Nous allons proposer une série d'articles issus d'échanges avec Raphaël Lellouche pour montrer pourquoi et comment on est passé d'une logique Brand Content à une logique Brand Culture. Nous allons commencer par diffuser des travaux de recherches inédits sur le brand content avant de détailler les mécanismes de fonctionnement de la brand culture. Dans ce premier article, il sera question des relations Annonceurs / éditeurs qui sont passées de la dépendance à l'indépendance.
Les relations entre annonceurs (marques) et éditeurs sont complexes. Elles répondent à deux grands types de rapport possibles :
o Dépendance : la cohabitation au sein du même espace, selon la logique du parasitage : la marque a besoin de l’éditeur comme d’un environnement grâce auquel elle subsiste. Dans ce cas de figure, les marques vivent dans une dépendance relative vis-à-vis des éditeurs, dont elles dépendent pour apparaître. Elles occupent l’espace périphérique du contenu, voire s’efforcent d’en imiter les codes extérieurs. Elles peuvent s’intégrer autant que possible dans les contenus, mais elles ne sont pas et cette intégration ne préjuge pas de leur aspect intrusif ou pas.
Cette position de dépendance a longtemps constitué la seule pour les annonceurs vis-à-vis de leurs cibles. Pour contourner le caractère non désiré de la publicité et du discours de marque, il fallait « en passer » par la parole de l’éditeur, qui parvenait à capter l’attention, pour se greffer sur lui et attirer ainsi indirectement du public.
Face à cette situation de dépendance, il existe (au moins) deux solutions possibles. La première consiste en une stratégie de camouflage.
Dans les modes de communication de la marque, la publicité revêt une caractéristique essentielle : elle est clairement identifiable comme publicité.
o Elle apparaît dans des espaces qui lui sont assignés, clairement repérables (affiches, pages de pubs, spots tv clairement annoncés en France par des bumpers ou jingles « pubs »)
o Elle respecte des codes de valorisation, de présentation de produit, qui la signalent aux yeux du spectateur comme une offre commerciale.
Le discours publicitaire est ce que l’on appelle un discours « ouvert » (à l’opposé du discours couvert ou masqué) : le message est identifié comme tel par le récepteur, la publicité est lue comme une publicité, sans risque de confusion avec le programme ou avec le rédactionnel.
Des formes hybrides de communication de marques n’ont pas tardé à apparaître, sur le mode du discours « couvert », et en particulier le publi-rédactionnel, qui était une façon de s’introduire dans les médias existants, en mimant les codes du rédactionnels.
En adoptant les codes de communication de la rédaction, du support, du média, les marques communiquent de façon couverte, sans qu’elles soient immédiatement repérable comme de la communication de marque.
Le publi-reportage suppose un travail mimétique de parasitage, de camouflage, avec une marge d’incertitude sur la nature du document, et une marge d’incertitude sur l’identification de l’émetteur. La distinction claire entre la « puissance invitante » et la « puissance invitée » n’est plus aussi évidente.
D’un certain point de vue, le publi-reportage peut apparaître comme l’une des stratégies mises en place pour contourner le caractère non-désiré de la publicité.
Dans le même temps, la rhétorique du publi-reportage va bien au-delà de la simple tromperie. L’enjeu dépasse le simple déguisement d’un type d’émetteur pour un autre et montre la possibilité d’une posture nouvelle pour les marques. Le publi-rédactionnel illustre à la fois :
o Le mimétisme des codes de l’édition, et la possibilité pour les marques d’offrir autre chose que du format publicitaire
o La possibilité d’étendre les modalités d’expression de la marque, au-delà de la focalisation produit.
Il en appelle logiquement à la plus grande indépendance de smarques vis-à-vis des éditeurs
o Deuxième stratégie : la conquête de l’indépendance
Les marques proposent elles-mêmes du contenu et luttent « à armes égales » pour capter l’attention des spectateurs / lecteurs. Elles peuvent entrer en compétition frontale ou bien en collaboration, mais elles ne dépendent plus des éditeurs pour s’adresser au public, et proposent des contenus qui paraîtront aussi voire plus intéressants que les contenus réalisés par des éditeurs.
L’arrivée d’Internet comme média nouveau de communication des marques accélère encore les changements de la communication des marques.
La nouveauté c’est qu’aujourd’hui l’autorité auctoriale (de l’auteur) peut s’affranchir de l’autorité éditoriale pour énoncer et proposer des contenus à un public. La marque n’a plus besoin qu’un éditeur l’invite pour prendre la parole.
Les canaux étroitement contrôlés de l’autorité éditoriale se sont brutalement élargis, et tout émetteur peut arriver sur le média avec de nouvelles possibilités d’expressions et à ce titre énoncer, communiquer, à produire des documents.
La conquête de la fonction éditoriale
Les fondements de la communication de marques.
La prise de parole des marques a toujours rempli deux fonctions essentielles :
1. D’abord, une fonction d’identification. À un premier niveau, la marque a vocation à être identifiée, reconnue, c’est-à-dire à se « démarquer » et ne pas se confondre avec ses voisines et concurrentes. Cette fonction d’identification est le « premier stade » de l’interaction, rendue possible par le logo, la signature, les éléments qui lui sont propres et qui l’instituent comme une entité unique.
2. Ensuite, une fonction de promotion des produits, des services, en particulier grâce au format publicitaire, à l’intérieur duquel les éléments d’identification (logo, signature) sont inclus comme le premier niveau de la relation à la marque.
Jusqu’ici, ces deux grandes fonctions et ces quelques vecteurs (logo, signature, pub) ont été les moyens privilégiés, sinon uniques, pour une marque de se manifester, à côté des autres contenus rédactionnels du monde de l’édition. Le moyen le plus approprié de se faire connaître, pour une marque, dans l’environnement rédactionnel, était d’exister dans les parages des contenus éditoriaux que les gens appréciaient, et avec lesquels ils acceptaient de passer du temps. De ce fait, les marques ont toujours recherché la compagnie de ces programmes et de ces contenus.
Ces deux modalités ne sont plus les seules. De nouvelles formes de communications sont apparues, plus complexes, plus riches, non strictement commerciales.
Identification (logo, signature) |
Ne pas être confondue avec ses concurrents, apparaître comme entité disticnte |
Communication publicitaire (spots, affiches)
|
Faire connaître sa marque et ses produits |
Communication éditoriale (contenu de marque) |
Engager une relation qui va au-delà des produits et de la relation commerciale stricte |
La conquête l’autorité éditoriale
L’autre nouveauté, c’est que les marques elles-mêmes deviennent des éditeurs de contenus, et récupèrent à leur compte le rôle d’éditeurs.
Les conventions antérieures de l’édition, où les marques étaient destinées à avoir un mode d’expression spécifiquement commercial, via leur identité visuelle, la réclame, la publicité, n’ont plus cours.
Les marques entrent de plain-pied dans l’expression éditoriale, et peuvent produire des journaux, des livres, mais aussi des films ou des cd, quitte à intégrer à l’intérieur de ces nouvelles productions de la publicité pour leurs produits ou d’autres marques.
La communication de marque s’affranchit des limites de la communication commerciale et se rapproche de la communication de presse. La communication de marque cesse d’être une parole marginale et parasitaire que l’éditeur autorise en son sein. Ce sont les marques elles-mêmes qui deviennent éditeurs de documents dont la nature est non pas analogue ou mimétique (comme dans le publi-reportage), mais bien des documents de type presse et média à part entière.
La confusion entre communication et diversification
La nouvelle communication des marques brouille les frontières entre le vieux processus de diversification des produits d’une marque (création de gammes, de produits complémentaires ou non), et la création d’un univers encyclopédique de communication autour du produit.
Des marques d’un type nouveau apparaissent, qui ne sont plus liées à un produit, mais qui rayonnent sur des types de produits très différents, et qui ont une affinité.
L’enjeu consiste à la fois à déterminer leur légitimité, et l’affinité ou l’unité qui réunit entre eux les éléments de cet ensemble encyclopédique.
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