Lors de la dernière JNE (Journée Nationale des Etudes) organisée par l'UDA et l'Adetem, Yves Krief, Pdg de la Sorgem a judicieusement fait allusion à Next d'Alessandro Baricco, dont je vous invite à lire un extrait publié dans Le Monde.
Pour expliquer à quel point les marques étaient des mondes qui invitaient le public à une identification et à une participation, il a démarré en mettant en avant cet extrait du livre : Les faits, c'est que lorsque vous achetez une paire de Nike vous payez cent euros pour le nom et cinquante pour les chaussures. Est-ce que vous êtes idiot ? Non. Vous êtes en train d'acheter un monde. Qu'est-ce que ça peut vous faire ce qu'elles valent, en cuir, en caoutchouc et en travail, ces chaussures ? Vous achetez un monde. Des gens libres qui courent, presque toujours beaux, généralement plutôt élastiques comme Michael Jordan, et de toute façon très modernes. Vous, dans ce monde-là. Pour cent cinquante euros.
La suite du livre illustre parfaitement le rapprochement entre les marques et les univers culturels : Si vous trouvez que c'est un geste imbécile ou puéril, alors pensez à ceci. Vous allez au concert. Beethoven. Musique de Beethoven. Vous avez payé votre billet. Qu'avez-vous acheté ? Un peu de musique ? Non, un monde. Une marque. Beethoven est une marque, construite au fil du temps autour de la figure d'un génie sourd et rebelle, alimentée par deux générations de musiciens romantiques qui ont créé le mythe. De lui descend, en ligne directe, une marque encore plus puissante : la musique classique. Un monde. Ce que vous avez acheté, ce n'est pas un peu de musique : dans le prix, il y a aussi l'accès à une certaine vision du monde, la foi dans une dimension spirituelle de l'humain, la magie d'un retour provisoire au passé, la beauté et le silence de la salle de concert, les gens qui sont autour de vous, l'inscription dans un club plutôt réservé et généralement sélectif. Vous avez loué un monde. Pour l'habiter. Ils l'ont construit pour vous avec infiniment d'habileté, et vous, vous l'achetez. L'ont-ils construit parce qu'ils étaient bons et intelligents ? Ils l'étaient peut-être, mais ils l'ont certainement construit pour la même raison qui a poussé Nike à construire le sien : l'argent. Que je sache, Beethoven écrivait pour de l'argent, et de lui jusqu'à la maison de disques d'aujourd'hui, et jusqu'au pianiste qui est en train de jouer pour vous, ce que vous avez acheté a été construit par des gens qui voulaient des tas de choses, mais, entre autres, une : de l'argent.
Je sais que ça choque de dire ça, mais ce qui nous choque tant, quand il s'agit de chaussures ou de hamburgers, est une expérience que nous faisons, sans aucune résistance, quand il s'agit de choses plus nobles. Beethoven est une marque. Les impressionnistes français en sont une. Kafka en est une. Shakespeare en est une. Umberto Eco également. Et aussi La Repubblica, ou " Mickey", ou la Juventus. Ce sont des mondes. Qui signifient bien plus que ce qu'ils sont. Ils ont leurs règles, et nous les acceptons. Pour dire : nous nous persuadons que les frites de McDonald's sont bonnes avec la même absurde complaisance qui nous persuade que Beethoven n'a jamais écrit de morceau laid ou inutile, que tout Shakespeare est génial, que Mickey n'a pas de parents, et que La Repubblica écrit toujours la vérité. Ça fait partie du jeu. Et c'est un jeu dont nous avons besoin. Nous avons tendance à préférer tout ce qui se présente à nous avec la force organique d'un monde, et pas seulement la pure présence d'un objet, même s'il est beau. Nous sommes reconnaissants envers celui qui est capable de mettre en place des mondes. Ce sont des assurances contre le chaos, ce sont des organisations salvatrices du réel. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de noter combien le monde mis en place par Kafka est plus riche, plus complexe et plus intelligent que celui étudié par McDonald's. Nous le savons. Mais cela ne doit pas nous empêcher de comprendre que le jeu est le même, que le type d'expérience est le même, que le monde de Kafka n'est pas plus réel que le monde de McDonald's, que la visite d'une exposition des impressionnistes français fait travailler notre cerveau exactement comme un petit tour à Niketown, que tout compte fait cette expérience-là nous la connaissons, nous nous en servons largement, nous l'utilisons pour transmettre des choses tout à fait dignes, et que pour finir elle ne nous fait pas peur, nous ne croyons pas que ce soit le diable, si le diable existe, il est ailleurs.
La suite de sa démonstration portait sur la gestion du capital symbolique par les marques et la notion de coagulation d'imaginaires chaotiques. Pour appréhender l'univers des marques, chez QualiQuanti nous avons développé une méthodologie que nous appellons l'Empreinte Culturelle de Marque® et qui consiste à investiguer le patrimoine de marque et son patrimoine culturel de référence.
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