu’il manquait quelqu’un qui sache décrypter les vraies tendances de la culture des consommateurs. Motorola n’a plus su décrypter la « culture » de la société pour y adapter l’offre de Motorola. G. Frost, sans le savoir, a été un CCO, en sachant adapter la production de Motorola à la culture de la société.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, on devient CCO par hasard, et non pas en faisant des études spécifiques. On devient CCO en ayant « vécu » véritablement quelque chose, ce qui nous permet de mieux comprendre les mécanismes d’une marque. C’est notamment le cas de P. Knight, qui a été coureur, et savait, de ce fait, ce qu’attendent ces sportifs. Il a lancé Nike, avec le succès que nous connaissons. Ce succès s’explique par sa compréhension de la « culture » du coureur. De même, D. Ogilvy a fondé Ogilvy et Mather, alors que dans ses vies antérieures il avait été fermier, vendeur ou même espion… Son expérimentation de la société dans des perspectives diverses et variées lui a permis de savoir quelle offre produire.
Ces exemples ne doivent pas être mal interprétés. Les CCOs n’ont pas des « intuitions », ils n’ont pas une aura qui leur fait sentir des choses que personnes ne peut voir. Il s’appuie sur des preuves, sur des choses objectives, que tout le monde ne voit pas , mais que d’autres pourraient voir s’ils y travaillaient et observaient attentivement. Sinon, ils ne pourraient pas toucher un public, et encore moins un public plus large comme c’est le but de toute marque. Pour réussir à aller au-delà d’une population très ciblée d’une marque, le CCO doit viser à ce que son travail soit un travail scientifique véritable. P. Knight, s’il n’avait eu que des intuitions, n’aurait su toucher que les coureurs professionnels, ayant été lui-même un coureur très assidu. Mais le CCO sait, grâce à des connaissances véritables, toucher un public beaucoup plus large. Le CCO a une véritable connaissance de la société, il n’est pas seulement traversé par des intuitions et des persuasions, par nature subjectives.
Des CCOs qui ne se savent pas CCO
Certaines personnes sont déjà CCO sans le savoir…
Dan Wieden pour Nike
Dan Wieden est un partenaire Nike, qui a joué un rôle très important dans le développement de la marque. Il a su sentir et observer des choses dans la culture qui lui ont permis d’élaborer des stratégies révolutionnaires et efficaces.
Avec « just do it », il révolutionne les codes du slogan. Les marques, jusqu’ici, ne parlait que d’elles dans leur slogan. Ici, Nike s’adresse au consommateur, et non seulement s’adresse à lui, mais avec audace et presque de manière impolie. Il s’agit presque d’un ordre adressé au consommateur.
Dan Wieden a aussi révolutionné l’image du sport, avec la publicité « tag » en 2001. Dans cette pub, nous voyons un homme, qui est, malgré lui, emporté dans un jeu de « chat » géant : il vient d’être « attrapé » par un inconnu, il doit maintenant lui aussi, en lui courant après, « attraper » un inconnu dans la rue. Dans cette publicité, le sport devient un véritable jeu, et non plus seulement un ensemble de performances à repousser, de records à actualiser, d’épreuves à traverser. Le sport n’est plus scientifique, théâtral, il est, à présent, quotidien, et chacun peut jouer.
Lance Jensen pour Volkswagen
Ils lancent deux publicités qui ont changé les codes publicitaires.
D’abord, « Pink moon » en 2001 : des jeunes roulent dans une voiture. Au moment d’arriver à une fête, ils se regardent, et repartent dans leur voiture, sans mot dire.
http://www.youtube.com/watch?v=BIOW9fLT9eY
Une autre, intitulée « Synchronicity » , montre deux personnes de classes aisées dans un quartier populaire. Ils voient le quartier rythmé, en chœur, par la musique mise dans la voiture.
http://www.youtube.com/watch?v=DcfW_hlYZ5k
Les publicités, ici, ne sont plus seulement constituées de messages assenés, elles sont plus complexes et laissent place à l’interprétation du spectateur. De même, dans la seconde, une vraie place est donnée à la culture populaire, on n’est plus dans les stéréotypes où seuls les bobos ont leur place.
Alex Bogusky pour Microsoft
Microsoft apparaissait comme une marque arrogante (voir que lorsque google dit « dont be evil », qui sous-entend…ne soyez pas Microsoft).
A. Bogusky a pallié cette image par une série CP+B où B. Gates est décrit comme quelqu’un d’humain, de modeste...
De même, dans sa série de publicités « I’m a PC », les utilisateurs de PC, sont des personnes, avant tout. Elles « sont », elles n’ont rien de spécial, elles ne sont pas plus intelligentes que les autres, avant-gardistes ou réactionnaires, elles sont, comme elles sont, dans leur diversité, et leur spontanéité.
C’est ainsi qu’Alex Bogusky a fait face au monstre Apple , en inventant une « troisième voie ». Il y avait les « avant-gardistes » et les « classiques », ceux qui utilisent Microsoft ne sont ni classiques, ni avant-gardistes, ils sont juste eux-mêmes, avec leur singularité…
A.G. Lafley pour P&G
A. G. Lafley a compris que pour rester dans la course, il ne faut pas s’autoproclamer meilleur, mais prendre en compte véritablement le consommateur, en allant le voir, lui.
Il est donc allé lui-même au Vénézuela, pour rencontrer des consommatrices, et comprendre quel est leur monde, et comment, dans ce monde, s’insèrent les produits de P&G. Il faut comprendre quelle signification cela a pour les consommateurs, et intégrer cette signification.
Silvia Lagnado pour Dove
Comme beaucoup d’autres marques, Dove a longtemps parié sur les femmes blondes, blanches, grandes et minces pour la représenter dans ses spots télévisés. Mais Silvia Lagnado a compris que ces femmes ne représentent que 2% de la beauté féminine. Elle va alors auprès des femmes pour savoir ce que cela veut dire pour elles, « être belles », et pourquoi certaines, ne se sentent pas belles. Elle a compris qu’il fallait tirer partie de la beauté polymorphique des femmes : toutes les femmes ont une beauté qui leur est propre, et cette multiplicité a été mise en forme chez Dove, et a été un vrai succès.
Chris Albrecht pour HBO
Il a révolutionné HBO grâce aux Sopranos ou même à Sex in the City, en comprenant que les téléspectateurs.
Sopranos a répondu à une attente des téléspectateurs : une réflexion profonde sur la vie via la une série télévisée. Les téléspectateurs n’attendent pas seulement des contenus superficiels et humoristiques.
Sex in the city a répondu à des interrogations qui naissaient durant la décennie de son apparition : les femmes sont en train d’accéder aux mêmes postes que les hommes, s’approprient certains éléments de leur identité, alors comment serait le monde si les femmes se comportaient comme les hommes ?
C. Albrecht a su voir quelles étaient les interrogations de la société et y répondre par des produits télévisés appropriés. Et ce ne sont que deux exemples parmi d’autres. Le CCO sait sans cesse détecter les interrogations de la culture et leur apporter des réponses (ou au moins des éléments).
Milton Glaser pour NY City
M. Glaser A inventé « I ♥ NY » à un moment où l’on pensait que la ville était en plein déclin (drogue, meurtres…) dans les années 70.
« I ♥ NY » a bien marché parce qu’il y a une interruption quand on lit la formule : il y a un mot, puis il y a un symbole. Mais comment lire ce symbole ? Ce symbole est lié à des émotions, des sentiments. Le cœur, c’est associé à la dame de cœur, à la Saint Valentin…Cela renvoie à quelque chose de plus profond qu’un simple « love ». C’est le langage des dessins d’enfant, des marins qui ont un tatouage sur l’épaule, …passer à l’icône, c’est passer de la culture bourgeoise, à la culture qui parle à tous, et renvoie à des sentiments et des émotions bien plus profondes. C’est pour cela qu’il y a eu un succès de la formule : elle parlait à tout le monde.
Ces exemples ne doivent pas être mal compris. Il ne faut ni croire que n’importe qui peut être un CCO, ni croire que c’est impossible de le devenir. Il ne s’agit pas d’intuitions que nous aurions ou que nous n’aurions pas, dont la nature nous aurait fait le don, mais bien des connaissances que l’on acquiert en vivant et observant des phénomènes de la société. Il ne s’agit pas seulement de deviner le goût des gens, d’appréhender des choses impalpables, mais d’analyser, de manière presque scientifique, ce qui nous entoure. « Le CCO est une profession comme les autres – avocat, médecin, stratège-, c’est une personne qui pense longtemps, avec intensité, et systématiquement, qui étudie les options possibles, explore les alternatives, et fait des choix précautionneux », rien ne se fait au hasard, cela ne relève pas du génie, mais d’un travail long et difficile.
Culture rapide et culture lente
La culture rapide |
La culture lente |
C’est la culture qui change, qui est visible : c’est la dernière voiture à la mode, les vêtements dans les magasins, le concert qui fait parler de lui…
La culture rapide peut faire peur, parce qu’elle nous échappe, parce qu’elle change sans cesse et nous oblige à évoluer, mais elle est nécessaire, c’est elle qui nous fait nous actualiser.
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C’est le pan invisible de la culture : nous en sommes tant imprégnés que nous ne le voyons plus. C’est un ensemble de règles, de choix, de goût. Elle attire peu l’attention. Pourtant, cette culture invisible a une vraie importance, parce qu’elle est partout et nous définit, c’est l’art de faire que notre maison est une maison et non pas un simple bâtiment, c’est notre façon de manger…Ca n’alimente pas les conversations, cela n’attire pas les journalistes parce que cela nous semble banal. Pourtant, elle participe de notre identité.
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Les deux types de culture doivent être pris en compte par le CCO. La culture, rapide et lente, structure notre pensée, notre langage…Et le CCO doit déceler tous ces éléments.
La culture rapide, c’est celle qui a modifié notre société depuis les années 70, c’est l’apparition de la télé couleur, des séries télé, des émissions radio libre, d’internet, de MySpace, de deezer, de l’iPhone… la culture est en évolution perpétuelle. Et c’est ce qui rend le travaille du CCO difficile, il doit être dans un mouvement perpétuel, celui de la culture. Ses connaissances ne sont jamais assises et doivent sans cesse s’actualiser. La culture rapide est le challenge des CCO, puisque c’est ce qui détermine notre société.
De même, la culture n’a pas un espace défini, elle est partout, elle s’invite partout, c’est bien pourquoi il est difficile d’être un bon CCO, il faut être attentif à toutes les manifestations de la culture.
Aujourd’hui, la culture se disperse : tout le monde peut écrire, tourner des films avec beaucoup moins de contraintes, par exemple. Il est donc difficile de faire des catégories de cultures bien déterminées et que l’on peut compter…il n’y a plus une culture électro, mais une vingtaine, une culture rock mais des dizaines et des dizaines… les cultures se multiplient, se séparent, s’affinent, se fécondent les unes les autres, le paysage de la culture actuelle est très difficile à dessiner, car trop foisonnant. « Le travail du CCO est de trouver un chemin dans ce chaos. Nous pouvons avancer que cette dispersion va continuer et devenir toujours plus prononcée », la différenciation sera une réalité toujours plus forte, et les CCOs sont alors indispensables, et doivent développer un sens aigu du discernement.
Pourtant il existe de rares moments durant lesquels la culture converge : tout le monde se regroupe autour d’un élément culturel reconnu par tous comme un moment crucial dans lequel chacun peut se retrouver. Ce fut le cas des Preppies. Les preppies étaient des étudiants de classes moyennes américains, avec leur culture (films, tournure de langage, un livre théorisant cette culture même…). Cette culture a rencontré un succès une culture preppy s’est répandue dans les années 80, dans toute la société américaine, d’une manière très impressionnante. Cependant, ce mouvement de convergence a très vite disparu au profit d’une critique du système américain (par des films, des livres…) favorable à des classes moyennes riches, mais qui délaisse les classes les plus pauvres.
Le CCO doit déceler ces moments de convergence de culture, mais à temps, afin de pouvoir en profiter pour sa marque, et avant que le déclin n’apparaisse. Ces convergences sont des « océans d’opportunités » qui peuvent être décelés par le CCOs, mais qui passent facilement inaperçus, ou sont distingués trop tardivement.
Dans ce cadre, le CCO doit prendre en compte l’arrivée des nouveaux médias. Facebook, ce n’est pas seulement des données qui ne veulent rien dire, c’est une nouvelle façon d’être ensemble, aujourd’hui les gens peuvent rester en contact toute leur vie. Ce sont des données qui montrent que les gens vivent en montrant que leurs réseaux marchent…et ces réseaux peuvent nous dire ce qui est porté par la société. Il s’agit d’un bon terrain pour dénicher des convergences de culture.
La culture des statuts, la culture cool
La culture des statuts
La culture des statuts était évidente au XVIème siècle : chacun avait une place bien déterminée dans la société, chacun pouvait, les yeux fermés, dire qui était sur quel barreau de l’échelle sociale. Mais avec la société de consommation, ces rôles, ces statuts, sont devenus flous. Après la seconde guerre mondiale, de plus en plus de gens peuvent acheter une voiture, des vêtements à la mode... Cela participe à la fin de l’existence de statuts bien déterminés.
En France, Bourdieu souligne que, finalement, la consommation reste un vecteur de statut, un sac Gucci permet d’afficher son salaire, mais aussi une appartenance sociale, l’appartenance à un groupe. Aux Etats-Unis, la consommation confère moins un statut. Et il est aujourd’hui bien difficile de savoir qui est en haut de l’échelle : les hommes politiques, les people, les business men ? Alors qu’avant, la hiérarchie sociale était bien instituée, était une évidence, aujourd’hui elle dépend des valeurs de chacun, de la vision que nous avons de la société.
La culture cool
La culture cool est née au XIXème siècle à Paris, il s’agissait de la culture des personnes qui souhaitaient aller à l’encontre des valeurs bourgeoises, des normes bien établies. Ce sont un peu les avant-gardistes, qui ont été tant admirés, à leur époque, ou a posteriori. Ce phénomène s’est peu à peu amplifiée, et modifiée…la culture cool, c’est la culture de la liberté, la liberté d’être ce que l’on veut, sans rester dans les carcans imposés par la culture dominante. Et finalement, les hippies ont été le prolongement des avant-gardiste, avec un nombre d’adhérents toujours plus important.
La culture cool suppose que chacun puisse être ce qu’il veut : chacun a le choix de devenir ce qu’il sera. Elle suppose une absence de hiérarchie sociale. On a cru que cette culture pouvait remplacer la culture de statuts. Mais ceux qui y ont cru ont du mettre fin à leurs illusions : l’égalité complète n’existe pas, une hiérarchie s’impose toujours.
Cultures cool et de statut ont échoué. Aucune n’existe plus. Aujourd’hui nous sommes dans une culture de la diversité, de la variété, du bruit.
Les producteurs et les consommateurs
Avant, le consommateur devait se contenter de ce qu’on lui proposait. C’était le producteur qui faisait ce qui lui plaisait. Et ce n’était pas grave si la télévision proposait des choses finalement peu qualitatives.
Mais les spectateurs se sont finalement invités dans les scénarios, dans les productions : un personnage comme Jack Sparrow dans Pirates des Caraïbes, c’est une place faite à la classe populaire au cinéma. Aujourd’hui, chacun produit (youtube…), et le consommateur devient beaucoup plus exigeant vis-à-vis de ce qui lui est offert. Il est devenu maître du jeu. Le public attend quelque chose qui l’élève, pas quelque chose qui a été préfabriqué pour une masse qui ne réfléchit pas. Le public attend du contenu de qualité.
Les producteurs ne peuvent pas être complètement déconnectés de ce qu’attend le public : le CCO doit chercher à entrer en contact avec le public
Comment observer quand on est CCO ?
Le métier de CCO n’est pas décoratif, il peut permettre de véritablement gagner beaucoup d’argent, au quotidien en aidant à des décisions plus intelligentes chaque jour.
« le CCO a un passeport pour l’ensemble de l’entreprise. Il sait d’où la prochaine idée pourrait venir. Il a une connaissance profonde de l’entreprise ». Il doit donc adopter un certain nombre de méthodes et de réflexes.
Le CCO doit savoir poser les bonnes questions. Il faut savoir s’intéresser à ce qu’on sait pertinemment qu’on ignore. Il faut aller au devant de la méconnaissance, en n’hésitant pas à interagir avec ceux qui savent, mais en leur posant les bonnes questions, qui leur donnent envie de nous répondre ce qui nous permettra de véritablement apprendre des choses. « Toute personne te parlera si tu sais lui poser la bonne question ». Tout est dans la façon de s’intéresser au sujet sous le bon angle : aller vers les personnes les plus connaisseuses, et les interroger avec des questions pertinentes.
Il faut s’intéresser à tous les éditeurs, à la presse, à la culture populaire, sous toutes ses formes, ne rien laisser au hasard. Regarder la télé tous les jours, pendant de longues heures, être attentifs à tous les signes qui pourraient permettre de voir qu’un mouvement de convergence va apparaître. Ses observations doivent aussi s’étendre au langage, à la façon de se tenir des gens…Et des liens entre les observations doivent être créés. Le CCO sait analyser, encore et encore, et observer toujours. Il sait accorder son attention à quelque chose qui n’attire pas ou qui semble sans importance. L’auteur prend l’exemple des personnes âgées, il faut s’avoir les interroger, même si ce ne sont pas des personnes avec qui on a envie de passer du temps. Il prend aussi l’exemple des hommes d’affaires qui claquent des doigts une fois qu’ils ont lu une page de leur journal : pourquoi claquer des doigts ? Cela semble anecdotique, mais une fois analysé, c’est révélateur de représentations sociales, de valeurs,…
Le problème de l’observation, c’est qu’elle est souvent mal faite, il faut savoir ouvrir ses yeux et ses oreilles. Analyser une conversation qu’on a entendu : pourquoi ces personnes se sont-elles disputées dans l’ascenseur alors que tout se passait bien, quel est le ton de la dispute, quels mots sont utilisés et pourquoi ?
Il faut oser interroger ce qui semble étrange.
Il faut savoir être méthodique dans son travail : chercher beaucoup d’indices, dans un endroit précis, et faire des prédictions, des prévisions. Puis savoir analyser ce qui a pu faire que ces prédictions étaient fausses, pour être plus effectif la fois suivante.
Le CCO doit savoir, grâce à ce sens accru de l’observation, aller chercher des solutions auxquelles nous n’aurions pas pensé, et qui sont peut-être même contre-intuitives, mais qui peuvent être salutaires. Cette idée, il l’accompagne de son origine, à son arrivée et son déploiement sur le marché.
L’empathie
Le CCO doit savoir faire preuve d’empathie, c'est-à-dire essayer de ressentir ce que ressent la personne observée. Il faut savoir sortir de la perspective commerciale et s’intéresser véritablement au monde des gens pour comprendre ce qu’ils ressentent. C’est ce qu’a fait A.G Lafley en allant interroger des gens au Venezuela. Il s’est mis à la place de la femme qui l’interrogeait, pour comprendre que pour elle, la cosmétique, « c’est un jeu ». Chose qu’il n’aurait jamais pu concevoir de lui-même, en tant qu’homme, en tant qu’homme d’affaires. Il est sorti de sa propre grille de valeur : pour lui, ces produits, c’est son travail, c’est son gagne pain, c’est des produits marketing à valoriser et non pas un « jeu ». C’est son empathie qui a pu lui permettre de concevoir cela.
L’empathie se travaille. Certains ont plus de facilité que d’autres à être empathiques. Mais cela se travaille pour les autres, en observant la façon dont les gens touchent les objets, regardent, s’expriment, etc. Daniel Pink dans son ouvrage A whole new mind montre que ce sont les moments d’empathie que l’on accède vraiment au consommateur, à ce qu’il est, tout s’éclaire.
Certains diront que c’est une méthode bien trop sentimentale, qui n’a rien de scientifique pour le CCO, c’est pourtant une méthode bien nécessaire, parce qu’il faut connaître le monde en dehors de l’entreprise. L’entreprise ne peut pas agir comme s’il ne se passait rien en dehors d’elle.
La méthode ethnographique
La méthode ethnographique, c’est la capacité à observer, à noter des détails associée à l’empathie.
Beaucoup disent faire de l’ethnographie alors qu’ils ont fait une banale interview, sans tirer profit véritablement de la méthode ethnographique. L’ethnographie ne se résume pas à faire une interview chez quelqu’un, et à observer ce que l’on voit, simplement. Il s’agit de comprendre comment vivent, ressentent et pensent les personnes de cette maison. Il ne s’agit pas seulement de décrire et de discuter, mais d’aller plus loin dans l’analyse en expliquant pourquoi tel phénomène a lieu. Il faut vivre avec la famille de l’intérieur, pas seulement s’inviter en tant qu’observateur.
Le brainstorming collectif
Le brainstorming collectif, c’est une méthode pour mieux appréhender la culture et être à l’affut de nouvelles idées, mises de côté jusqu’ici. L’idée, c’est de travailler en groupe, de débattre et de penser à plusieurs, avec pour règle : dire non à la négation. En d’autres termes, il faut être ouvert à toute proposition, et explorer toutes les idées, même si elles semblent saugrenues. Si ce n’est pas pertinent, la conversation se tournera naturellement vers autres chose, sans avoir besoin de dénigrer des idées et des possibilités.
Les opposants à la culture
Ceux qui croient qu’on peut comprendre la culture en restant en dehors des nouveautés, des médias, sont des obstacles à la connaissance de la « culture ». Par exemple, Eisner qui a été pendant longtemps le directeur de Disney, a cru qu’il pouvait s’affranchir d’une réflexion sur la société et sur les médias, parce qu’il avait un long vécu derrière lui. On ne peut pas comprendre la culture sous prétexte qu’on a beaucoup vécu, tout est important, on ne doit pas laisser des éléments de côté.
Les gourous, les économistes (ils ne voient pas ce qu’il y a de culturel dans les phénomènes), les ingénieurs (qui voient tout sous forme de données), ceux qui croient que la culture peut s’appréhender avec des codes et des schémas prédéterminés, qu’il y a une culture qu’il suffit d’appréhender par des codes différents en fonction des pays, … Sont autant d’acteurs qui empêchent un accès vrai à la culture. De même, les anthropologues actuels qui ne croient pas à la notion de culture, qui obscurcissent les questions et les réponses et font douter sur tout (les méthodes, …) ne sont pas de bons alliés pour appréhender la culture. Les entreprises aussi peuvent être des freins au travail du CCO, parce qu’elles sont frileuses et n’osent pas tenter des voies nouvelles.
Conclusion
Il faut agir humblement : c’est la première génération de CCO que les entreprises connaîtront, et il faudra savoir travailler de manière coordonnée.
Il faudra être humble, mais savoir être audacieux. Chaque marque doit trouver une identité. Par exemple, Coca ne doit pas être juste une boisson mais être un compagnon dans la vie des gens, parce que ça correspond à ce que cherchent les gens aujourd’hui. Les marques doivent être aussi extravagantes que des films, aussi expérimentales que l’art…
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