Poursuite des recherches élaborées en 2007 avec Raphaël Lellouche avec la question de la crédibilité éditoriale des marques.
La prise de contrôle par les marques sur l’autorité éditoriale invite à rebours à s’interroger les origines de la légitimité des éditeurs : qu’est-ce qui faisait que les éditeurs étaient légitimes (par exemple, pour un éditeur de presse, la capacité matérielle à produire, mais aussi un réseau de correspondants, des auteurs reconnus…) ?
Des types de légitimité qui allaient de soi apparaissent mieux aujourd’hui qu’elles ne sont plus masquées par les contingences matérielles ou les rentes de situation. La remise en cause des positions invite à réfléchir sur ce qui faisait leur légitimité, au-delà du hasard et des contingences matérielles.
Hier, il n’était pas donné à tout le monde de devenir éditeur, car il y avait des conditions matérielles importantes et des barrières fortes à l’entrée. Mais la légitimité des éditeurs installés ne s’appuyait pas seulement sur la maîtrise de ces barrières.
Aujourd’hui que ces conditions ont disparues, ce n’est pas parce que « n’importe quelle marque » peut devenir éditeur que tout le monde a la légitimité pour le faire.
Les problématiques de communication de marque se déplacent et soulèvent de nouvelles questions en termes de légitimité, de cohérence, de capacité d’appropriation de mondes de marques, etc. Car il est clair que n’importe qui ne peut pas prétendre à cette légitimité : il y a des exemples limites, ou l’appropriation de la fonction éditoriale ne marche pas (exemple Domino’s Pizza ou Pepsi World en 2007).
Les dangers de la parodie : l’exemple Domino’s Pizza
L’un des enjeux pour les marques va être de dépasser le niveau de simple imitation, camouflage ou parodique pour conquérir véritablement le statut d’éditeur, et proposer des contenus pérennes, renouvelables, intéressants, diversifiés qui soient autre chose que des simulacres.
Le risque en effet serait de s’en tenir à des contenus qui sont de simples imitations ou de pâles copies du journal, de revêtir les codes éditoriaux comme une simple peau extérieure sans fond, et qui manqueraient de tout ce qu’est censé avoir un véritable contenu.
L’exemple du journal Domino’s Pizza montre un essai d’appropriation des codes du journal, mais qui n’est qu’extérieure et parodique. La marque s’efforce de proposer un contenu qui ressemble à un journal, mais qui n’est en fait qu’un simulacre :
o Des titres de presse : « Domino’s lance la pâte fine »
o Des rubriques « société, sport » autour de la pâte fine
Dans le cas présent, le contenu vire à la parodie et ne peut pas être pris au sérieux. Il peut donner au lecteur l’occasion de sourire, mais le modèle s’épuise vite car il conduit à vider de sa substance le modèle dont on emprunte les codes. On cherche à faire de l’humour, mais l’intérêt reste limité. On modélise un peu le sérieux de l’information, mais au risque de le détruire, et de saper le rôle de conquête de la fonction éditoriale.
Le document peut à la rigueur accompagner la vraie communication qui se trouve au dos, le nom et le prix des pizza, avec des bons de réduction, mais chacun peut voir qu’il n’y a pas de contenu véritable, ni de vraie appropriation du code éditorial.
Les dangers de l’appropriation indue : l’exemple Pepsi World
Sur un site comme le site « Pepsi World », la marque assume pleinement son statut d’éditeur : elle occupe une position de surplomb, elle sélectionne et met en ligne des contenus de producteurs et réalisateurs différents, comme le ferait une chaîne de télévision.
Le problème réside ici dans la cohérence et l’intérêt d’un univers « entièrement Pepsi ». :
o D’une part, si l’univers est entièrement codé par Pepsi, le spectateur pourra confondre le contenu avec de la pure et simple publicité, ce qui désamorce l’intérêt pour le contenu, qui ne semble pas avoir de valeur en soi.
o D’autre part, si l’univers est entièrement codé par Pepsi, le spectateur peut s’étonner que l’on confonde l’univers de la marque et l’univers culturel qui la dépasse largement : à quel titre la marque Pepsi peut-elle revendiquer de s’approprier la « culture jeune » ? Les jeunes peuvent adhérer aux valeurs de Pepsi, à une culture qui est AUSSI celle de Pepsi, mais ils n’y adhèrent pas forcément EN TANT que CULTURE PEPSI. La marque n’a pas de légitimité à s’approprier un univers dont elle n’est qu’une partie, et qui la dépasse largement.
Lorsque la marque Benetton crée un magazine Colors, et s’approprie les valeurs générales de l’ouverture, de la tolérance, des valeurs politiques, elle n’apparaît pas en tant que marque commerciale. Elle laisse de côté sa dimension commerciale et son identité de fabricant de pulls.
Si le spectateur est intéressé par le thème de l’eau ou un autre thème traité dans Colors, il peut lire sans se sentir agressé par un discours commercial.
En revanche, le public peut tout à fait refuser l’impérialisme de Pepsi qui consisterait à occuper la position de parrain ou d’hébergeur de la totalité de cette culture qui la dépasse largement.
Appropriation partielle de la fonction éditoriale
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Appropriation seulement extérieure des codes de l’édition, sans vrai contenu |
Mise en avant de la marque en tant que marque commerciale VS en tant qu’éditeur |
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Sape les fondements du contenu éditoriale |
Impérialisme de la marque |
Intérêt pour le spectateur ?
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Les dangers de la visibilité commerciale
Le contenu de marque consiste – notamment – à s’émanciper du produit et de la communication commerciale pour éditer un matériau dont le spectateur pourra retirer quelque chose.
Or il y a, dans le patrimoine de marque, quelque chose qui rattache fortement la communication au niveau publicitaire et commerciale : ce sont les éléments d’identification de la marque elle-même (nom et logo) et a fortiori ses produits, qui lorsqu’ils sont visibles sont aussitôt considérée comme étant les signes d’un organisme « ayant des produits à vendre ».
Une marque comme Pepsi, très visible sur le site pepsiworld, peut construire un monde Pepsi, mais sa forte présence trahit le prisme très étroit à travers lequel on aborde la culture jeune. La visibilité de la marque construit le contenu comme contenu commercial, comme une forme dérivée de la publicité.
Un magazine comme Envie de plus, de Procter et Gamble, se présente en couverture comme un titre de la famille de presse féminine pratique, qui donne des idées, pour optimiser sa vie. Ce mimétisme est tenu jusqu’au sommaire, qui propose une série de rubriques suivant le modèle du magazine féminin.
Pourtant, très rapidement le lecteur est assailli par la présence des produits, qui plus est sous leur format publicitaire : bien visibles, étiquettes droites, comme dans un packshot, et garde l’impression d’un magazine de publi-reportage, marquée par la prévalence du produit et qui ne s’émancipe qu’en apparence de son ambition commerciale.
Ce type de magazine constitue une sorte de « groupe clandestin » dans la famille des contenus, essayant de replacer de la publicité comme en contrebande, en les maquillant sous le vocable des « idées », et des « envies » suffisamment flou pour faire passer n’importe quoi.
De ce point de vue, le magazine Danone semble nettement plus respectueux : il semble y avoir de vrais conseils santé, le produit paraît bien subordonné au bénéfice pour le consommateur, avec qui on tente de nouer une relation non exclusivement marchande. C’est un contenu légitime et clair, affranchie de la problématique du déguisement et de la pub clandestine. C’est une fonction santé-conseil du même niveau que le guide « développement durable » d’EDF.
Les dangers du manque de fond
L’impératif du contenu de marque est d’offrir au spectateur quelque chose qui puisse lui « rester », un matériau dont il puisse retirer quelque chose, un bénéfice esthétique, informatif ou autre, qui ne s’épuise pas dans le moment de la communication et ne se limite pas à l’existence d’un produit.
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