Nous continuons sur la série de réflexions écrites en 2007 avec la question de l'expérience abordée avec Raphaël Lellouche. Le développement du web a rendu caduc le modèle du consommateur simplement « passif » et « spectatoriel » en vigueur dans le genre publicitaire classique.
Les messages adressés de façon unidirectionnelle, unilatérale, sans possibilité de réponse (TV, presse), sont de plus en plus concurrencés, par des modèles interactifs, qui incluent des possibilités de réponses, de jeu et de contrôle par le spectateur / consommateur.
o Le spectateur peut prendre l’initiative de la relation à la marque
o Le spectateur peut répondre directement à des sollicitations de la marque
D’autre part, les marques ont les moyens par leurs contenus web, vidéo, musicaux ou événementiels de faire vivre des émotions, au-delà des émotions esthétiques et des simples « clins d’œil » déjà développés par la publicité, et notamment à travers des expériences fortes, riches, de grande ampleur.
1) Pour une nouvelle économie des expériences "culturelles"
Les mutations actuelles du marché sont fonction de plusieurs variables :
o Érosion des marchés de masse
o Empowerment et prise de contrôle des consommateurs
o Transfert d’une économie des produits (product-based) à une économie des expériences (experience-based) : l’enjeu consiste à procurer des expériences, ce sont les expériences qui font vendre et aimer les produits et les marques. Quand la consommation d’un produit va de soi avec la pratique d’un certain sport, l’écoute d’une certaine musique, l’esprit d’un film, la communication devient expérience. Qu’il s’agisse de divertissement ou d’information, la clé réside dans l’association viscérale du produit et de cette expérience, de sorte que l’attachement à ces expériences, talents, univers se transfère à la marque.
Les expériences les plus fortes sont les expériences culturelles – et notamment le divertissement populaire – car ce sont des expériences partagées. Depuis que Clark Gable a retiré sa chemise dans It Happened one night et « provoqué » la chute des ventes de tricots de corps masculins, la culture populaire a démontré sa capacité à faire vendre des produits et des services, à transformer des marques en image, à définir ce qui est dans le coup, ce qui est pertinent, à créer du lien.
Par conséquent, il ne s’agit plus de rechercher des bonnes associations, les bonnes synergies avec des contenus, mais de participer pleinement à la production des contenus, de rendre la marque indissociable de la consommation des contenus.
L’enjeu consiste pour les marques à délivrer des expériences de premier ordre, à hisser le produit au rang de produit culturel, comme élément d’une expérience culturelle partagée. Transformer les produits en objets culturels, en éthique de vie, et les insérer en tant qu’objets culturels dans des productions de divertissement.
Le Coca-Cola, ce n’est pas seulement un liquide pétillant avec du sucre, c’est d’abord une idée. Par conséquent, on ne vend pas du Coca Cola, en rappelant l’origine des ingrédients, mais en racontant une histoire. Les marques doivent s’inspirer des mécanismes éprouvés par l’industrie du divertissement : un film, une musique, ce n’est pas juste une succession de sons et de mots ou d’images, c’est un esprit, une idée, un style.
Animer une communauté, organiser des événements, rassembler des UGC… la marque cesse de simplement professer des messages et des discours, mais engage des actions, invite à participer à des projets, propose des expériences (qui relèvent d’un autre champ de communication).
2) Accompagner les expériences et les moments de vie (déjà existantes)
Les marques peuvent s’inscrire et accompagner des expériences qui sont des moments de vie des consommateurs. Les cas de Pampers, Blédina ou Nivéa Baby en sont des illustrations parfaites : les contenus proposés ont vocation à s’inscrire dans l’expérience de la maternité. Les DVD, livres, contenus divers accompagnent, structurent et enrichissent une expérience de la consommatrice.
Avec le classeur de suivi de la croissance de l’enfant nestl il ets près de la mère, c’est à la maternité, c’est très proche de la maman, on entre vraiment dans l’univers de la maternité, on se propose comme un des constituants de cet univers
La possibilité de voir le monde avec les yeux de Bébé correspond aussi à l’expérience de la maternité : vivre avec quelqu’un qu’on ne connaît pas encore, qui est déjà une personne mais qui n’a pas de corps apparent, et avec qui on interagit sans connaître les modes d’interaction. La projection des parents fait partie de cette expérience, entrer dans le monde du bébé, faire connaissance avec lui et voir les choses de son point de vue.
La première étape a été l’échographie, qui a permis d’entrer dans l’univers de l’enfant, de prendre conscience de sa réalité par intuition visuelle concrète (et la possibilité de connaître son sexe). Mais l’échographie reste très imparfaite : c’est un moyen médical d’observation, trouble, qui ne permet pas de voir le bébé réellement en 3D ni de « faire pleinement connaissance avec lui ».
Les nouveaux logiciels et DVD proposés par les marques permettent de mieux faire connaissance avec Bébé, comme élément central de l’expérience de la grossesse, et de se mettre à la place de l’enfant né ou à naître. L’idée clé, c’est que le président c’est bébé, il faut adopter le point de vue de l’enfant, l’enfant en tant qu’enfant est intéressant, c’est pas un pré)adulte, il a une valeur en tant qu’enfant, chaque étape du développement est un monde qui a sa propre valeur, chaque étape est une perfection,
3) Élargir le champ d’expérience (fictions, jeux, événements, etc)
Premier niveau : l’apport décisif des histoires et de la fiction
Proposer des histoires, des fictions, permet d’intégrer le produit dans un contexte large, de nouer des associations qui renforcent la trace mémorielle et l’attachement à la marque.
Cela permet aussi, et surtout, d’élargir le champ de ses expériences, de vivre des aventures, de s’identifier à des héros, de rencontrer des personnages qu’il serait impossible de rencontrer ou d’éprouver dans la vie normale.
Un premier niveau de la fiction consiste à regarder « par le trou de la serrure » un récit auquel on ne participe pas : le spectateur n’est pas convié dans la diégèse. Dans l’exemple des films Bmw, le spectateur ne participe pas au récit : il peut s’identifier à des personnages différents, mais il n’est pas mis en situation de conduire. Les effets de gros plan, de rythme, peuvent encourager son engagement physique, l’impression « d’être dedans », mais il reste extérieur.
Le film peut « compenser » la passivité du spectateur par le degré de sophistication, de suspense du récit, qui fait vivre pleinement une expérience par identification avec un personnage.
Deuxième niveau d’expérience consiste à mettre le spectateur à la place d’un personnage fictif.
Sur le site Anheuser Busch, sur l’univers de la bière, l'internaute est mis en situation d’écouter des personnages de l’histoire parler de la bière : Nostradamus, Confucius, etc.
Ce qui est intéressant, c’est le jeu de face-à-face construit avec l’internaute : la scène est construite comme un théâtre, l’internaute est confronté à un personnage fictif qui lui parle « à lui ». Comme toute fiction, ce dialogue commence par « la suspension volontaire de la non-croyance » (Coleridge), qui permet d’entrer en interaction avec des gens qui n’existent pas. L’internaute se transpose dans un univers, endosse des rôles, des personnages.
Le mini site de conduite sur Bmw explore un ressort très important de l’émotion et du plaisir, la possibilité de se mettre à la place de quelqu’un d’autre, et de rencontrer des personnalités différentes.
Le propre de ce type de films et de contenu consiste à nous « placer dans la peau de quelqu’un » (ici un conducteur de voiture) et de nous faire vivre des interactions, des rencontres impossibles à nouer sous cette forme dans la « vraie vie ».
Le contenu consiste ici en un élargissement du champ de l’expérience, par un processus de subjectivation. Le contenu crée un espace subjectif dans lequel on peut se glisser.
Troisième niveau : monde virtuel et jeu vidéo
Le jeu vidéo permet un degré d’implication supérieur avec parfois la « plongée » dans un univers virtuel pour le joueur qui le fait réellement endosser une seconde peau (avatar, déplacement d’un héros dans un monde en 3D).
L’intégration de la marque dans ces jeux vidéos, au-delà de la simple présence d’une bannière et l’augmentation du nombre des points de contacts avec la marque, est le moyen d’associer la marque avec des moments de vive émotion, avec des expériences fortes .
La marque profite de l’adrénaline et du plaisir dégagé par une course de ski ou un match de foot. C’est la promesse d’associer la marque à une expérience forte, et de transférer l’attachement à un jeu en prédisposition positive envers la marque.
Quatrième niveau : les événements « live »
L’organisation d’événement fait depuis longtemps partie de l'arsenal de la communication des marques. En tant que tel, il ne s’agit donc pas d’un phénomène nuveau. Il prend toutefois une nouvelle ampleur :
o comme façon de procurer des expériences et des émotions,
o lorsque les événements en question se pérennisent et dépassent leur adhérence à la marque ou à tel ou tel produit, et deviennent des événements en soi digne d’intérêt indépendamment de la marque qui les soutient.
Les événements ont une fonction essentielle qui consiste à rassembler les individus, qui ne sont plus dispersés devant leur TV ou leurs écrans, et partagent autre choses que des références culturelles communes : ils vivent ensemble la même chose.
L’expérience de Studioline, avec la mise en place d’un concert unique en Europe permet de fédérer sur un même lieu des individus qui partagent des valeurs communes, et ont en commun d’avoir acheté des produits Studioline.
De la même manière, le Axe Boat, revêt une forte dimension communautaire, avec la succession de soirées dansantes et d’expériences musicales. Le concept s’appuie également sur la dimension gestuelle, et la nécessité de se faire remarquer pour ses talents de « sprayer ».
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