Toutes les études (et notamment celle réalisée par Firefly pour l'IAB fin 2010) convergent sur la gêne vis-à-vis du caractère intrusif de la publicité online. Dans cet article, nous allons expliciter les spécificités du média internet et la problématique de l'intégration de la publicité. L'article ci-dessous récapitule des résultats d'études inédits de QualiQuanti, qui ont précédé nos travaux sur le brand content. Ces travaux cumulent notamment une veille pour le SPMI sur les meilleurs sites de presse au monde, une étude en partenariat avec Lycos et Media Contacts sur la vidéo online, différentes recherches sur les formats publicitaires du web, les sites de marques, etc
On voyait déjà à l'époque (en 2007) à quel point la communication des marques sur internet ne pouvait que tendre vers des contenus riches consultés avec intérêt par les internautes.
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Panorama de formats publicitaires innovants actuels par Piximedia
Selon l'étude de Firefly, les formats pop up et overlay sont particulièrement rejetés. Les formats intersticiels, billboard, expand et flash transparent sont ambivalents. L'habillage, la bannière, le pavé, la 4ème de couv, le skyscraper sont mieux acceptés du fait de leur niveau d'intrusion plus faible. Les formats interactifs sont valorisés car ils laissent la main à l'internaute et sont des invitations à l'exploration. La publicité online fonctionne d'autant mieux qu'elle est explicite et pertinente (en adéquation avec le contexte du site et avec les centres d'intérêt de la personne notamment grâce au retargeting).
Dans le cadre d'analyses sémiologiques, réalisées par QualiQuanti sur la communication online, nous avons pu mettre en évidence des règles de fonctionnement :
• de l'espace internet :
- l'espace internet est un espace sensible qui suscite une exploration tactile, qui réagit aux sollicitations de l’internaute, qui a « conscience » de sa présence devant la page, et offre de multiples possibles d’interactions.
- c'est un espace à feuilleter, qui contient « en réserve » toute une série de contenus actualisables : la communication peut s’envisager désormais sous la forme de suggestions pour actualiser un message non déployé.
- c'est un espace fragmenté , qui englobe à la fois de l’audio / textuel / visuel / audiovisuel, mais où ces dimensions peuvent être fragmentées, dissociées, ne sont pas nécessairement concomitantes et peuvent se renforcer les unes les autres.
- cet espace est à la fois écran et rouleau. On utilise pour parler des « pages Internet » une catégorie qui appartient au livre, au codex, composé de pages qu’on feuillette, qu’on tourne l’une après l’autre. Or le codex est lui même un format historiquement déterminé, qui a succédé au volumen (le « rouleau »), dans lequel on « déroule » un rouleau continu.
• de l'intégration de la publicité :
- La publicité online correspond à différentes formes d'intrusion qu'il faut "racheter". Parmi les stratégies mises en place pour racheter le sentiment d’intrusion, on compte notamment l’intérêt esthétique de la publicité, la dimension informative, l’humour, l’interactivité, la séduction des contenus ou des images, des contenus élaborés, avec une richesse et une densité sémantique. Lorsque les marques proposent des contenus intéressants, elles rachètent leur effet négatif d’intrusion, par une offre qui est supérieure au mal qu’elles font (l’effet intrusif) et évitent le rejet des internautes.
- La publicité instream (notamment preroll) pose des questions spécifiques. L’enjeu consiste notamment à renverser le statut de la publicité en quasi-gratification, puisqu’elle remplit un temps où il aurait fallu attendre. L’autre mode privilégié de légitimation de la présence publicitaire est le sponsoring / parrainage, où l’annonceur apparaît comme un sponsor du contenu délivré.
La publicité en pré-roll consiste en une intrusion dans le temps : la publicité diffère l’accès au contenu en obligeant le spectateur à passer par un écran publicité. Prisonnier d’une sorte de tunnel, le spectateur doit en passer par la publicité pour atteindre sa destination. Il existe plusieurs façon de construire l’acceptabilité de ce type de présence : I. En maintenant la liberté de choix avec une fonction Skip ou une interface de publicités à la demande (cf USA) II. Par une qualité telle que la publicité rachèterait la contrainte de sa présence III. Par une affinité telle au contenu que la publicité se présente comme un service supplémentaire et complémentaire du service recherché. Voir la réponse de la catch up aux USA qui propose de choisir entre différents messages au sein du temps contraint.
- Les conditions d'acceptabilité de la publicité online amènent à privilégier des logiques de contenus. Sur les sites de partage comme Youtube, la publicité n’apparaît pas comme publicité mais avec un statut de document. Internet se conçoit en effet comme un média de stock, une grande réserve, qui donne accès à une diversité de documents, dont la publicité fait partie. Elle est dans ce cas un document parmi d’autres. Lorsque la TV diffuse des spots qui sont en fait des teasers pour un contenu en version longue disponible sur Internet, une nouvelle hiérarchie des médias se dessine, où la TV devient un tremplin vers le web, avec un appel pour aller sur Internet le « vrai film ».
- L'interactivité apporte beaucoup d'atouts à la publicité online : dans la bannière interactive, l’internaute reprend le contrôle et choisit de développer les contenus, qu’on lui suggère de consulter.
Je vous invite vivement à cliquer sur les différents liens ci-dessus et à lire ces analyses détaillées publiées sur notre site consacré à la sémiologie. Ces travaux réalisés avec Raphaël Lellouche en 2007 restent totalement d'actualité et n'ont pas eu d'équivalents depuis. On comprend après lecture pourquoi le contenu de marque est une des réponses les plus adaptées aux problématiques d'intrusion et d'intégration. La publicité online doit tendre vers un contenu intéressant, que le consommateur consulte de son plein gré. Les formats publicitaires deviennent notamment des moyens autopromotionnels pour attirer les internautes vers du brand content. Ils peuvent être utilisés comme des affiches ou des bandes annonces visant à promouvoir des contenus de marque dignes d'intérêt.
Le respect de l'internaute passe par un contenu riche et intéressant dont il reste maître
Voici le bilan que nous tirions en 2007 sur les perspectives de la publicité online, au début des formats publicitaires vidéo (cf exemples dans l'image ci-dessous, emblématiques de la période)
Internet n’est pas un média unilatéral et n’obéit pas à la simple dichotomie d’un internaute actif / passif. Il offre un environnement complet beaucoup plus complexe.
- Sur Internet, les niveaux d’intrusion sont sans commune mesure avec ce que l’on a connu précédemment, et le seuil de tolérance à l’intrusion paraît abaissé : la publicité ne peut pas se permettre de prendre le récepteur en otage et lui imposer des contenus sur lesquels il n’a pas le contrôle.
- Dans 1ère phase archaïque, les espaces publicitaires épousaient la structure, les formes classiques de la mise en page, en venant se loger dans les marges. Comme la publicité avait un statut secondaire et marginal, elle cherchait à s’imposer par signalétique : couleur, clignotement, invasion.
Ce que la vidéo a introduit de nouveau, c’est la possibilité d’avoir affaire à des contenus beaucoup plus riches sémiotiquement, que de simples signaux chromatiques ou mouvants.
L’arrivée de la vidéo dans la publicité marque le passage du simple signal au signifiant, avec des contenus riches en info, et des possibilités d’une narration dans le temps.
Du coup, cette nouveauté permet de modifier la place habituelle de la communication des marques, qui n’est plus nécessairement un contenu secondaire ou marginal, mais peut devenir un contenu à part entière, intéressant, divertissant ou informatif et rivaliser avec les autres contenus du web « à armes égales ».
- Soit en tant que case parmi les autres cases
- Soit comme contenu autonome mis en valeur (mini site, site de partage)
Par toutes une série de stratégies, la publicité online cesse d’être un pur signalement hypnotique, le média se civilise dans son rapport à l’internaute, il apprend à le respecter, ou du moins créer chez l’internaute le sentiment qu’il est maître de l’usage du média, et non simple spectateur d’un réceptacle passif et contraint. L’arrivée de la vidéo participe de cette évolution.
Du coup, l’effet contexte paraît renforcé, dans la mesure où la publicité n’est plus un signal au milieu de contenu mais un message au milieu d’autres messages, la façon dont le sens de la pub résonne avec le sens des autres contenus du contexte devient essentielle.
D Surprise
La publicité vidéo joue souvent des effets de surprise. Elle se présente comme un événement, et pas comme un simple message. Un événement se produit sur la page.
L’effet de surprise permet de racheter et de sauver le sentiment d’intrusion. On a beaucoup mis en garde contre les dangers de l’intrusion, qui est un vrai enjeu, lorsque la publicité envahit la page que je suis en train de lire.
Face à ces stratégies parfois extrêmes d’envahissement, l’internaute affiche des prétentions tout aussi extrême, et revendque violemment sa liberté, son ras le bol de la pub, etc.
Entre ces deux phénomènes extrêmes, un équilibre peut apparaître. Une troisième phase historique de la pub vidéo online peut s’ouvrir avec la valorisation de la surprise, qui vient animer le parcours de l’internaute de façon ludique.
Si la publicité apparaît sur le mode ludique, comme un événement étrange et amusant sur la page, elle n’est plus de l’intrusion, elle devient un quasi service de divertissement.
D Originalité
Internet offre des possibilités créatives inédites. Les effets d’irruption, de dissociation page / écran, l’enchevêtrement des espaces en sont des exemples.
Cette capacité créative se retourne en quasi obligation d’originalité : une fois qu’on a ouvert, contourné, déchiré, bousculé la page, il faut sans cesse trouver de nouvelles idées créatives, de nouveaux modes d’intervention
En l’occurrence, une publicité pour les 4 fantastiques met en scène le personnage de « LA Chose » qui donne un coup de poing violent et sort de son pavé. Mais le geste est un peu répétitif et fonctionne par pure effraction.
Il y a dans ce type de mise en scène un risque d’essoufflement car bientôt les pages Internet auront été soumises à si rudes épreuves qu’il sera difficile de surprendre avec des procédés sommaires.
D Pertinence
L’autre exigence est un impératif de pertinence et de rapport au contenu de la marque, afin d’éviter la création arbitraire.
- La créativité du film Club Internet de 2007 était manifeste, mais le duel des personnages n’a pas grand rapport avec le métier de la marque.
- Le contenu de la publicité est davantage lié au système de motivation du produit, et ne se réduit pas à un pur jeu de rapport média /hors média.
Il paraît important pour l’ensemble des portails en général de ne pas se contenter d’un jeu créatif qui n’aurait pas beaucoup plus de sens que le jeu en lui même. Il faut être apte à faire de la vraie pub même s’il y a jeu avec le média.
Les possibilités créatives d’Internet sont si grandes qu’elles peuvent faire naître de purs jeux créatifs, de pures animations sans rapport avec les valeurs de la marque. Le défi de ce type de support consiste à garder à l’esprit la pertinence de l’interaction et la cohérence avec les valeurs de la marque défendue. Il est donc essentiel que les portails développent une expertise et un savoir faire non seulement des possibilités publicitaire d’Internet, mais au service des discours de marque. |
D La simplicité et la clarté
Certains formats ou dispositifs d’apparition de la publicité apparaissent inutilement compliqués.
Par exemple, dans la publicité pour le film Eragon (sur le portail Lycos en 2007), on a disposé trois espaces :
- Un petit encart avec émeraude où il est écrit « pour activer le film passe ta souris ici »
- Un habillage fixe très pertinent, qui donne le sentiment que les personnages nous regardent « de haut », et président à la page.
- Un écran qui s’ouvre lorsqu’on regarde la BA
Le mode d’apparition de l’écran, qui fait glisser la page sans la recouvrir apparaît très pertinent, de même que l’habillage, qui assure une vraie « plongée » dans le film.
En revanche, le mode d’activation semble compliqué, avec plusieurs espaces fragmentés qui chacun ont une fonction. On clique sur un espace mais il ne se passe rien dans cet espace lui-même, la vidéo s’affiche à un autre endroit de la page. Avec 3 instances différentes qui régissent l’apparition de la vidéo, la mise en route de la BA paraît fragmentée.
L'analyse sémiologique (associée à la veille) est l'outil le plus pertinent pour décrypter le potentiel et l'évolution de la communication online. Espérons que, dans les années à venir, l'IAB, le SRI ou l'IREP donneront à cette approche la place qu'elle mérite.
Daniel Bô
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