Dans le chapitre 10 du livre « Brand Culture », Richard Elliott et Andrea Davies s’intéressent au concept de performativité en utilisant les expressions "brand identity performance" ou "The Performing Self". De plus en plus, les consommateurs choisissent leurs marques fétiches car ils s’identifient aux valeurs et paradigmes sous-jacents à ces marques. Les consommateurs utilisent alors ces marques pour construire leur propre identité et entrer dans une communauté des adeptes de la marque. Ces réflexions convergent totalement avec nos travaux présentés depuis quelques semaines.
Dans la culture de consommation actuelle, on ne consomme plus pour assouvir un simple besoin fonctionnel (posséder un objet dont on a besoin/envie) ; les marques sont devenues des ressources symboliques qui participent à la définition de l’identité du consommateur. Une nouvelle conception de l’identité a émergé : celle que l’on performe, en choisissant d’apparaître en symbiose avec telle valeur, tel projet… telle marque.
Si cette théorie paraît évidente pour les vêtements, premier attribut du paraître (cf les codes vestimentaires en vigueur dans les sous-cultures : rap, skateur, hippie…), elle a suscité de nombreuses critiques concernant les autres marques : peut-on réellement dire qu’acheter telle marque de nourriture ou de papeterie participe à la construction de son identité ? La performativité serait-elle une vision excessive du pouvoir des marques ?
Pas du tout, à en juger par les communautés de consommateurs qui fleurissent, notamment depuis l’émergence d’Internet. Les adeptes de la marque se retrouvent pour en faire l’éloge, partager leurs expériences et s’identifier aux valeurs que prône la marque. Ces communautés vont bien au-delà de la simple possession d’un même objet : elles reposent notamment sur :
- Une conscience partagée de faire partie d’un même groupe, qui conduit à avoir l’impression de connaître les autres membres de la communauté même sans aucune rencontre en chair et en os. Les membres se construisent par opposition aux autres communautés (exemple : Mac vs PC). Ceux qui n’entrent pas dans cette rivalité ne sont pas des membres à part entière : ils ont acheté le produit « par hasard », sans y attacher toute la symbolique des « vrais membres ».
- Des rituels et des traditions
- Une responsabilité morale : les membres soutiennent et défendent leur marque fétiche comme si elle était une personne réelle (cf les forums utilisateurs, qui deviennent de plus en plus souvent prétexte à des affrontements partisans entre communautés de marque).
Première notion-clé : l’authenticité
Ainsi, les « vrais » performeurs d’une marque se reconnaissent à une caractéristique : l’authenticité. Ils sont persuadés de ne pas acheter le produit simplement parce qu’il est à la mode, mais parce qu’il correspond à des aspirations personnelles et profondes et leur permet d’affirmer une part de leur identité.
Cette distinction est particulièrement mise en exergue dans les groupes de jeunes qu’ont étudié les auteurs de l’article. Ils reconnaissent les « vrais » gothiques, emo, skateurs, trendys… et ceux qui ne s’habillent de cette façon que pour tenter de s’intégrer à un groupe. Bien sûr, au fond, tous ces jeunes expriment par leurs vêtements autant un besoin d’appartenance qu’une croyance véritable dans une sous-culture : dans cette situation, il s’agit d’une surperformativité. Mais la distinction entre les leaders, qui sont sûrs de leur style et attachent une véritable valeur aux marques qu’ils choisissent, et les followers, est grande : un des participants de l’étude dit, méprisant, en parlant d’une des filles gothiques de son collège : « Le week-end, je l’ai déjà croisée, elle s’en fout de tout le truc gothique, elle porte même des couleurs ! Et quand elle va voir ses grands-parents elle enlève même son maquillage ! »
Deuxième notion-clé : la cohérence
Il ne s’agit donc pas de choisir une marque pour les valeurs qu’elle représente histoire de se montrer sous un certain jour, et de s’arrêter là : tous les choix du consommateur doivent être cohérents avec son style de vie, sa personnalité, ses goûts. Impossible de performer deux marques antinomiques de manière authentique : le consommateur ne peut pas, par exemple, se réclamer des valeurs bio de Naturalia et rouler en 4x4 sans se contredire. Il lui serait impossible d’utiliser ces deux consommations pour se définir en tant qu’individu, puisqu’elles le poussent à évoluer dans deux directions différentes : il ne peut pas devenir authentiquement écolo et adepte des voitures puissantes et polluantes.
Le consommateur ne performe donc que les marques auxquelles il croit véritablement, et celles-ci influencent sa consommation de produits qu’il juge secondaire (ainsi, les performeurs de Naturalia intègrerons certainement des critères écologiques dans la plupart de leurs achats, de la voiture aux fournitures de bureau). Le consommateur doit donc choisir un répertoire de marques qu’il souhaite performer, toutes cohérentes les unes avec les autres.
Bien entendu, il ne s’agit pas d’un impératif social. Mais celui qui ne se plie pas à cette règle ne performe pas véritablement les marques, puisqu’il lui est fondamentalement impossible d’être à la fois performateur de l’un et de l’autre sans devenir schizophrène ! Le consommateur a donc le choix entre :
- se créer un répertoire cohérent de performativité, avec des marques aux valeurs compatibles
- consommer des marques antinomiques mais en ne performant que celles qu’il considère comme faisant partie de son identité (par exemple : s’habiller en costume la semaine, pour respecter les conventions de son lieu de travail, mais performer Levi’s ou DocMartens le week-end).
Le client qui performe une marque ne se contente pas de la consommer, il la vit et se l’approprie ; c’est pour cela qu’il y est beaucoup plus fidèle qu’aux marques qu’il ne consomme que pour des raisons de praticité, sans vraiment s’y identifier. A la brand culture, donc, de choisir les valeurs qu’elle veut défendre et inciter les consommateurs à adopter… pour gagner une clientèle engagé
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