Très bon article de Nicolas Bordas sur son blog qui mérite une réponse circonstanciée. Précisons d'abord que Nicolas m'avait embauché pour mon premier job en juin 1986 chez Dupuy Saatchi et que j'ai toujours grand plaisir à échanger avec lui. Avec cet article, il a le mérite de poser des questions importantes mais son point de vue est parfois orienté par son tropisme pub. Sa tribune est représentative de la gêne des publicitaires qui se sentent parfois exclus du phénomène brand content et cherchent à le réintégrer. Revenons en détail sur ses différents points :
Le brand content est-il un concept anglo-saxon ou bien un néologisme, que nous aurions promu ?
Les anglo-saxons utilisent plus volontiers l'expression branded content pour désigner un ensemble qui réunit le parrainage et la création de contenus. Nous sommes revenus à plusieurs reprises sur cette terminologie et je continue de penser qu'il est intéressant de distinguer brand et branded content car ces deux termes incarnent deux logiques assez différentes. Ce qui est certain c'est que sur un plan international il n'y a pas de termes qui s'imposent pour désigner les contenus créés par les marques. Il y a une multitude de mots (branded entertainment, storytelling, content marketing, advertainment, etc) qui tendent vers cette notion de contenu avec des nuances. L'expression Brand Content est utilisée par les anglophones et n'est pas une invention totalement française.
Lorsque nous avons décidé d'occuper le terrain du brand content, c'était après une réflexion sur la question de l'appropriation des méta-données. L'expression était peu utilisée puisque nous avons pu déposer l'url brandcontent.fr. A l'époque, il y avait des promoteurs d'autres termes avec notamment Gaël Solignac qui défendait Branded entertainment et Jacques Kluger qui se faisait l'apôtre de l'advertainment. En tant qu'institut d'études, nous avions testé beaucoup de nom anglais comme Livebox auprès de français et avions constaté que "l'anglais transparent" fonctionnait toujours mieux. C'est certain que l'expression Branded Content avait un faible potentiel pour des francophones tant le (ed) pose des problèmes de prononciation voire de compréhension.
Aujourd'hui, l'expression Brand Content est victime de son succès : tous ceux qui veulent aller vers une démarche de contenu (et ils sont nombreux) se retrouvent dans cette formule un peu valise. Brand Content est souvent employé à la place d'Opération Spéciale, qui est une expression qui connote one shot. Brand Content est aussi utilisé pour certains dispositifs publicitaires complexes.
Le brand content est-il soluble dans la publicité ?
Pour Nicolas Bordas, il faudrait arrêter de distinguer les notions publicité et brand content sous prétexte que certaines publicités seraient riches en contenus. Certes, il y a des publicités qui peuvent être assimilées à du brand content. C'est particulièrement vrai des mini-métrages sur le parfum. Certains spots de longue durée de marques de parfum fonctionnent comme du brand content et les parfumeurs diffusent vonlontiers les versions longues de leurs films comme des contenus dignes d'intérêt.
Cependant, les cas où publicité et brand content peuvent être confondus sont minoritaires et il est utile de conserver cette distinction. On ne peut pas dire que FFK de Wilkinson est un spot de publicité pour la marque; d'autant plus que la marque diffusait des publicités produit en parallèle. Si BETC a ressenti le besoin de créer un département BETC Content, c'est bien parce que l'activité de ce nouveau département contenu est distincte de la maison mère.
La publicité est née dans un contexte de manque d'espace et a développé un savoir-faire pour impacter le consommateur avec un message concentré destiné à être répété. Ce savoir-faire est bien différent de celui qui est mobilisé pour la création de contenus. Les agences de publicité, qui ont tout à fait la légitimité pour créer du contenu de marque, doivent avoir bien conscience des différences.
A l'heure où le consommateur a de plus en plus le choix entre regarder ou éviter la publicité, les publicitaires sont obligés de renoncer à la logique du message imposé et répété pour aller vers un contenu désiré. Cette tendance amène progressivement un rapprochement de la pub vers les contenus.
Peut-être que dans quelques décennies la logique du contenu sera devenue majoritaire et que la publicité sera perçue comme un format daté historiquement né avec le boniment et la réclame et qui aura du fortement évoluer. Dans tous les cas, la publicité doit pouvoir être évaluée comme un contenu parmi d'autres. Si on se place sur ce plan, il y aurait matière à faire un vrai coup de gueule concernant la publicité radio.
Faut-il conserver la dichotomie branded content / brand content ?
Nicolas Bordas soutient que la frontière entre parrainage et création de contenu est largement poreuse. Il a partiellement raison. Les marques ne peuvent plus se contenter d'apposer leur logo sur des événements ou des contenus et sont de plus en plus amenées à créer quelque chose d'original qui rende tangible le partenariat.
Le branded content a intérêt à évoluer vers le brand content. Si Hermès a arrêté de parrainer le Grand Prix de Diane pour créer son propre événement (Le Saut Hermès), c'est bien parce que la tendance est d'aller vers la création de contenus propres plutôt que l'association à des contenus existants. En conservant cette dichotomie, on met en évidence le modèle pur de la création de contenu, qui reste l'idéal, en regard du modèle plus courant mais moins puissant de l'association à un contenu existant.
Le Brand Content regroupe-t-il l'ensemble des contenus produits par la marque au nom de l'idée qu'il l'anime ?
Ce n'est pas parce que le Brand Content a des frontières parfois un peu floues qu'il faut mélanger publicité, parrainage et contenu de marque. L'intérêt de ces oppositions (brand content/pub, brand content/branded content) est d'avoir donné des grilles pour se repérer. Il suffit de regarder les 1300 exemples de brand content répertoriés sur le site de veille pour constater que ça n'a rien à voir avec de la publicité ou du parrainage et qu'il est bon de cultiver les différences.
Là où je comprends Nicolas Bordas, c'est qu'en opposant pub, parrainage et contenu, on risque de perdre l'intégration de tous ces moyens au service de la marque. C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, plutôt que de se battre sur des définitions, il apparait plus important d'expliquer que la marque fonctionne comme un pôle de densité symbolique, inscrit dans un environnement. La notion de Brand Culture, qui fera l'objet d'un livre fin 2012 ou début 2013, explicitera l'intégration toutes les manifestations de la marque. L'expression Brand Culture a l'avantage d'être vraiment internationale et de réconcilier les disciplines au lieu de les opposer. Le Brand Content est un moyen privilégié de développer une Brand Culture au même titre que les produits, la publicité, le design, l'interne, les lieux de vente, etc
A votre disposition pour poursuivre le débat.
Voici par ailleurs les commentaires que j'ai reçu par mail de Matthieu Guével :
- L'important n'est pas l'opposition pub / brand content mais la logique du message Vs la logique de l'expression. Par ailleurs, il faut rappeler que ces distinctions sont nécessairement des oppositions de "méthode" et pas des oppositions "de nature" ou "ontologique" : on s'en sert pour essayer de voir un peu plus clair entre la pub Ovomaltine et les publicités riches en contenus, mais il est évident qu'il y a des opérations qui se réclament du contenu, qui sont justement très pauvres en contenus et des éléments présentés comme de la publicités, qui sont très riches.
- Si l'on cherche à désigner l'ensemble des contenus produits et diffusés par une marque au nom de l'idée de marque, ça ressemble fort à la communication de marque tout court. Si Nicolas Bordas ressent le besoin de parler de publicités "enrichies en contenus", c'est bien qu'il y a une distinction quelque part entre les deux, même si la publicité (qui désigne à la fois un format et un contenu) peut évidemment être le support du contenu.
- Ce qui est capital ce sont les bénéfices et les effets produits par le contenu vs la pub et dans le livre nous avons bien distingué les 3 piliers qui fondent la spécificité du contenu de marque.
Il y a 20 ans, le publi-reportage bénéficiait chez les annonceurs d'un fort engouement, c'était une bonne technique pour apporter du contenu à une marque via un support presse. Cette technique de communication était cependant considérée comme le parent pauvre de la pub et dans les agences les créatifs rechignaient à copier la maquette d'un magazine. Mais c'était bien de la pub non ? et une habile façon de promouvoir la marque, de raconter une histoire. ça l'est toujours du reste, mais les agences ont laissé ça aux régies et aux 2 ou 3 agences spécialisées. Peut-être que les services de création des agences jugent plus noble aujourd'hui de travailler sur des formats audiovisuels ? Pourtant il s'agit bien du même principe non ?
Rédigé par : Mylene Desclaux | 07 décembre 2011 à 11:00