Dans sont dernier livre décapant "Exit le marketing de masse" aux Editions Diateino, Seth Godin montre à quel point le marketing touche chacun dans son individualité et sa singularité. L'auteur rejoint tout ce que nous avons pu écrire autour de la performativité. D'où cette fiche de lecture.
Seth Godin ouvre son ouvrage avec l’exemple d’un zoo qui a fait de nouveau recette en lançant des paris sur un éléphanteau à naître.
« Cette anecdote est censée illustrer un passé idyllique, un âge d’or où les agences publicitaires n’avaient aucun mal à faire leur travail pour attirer l’attention du public. Elle nous rappelle que notre système économique repose sur la consommation et le divertissement de masse, sur la production de gadgets, de services et de jeux destinés à un grand public aisé et avide de nouveauté » (pp7-8).
Cette nostalgie est compréhensible : aujourd’hui, le plus grand nombre n’est plus une cible marketing viable.
Quelques définitions - très personnelles- par Seth Godin |
|
Masse |
La masse, c’est le plus grand nombre, la majorité indistincte, facile à séduire |
Norme |
Définit les gens de la masse. |
Singulier |
Tout ce qui n’est pas normal. L’auteur revendique d’être singulier par choix. « Faire le choix d’être singulier, c’est faire un pied de nez délibéré à la culture de masse et à la norme » (p.9). C’est à cette singularité là que Seth Godin veut s’intéresser. |
Richesse |
Ressources qui permettent de dépasser l’état de survie. |
Il est absurde de vouloir nous pousser vers un idéal universel, la clé est de soutenir des gens singuliers. Que ce soit en tant qu’individu ou en tant que marketeur.
Partie 1 : Capitalisme, industrie et pouvoir des masses : l’inévitable déclin
Nos instincts, attentes et idées préconçues tournent autour des masses parce que nous ostracisons les gens différents. Seuls ceux qui s’adressent à la masse sont récompensés.
La normalité a été inventée par les politiques : c’est grâce à elle qu’on peut légiférer.
Mais ce sont les publicitaires qui ont poussé cette logique à l’extrême : ont inventé un marché grand public pour pouvoir rentabiliser des systèmes bien rodés.
La logique de la normalité s’est insinuée dans chacune des sphères de notre vie. Cela influence nos achats, nos désirs, notre façon d’éduquer nos enfants…et tout le reste !
La consommation de masse est un phénomène récent, mais très efficace. Certains marchés sont dominés par une ou deux marque(s): (Heinz sur le marché du ketchup par exemple). Les entreprises sont alors frileuses vis-à-vis de l’originalité.
Ce livre est un manifeste pour la fin de tout ce qui se dit « grand public ».
L’ère du XXème siècle fut l’ère de la masse, mais ce temps touche à sa fin. Cette transition est difficile : les masses veulent garder leur influence et leur visibilité. Mais cette lutte est vouée à l’échec.
|
Le normal |
Le singulier |
Une illustration |
Ville « Normal » : on y trouve un Macdo, un subway, etc. C’est une ville sympathique, mais elle n’a pas d’identité à proprement parler, que ce soit, culinaire, historique, ou architecturale…On n’y fait rien d’extraordinaire, et l’on ne s’y révèle pas.
|
C’est la 11th street of Manhattan. C’est un mélange de genres et de cultures : on y trouve un restaurant japonais, un centre culturel islamique, des boulangeries avec / sans gluten… Rien de tout cela n’est « normal », mais « c’est un heureux mélange d’idées et de cultures, complètement inattendu mais débordant d’énergie positive » (p.18) |
Traits de définition |
Etre normal, c’est être dans la moyenne, ou du moins être dans un périmètre proche de la moyenne
|
L’auteur ne s’intéresse pas aux anomalies de naissance, mais à ceux qui ont fait le choix de ne pas être dans la moyenne. « Les gens singuliers le sont parce qu’ils ont renoncé à la facilité et à l’efficacité de la masse qu’ils ont remplacé par des groupes plus petits au sein desquels être singulier est la norme » (p.22) |
- Les moyens de communication de masse sont en train de mourir
L’humanité produirait en 2 jours une quantité d’information égale à celle produite entre l’an 20 000 avant notre ère et 2003 (selon E. Schmidt). Il y a beaucoup plus d’informations, et donc moins d’informations incontournables que chacun voit inévitablement.
Partie 2
Les 4 forces de la singularité
4 premières forces de la singularité |
|
Force 1 |
De nouvelles facilités de création (internet) |
Force 2 |
Une richesse accrue (au sens économique du terme). Elle permet de faire ce qu’on veut, c'est-à-dire d’être singulier, puisque la richesse permet de dépasser le seul état de survie et donne la possibilité de faire des choix. |
Force 3 |
Un marketing plus efficace pour séduire les gens singuliers. Plus la cible d’un marketeur est précise, plus la stratégie de communication est facile et a des chances d’être efficace. |
Force 4 |
Des tribus mieux reliées. Il est plus facile d’être reliés entre tribus qui revendiquent une certaine singularité : les différences se renforcent et s’enrichissent. Les liens entre personnes normales sont beaucoup moins faciles à créer, paradoxalement. |
Nouveaux contextes, nouvelles tendances |
|
Le contexte du XXème siècle |
Le contexte qui se dessine actuellement |
La production en série a connu un grand succès au XXème siècle, parce qu’elle s’est inscrite dans un contexte particulier. Pendant des décennies, la masse a été séduite par un marketing « facile » et qui ne ciblait personne en particulier, parce qu’elle ne connaissait pas le stade d’enrichissement que nous connaissons aujourd’hui, et n’avait donc pas les exigences actuelles. La norme est la tendance, on s’intègre par le mimétisme. |
Nous sommes dans une société où toujours plus de gens sont assez riches pour faire des choix. L’exigence s’étend, et chacun est plus difficile à séduire. La publicité ne peut plus se reposer sur de la facilité. La production de masse ne peut plus fonctionner. Il n’y a plus de norme, puisque la capacité de choix s’est épanouie au fil des siècles : il suffit de comparer les œuvres d’art de la préhistoire avec celles d’aujourd’hui, beaucoup plus diverses.
|
Le choix est un luxe, apprécié par les gens. Malheureusement, les marketeurs n’ont pas encore le réflexe de donner le « choix » aux gens, c’est une vraie erreur stratégique.
Le marché n’est pas qu’une machine à faire des profits. Il favorise également le choix personnel et l’engagement. Il permet d’exprimer notre souhait de singularité.
Il n’a jamais été aussi facile d’être créatif : on peut participer à une encyclopédie, faire son site web, etc. Aujourd’hui, ces créativités s’entretiennent et se déploient ensemble, parce qu’elles sont beaucoup plus visibles et mises en contact.
On assiste alors à une accélération du rythme de la création : il y a un encouragement entre les membres de la tribu, qui s’éloignent de l’idée de masse.
Les experts marketing les plus futés se tournent déjà vers des personnes singulières, puisque ce peut être tout à fait lucratif. Exemple : les personnes qui adorent l’informatique vont être prêtes à payer des milliers pour un câble s’il est spécialisé, de très bonne qualité et si l’entreprise vendeuse crée un lien avec les acheteurs.
Partie 3
L’aplatissement progressif et inexorable de la courbe en cloche
La courbe en cloche habituelle, qui fut celle du XXème siècle |
La courbe en cloche aujourd’hui |
La distribution d’une population ou d’une caractéristique est souvent décrite par une loi normale, c'est-à-dire par une courbe de Gauss, en cloche : les valeurs sont centrées autour d’une moyenne. Ce modèle a existé tout au long du XXème siècle en ce qui concerne la consommation. |
La cloche a un peu fondu, aujourd’hui, elle est plus aplatie. Les moyennes ne sont plus des règles écrasantes.
|
Les conséquences au niveau du marketing |
|
La cloche était très prononcée : la majeure partie des gens mangeait telle sorte de riz ou achetait telle couleur de voiture. Les stratégies marketing étaient alors très faciles, il suffisait de viser la moyenne des attentes. |
Le marketing ne peut donc plus s’adresser à la masse, puisque cette masse n’existe plus. Créer du « moyen » est une erreur stratégique.
|
L’évolution de la courbe de Gauss est une idée qui n’est que rarement assimilée par les marketeurs, et par les gens en général. En effet avons toujours été bercé par le concept de normalité : c’est la tyrannie du plus grand nombre. Une autoroute est construite si elle est beaucoup utilisée, un homme politique ne peut être élu que si beaucoup de gens l’aiment…
Les marketeurs les plus malins ont déjà cessé de traiter les acheteurs comme un tout homogène.
Exemple de la vidéo : il y a les geeks (recherchent de l’innovation très vite), le centre (qui veut quelques chose de rapide et peu cher) et les trainards (ceux qui se contentent de ce qu’ils ont jusqu’à ce qu’il soit vraiment nécessaire d’acheter autre chose). Il est plus stratégique de viser les geeks qui seront prêts à payer des choses beaucoup plus cher, que la masse, qui est moins réactive et achète moins cher. « Le grand public est la cible des publicitaires qui n’ont pas suffisamment d’informations pour être plus précis. » (p.67)
La singularité est aujourd’hui plus visible. En effet, internet nous permet de nous rapprocher des gens et de repérer leurs particularités. Avant, nous ne les voyions que de loin, et ces particularités étaient alors invisibles.
Les forces de la norme |
Les forces du singulier |
Les médias, les fabricants, les franchises, les grandes entreprises de services, de nombreuses religions, les hommes politiques, la police, les compagnies de fret participent à la norme.
|
-l’explosion des richesses -l’explosion de choix de médias -l’explosion de l’offre -la mobilité : L’explosion des mobiles et des réseaux sociaux montrent bien que nous cherchons à être en contact avec les autres membres de notre tribu, et non pas à nous intéresser aux personnes ordinaires. En étant toujours plus mobiles, nous attendons d’être en face de publicités adaptées à la situation dans laquelle nous voyons cette publicité. |
L’auteur souligne que les exemples de succès de la masse et de la norme sont de plus en plus rares et qu’ils sont le fruit d’une nostalgie d’un temps où nous étions une même et grande tribu animée d’un enthousiasme commun.
Les phénomènes de masse et de singularité sont des phénomènes en chaine, plus on convainc de personnes, plus vite un plus grand nombre d’autres personnes se convertiront au modèle (de normalité ou de singularité).
Pourquoi la singularité doit triompher |
|
Pourquoi la singularité va finir par triompher |
|
Deux logiques, deux éthiques |
|
L’éthique de la masse |
L’éthique du singulier |
« Lorsque les puissants disent aux autres ce qu’ils doivent faire de leur temps libre, de leur travail, de leur passion, de leurs vies, nous courons le risque de pérenniser le statu quo en faisant semblant de défendre la morale, alors que ce qui est à l’œuvre est en réalité un mouvement né de la peur ou de la soif de richesses des entreprises. » (p.91)
Les publicitaires, pour s’aliéner un public, cherchent souvent à montrer les « autres » (ceux qui n’écoutent pas le message) comme des ennemis. Non seulement, il s’agit là d’une méthode immorale, mais, en plus, inefficace : cela ne fait que renforcer la tribu montrée comme ennemie. |
L’éthique du singulier, c’est de laisser chacun libre de suivre son propre modèle et de ne pas l’obliger à se plier à un autre qui ne lui correspond peut-être pas.
Les singuliers aussi doivent faire des efforts : si certains marchés singuliers sont dans l’impasse (la musique classique) c’est aussi parce que les singuliers ne montrent pas qu’ils sont là et existent. Il faut savoir montrer au marché ce que l’on attend pour faire exister notre singularité. |
|
Commentaires