Si on considère la culture comme un ensemble de discours, images, représentations qui guident les individus dans leur vie, les marques sont sans conteste des agents culturels et ont vocation à devenir des leaders culturels. Voyons à travers une réflexion issue d'un échange avec Raphaël Lellouche ce qui fait que les marques aujourd'hui ont plus que jamais intérêt à développer leur facette culturelle.
Dans les années 70-80, on n’abordait pas la marque comme agent culturel. On savait qu’il y avait une dimension culturelle de la marque mais c’est tout. Aujourd’hui, les marques en sont de plus en plus conscientes et il y a une modernité dans cette prise de conscience.
Il y a encore quelques années, cohabitaient des secteurs assez étanches :
- la culture légitime (traditionnelle, véhiculée par des équipes culturelles, qui était attachée à des formes reçues, légitimées, valorisées de la culture intellectuelle, littéraire, du spectacle, etc,)
- la culture populaire (soit populaire traditionnelle dévalorisée, soit émergeante : le rap, des pratiques qui commençaient à acquérir une certaine visibilité culturelle).
Il commençait à y avoir des échanges entre les 2, des ponts, des canaux de circulation entre la culture légitime et la culture populaire.
- la culture commerciale qui était purement publicitaire, certes récupérée par le Pop Art et certains secteurs de la culture mais à titre d’objet de représentations critiques.
Ces 3 domaines étaient relativement étanches malgré des zones de circulation.
- De plus en plus les marques prennent conscience que l’ensemble des représentations, symboles manipulés par la publicité, la communication est partie intégrante de la culture.
- La culture populaire et la culture commerciale deviennent des formes sinon respectables du moins intéressantes à explorer pour la culture légitime, ou à sublimer (d’où l’intervention d’artistes : agents supposés appartenir à la culture légitime et qui de plus en plus interviennent à divers titres sous la responsabilité, au nom de ou pour le compte des marques commerciales). Les marques commerciales entrent de plain pied dans le monde de la création culturelle, de façon beaucoup plus légitime et en rapport étroit avec la culture populaire. (Par la musique, le rap, etc, on voit bien pour certains types de marques comment le rapport avec la culture populaire se fait. Mais également pour d’autres types de marques le rapport avec la culture légitime : le fait de mettre en relation architecture, fashion et art : on est dans la culture légitime.)
- Il est intéressant de typologiser les marques, de voir quelles marques interviennent plutôt dans la prise en charge de la culture légitime, quelles autres dans celle de la culture populaire. Mais les marques ont compris (c’est tout le thème du Brand Content) que leur vocation déborde la simple transmission/communication de contenus purement commerciaux, c’est-à-dire liés au produit. Elles ont compris que les produits existent dans un contexte de vie global qui est baigné de représentations et symboles et donc qui est partie prenante de la culture (au sens général, ethnographique) et que les axes de valorisation de certaines marques (luxe) ont à voir avec les représentations valorisées de l’art/culture légitime.
Prenons quelques exemples qui illustrent comment des marques amplifient leur dimension d'agent culturel :
- La société de mobilier Blu Dot a créé une expérience visant à comprendre les interactions entre le design, le beau et le bien-être.
- Avec Let's Color, Dulux Valentine s'interroge sur le rôle de la couleur dans le monde.
- Dans la continuité de la Happiness Bottle, Coca-Cola a créé un Observatoire du Bonheur.
- Les marques de luxe organisent des expositions (cf Bulgari, Vuitton, etc).
- BMW réfléchit sur la mobilité et la ville du futur avec le Gugenheim Museum.
La marque n’est plus seulement un producteur de produit pour un marché. Elle devient un agent culturel parce qu’elle repense cet objet dans un cadre de représentations bien plus large qui est vivant, évolutif, qui n’est pas entièrement compris dans l’étroitesse de l’objet produit.
Quand la marque dépasse l’étroitesse du produit auquel elle est habituée sur le marché, qui est déjà prédéfini pour un usage particulier et qu’elle passe à un concept bien plus large, elle englobe dans l’espace de sa responsabilité des choses qui dépassent sa production du produit.
En ce sens, si dans sa manière de prendre en charge les représentations de façon critique, les postulats même qui sont à la base de l’élaboration de son objet traditionnel, elle repense l’objet dans le cadre culturel où cet objet existe alors elle agit sur les représentations ou du moins elle est partie prenante de la vie de ces représentations, qui est la culture. Elle devient un agent culturel.
Le produit dans la publicité traditionnelle |
Le produit dans la marque agent culturel |
Objet prédéfini
Usage particulier, étroit |
Repensé dans un cadre de représentations bien plus larges L’objet existe dans un contexte évolutif, vivant, critique |
Si la marque est forte dans sa présence, dans son activité culturelle, elle peut devenir un leader culturel : c’est l’idée de ne pas être simplement présente dans le milieu culturel en fournissant des contenus plaisants mais être active dans la vie des représentations. Si elle l’est de façon pertinente, par rapport aux problèmes qui existent, contradictions, tendances fortes, elle devient au delà d’un agent, un leader.
La marque agent culturel |
La marque leader culturel |
Est présente dans le milieu culturel
Fournit des contenus plaisants |
Est pertinente dans sa présence dans le milieu culturel Est active et créative dans la vie des représentations, en se positionnant par rapport aux difficultés, problèmes, contradictions, tendances qui existent |
Commentaires