Extrait du portrait de Christopher Bailey par Jérome Bonnet paru dans Libération du jeudi 8 décembre 2011. Cet article illustre bien cette notion de brand culture :
- par les fonctions complètes du creative director en charge de la marque
- par la façon avec laquelle il envisage son métier en développant un univers autour des produits
- par les disciplines qu'il est amené à pratiquer : musique, mode, design, architecture, etc
En dix ans, le directeur de la création de Burberry a su moderniser l’univers traditionnel de la marque anglaise.
Qui a dit que le boulot des stylistes était de dessiner des fringues ? (…) Aujourd’hui, les couturiers créent. Mais pas uniquement. Ils sont hommes ou femmes d’affaires, stratèges, publicitaires, parfois même des célébrités. L’univers du luxe est entré dans l’ère des creative directors, ceux sur qui reposent le destin et l’identité d’une marque. Ainsi, Christopher Bailey, 40 ans, est « directeur générale de la création » de la marque Burberry, qualité qui lui donne la responsabilité –on retient son souffle- de « la conception de l’ensemble des collections et produits de la marque mais aussi de la communication, de la direction artistique institutionnelle, du design architectural, des contenus multimédias et de l’ensemble de l’image de marque ». Beaucoup pour un seul homme donc, surtout à l’aune des chiffres stratosphériques de la marque britannique fondée en 1856 : un milliard d’euros de chiffres d’affaires au premier semestre 2011, un taux de croissance faramineux, des ouvertures de boutiques partout dans le monde. Et c’est justement à l’occasion d’un flagship store […] rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris que l’Anglais s’est prêté au jeu de l’interview.
[…]
Il décline depuis 2001 quasi à l’infini l’univers de la marque, vendant des palettes entières de trenchs, habillant, par un drôle d’effet de distorsion, autant la jeunesse dorée en mal de rock attitude que les classes populaires en quête des signes extérieurs de l’establishment. (…)
Christopher Bailey affirme aimer « l’élégance qui ne demande pas d’effort, l’idée que l’on puisse se construire un personnage moderne avec des références très historiques ». Et de citer Burberry à nouveau, symbole selon lui de l’évolution de la mode et du luxe : « Aujourd’hui, une marque ce n’est plus simplement un produit. C’est le contexte qui est important, l’expérience que l’on a en achetant, en portant. On peut avoir le manteau le plus beau du monde, s’il ne renvoie à aucun signe, cela n’a pas de sens ». C’est donc là que Christopher Bailey agit. Un trench restant un trench, il fait évoluer tout un univers autour, transformant la marque en « compagnie mondiale ».
Il passe des campagnes de publicité où il mêle des top models aux rejetons de la rockracy, ces fils et filles de musiciens autrefois scandaleux (lagger, Ferry) et aujourd’hui très établis, à la plateforme en ligne Burberry Accoustic où des jeunes groupes sont repérés, diffusés, et au passage, habillés. Il marie des défilés que l’on peut voir en ligne en direct de Milan ou de Londres, à Art the Trench, premier réseau social conçu pour et par une grille de mode, les internautes postant des photos de leur total look Burberry du jour. Baily, geek autoproclamé, s’enorgueillit de voir que, sur Facebook, la griffe compte près de 10 millions d’amis, lui qui pense qu’Internet a « redéfini la notion du luxe. Les marques sont aujourd’hui obligées de s’adresser à tout le monde, pas à une poignée d’individus qui méprisent le reste des gens ».
Cette honte-là, Christopher Bailey l’a connue. Il a 18 ans quand son père le mandate pour achter une montre pour sa mère : « Avec une somme qui me parassait énorme, je suis allé dans une boutique chic de Bond Street, très excité. Pour ma famille, c’était quelque chose d’important. Dans le magasin, je me suis fait traiter comme un moins que rien. Cette triste expérience a eu un impact énorme sur moi. »
(…) Diplômé en 1994 il est parti à New York travailler chez Donna Karan puis a rejoint en 1996 le flamboyant Texan Tom Ford chez Gucci. EN 2001 il est appelé à prendre la tête de Burberry. Le choix étonne, tant le jeune homme est alors anonyme. La suite, fructueuse, donnera vite tort aux sceptiques.
« Tout ce que j’aime dans la vie, la musique, la mode, le design, l’architecture sont des sujets sur lesquels je travaille à Burberry, j’ai eu une chance énorme dans ma carrière »
Christophe Bailey est le choix idéal pour le rôle de gourou de champ global, high-tech, néolibéral et pop que représente aujourd’hui la mode.
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