L'examen comparé du brand content et du mécénat révèle de très fortes proximités. Voici quelques réflexions issues d'une séance d'analyse sémiologique menée récemment avec Raphaël Lellouche.
Après que la culture ait été soutenue par les Eglises, puis les dynasties princières et enfin les Etats, c'est aux entreprises de prendre le relais. Mais les entreprises ne peuvent s'engager fortement dans de telles voies si elles n'en bénéficient pas et si ce n'est pas stratégique pour elles. Si on considère que les marques doivent transcender leur identité commerciale et devenir des leaders culturels, on comprend qu'elles peuvent y mettre les moyens. Encore faut-il que ces investissements rejaillissent sur les marques. Le brand content permet au mécénat de gagner en visibilité. Ce point mérite d'être abordé à l'heure où les investissements dans le mécénat culturel est passé de 975 à 380 millions d'euros de 2008 à 2010 selon l'étude CSA commandé par l'Admical et évoqué dans Le Monde du 25 mars.
Commençons en évoquant quelques points communs entre brand content et mécénat :
- Mécénat et brand content sont des actions de don, qui dépassent de la fonction commerciale : ils représentent tous deux une démarche citoyenne généreuse
- Ils interviennent tous deux dans le domaine de l’art, des sciences, de la recherche, de l’humanitaire et se doivent d'avoir une approche prospective et innovante
- Ils s'inscrivent dans le long terme et doivent être décidés au plus haut niveau.
De plus en plus d'actions de mécénat donnent lieu à la production de contenus qui font partie intégrante de la démarche du mécénat.
Le brand content puise volontiers ses sources dans le mécénat de l'entreprise : cf les nombreuses fondations repérées sur le site de veille, le documentaire "Women in science" produit à partir de l'opération de mécénat de l'Oréal en partenariat avec l'Unesco, la croisière jaune de Citroën ou l'opération Dupont à Greensburg.
Ces deux démarches diffèrent néanmoins sur deux points importants : la fiscalité et l'association à la marque. Il y a un devoir de discrétion qui est fortement présent dans le mécénat à la française et qui est inscrit jusque dans la loi. Mécénat : soutien matériel apporté sans contrepartie directe de la part du
bénéficiaire, à une oeuvre, ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un
caractère d’intérêt général : voir www.admical.org www.culture.gouv.fr.
Mécénat |
Brand content |
Fiscalité particulière : le don (dans la limite d’ un |
Considéré comme une dépense de communication: dépenses déductibles du résultat au titre de charges d’exploitation |
Tradition de discrétion dans l’association à la marque : Simple mention du donateur à |
Le contenu est signé par la marque qui en est l’éditeur |
Le mécénat à la française doit converger autant que possible avec le brand content en évitant deux écueils : l'instrumentalisation et la neutralité.
INSTRUMENTALISATION |
NEUTRALITE |
Exploiter l’art en l’instrumentalisant (réduction commerciale de l’art) |
Adopter le modèle de l’intervention neutre avec invisibilité de la marque |
Risque pour les marques d’êtres déconsidérées |
Risque d'apparaître comme une puissance abstratite et anonyme |
Instrumentalisation cynique |
Neutralité discrète et inexistante |
Aux mécènes d'apprendre à ne plus se cacher en se rapprochant du modèle anglo-saxon. Le mécénat neutre et anonyme est plutôt celui de l'Etat alors que les entreprises sont des acteurs privés et engagés, qui sont naturellement dans une logique d'enrichissement mutuel avec les univers qu'elles choisissent de soutenir. Dans les pays anglosaxons, les mécènes ne se cachent pas et c’est la société elle-même qui de façon privée vit de plain pied avec l’art. Ce n’est pas du tout une puissance abstraite et anonyme qui se cache derrière (comme l’Etat). Fumarolli dans son livre l’Etat culturel oppose le modèle français et anglo-saxon : il montre comment dans le monde anglo-saxon, avec un mécénat privé, l’art est beaucoup plus vivant et soutenu.
Par ailleurs, il y a une fonction d’évergétisme. Dans l’Ethique à Nicomaque d’Aristote, l’homme noble est celui qui est capable de magnificience : c’est l’homme magnifique, c’est l’acte d’un prince magnifique par exemple dans son financement de l’art (Florent le magnifique). C’est la fonction magnificiente du prince ou de la puissance publique qui doivent le faire. Les marques sont des puissances publiques de la société qui ont un devoir en quelque sorte, noblesse oblige. Ca peut se faire par l’art, pour les marques de luxe, par l’environnement, ou l’éthique, la santé, pour les autres (Danone).
C’est un rôle éthique et social qui est en jeu, au-delà de la stratégie culturelle. Les marques ont des obligations. Les marques de luxe, parce qu’elles sont associées à des objets où la dimension esthétique est inhérente à la nature de l’objet, ont des obligations sociales de type évergétisme comme mécènes dans le domaine de l’art. Ca fait partie de leur existence sociale plénière, sinon elles ne remplissent pas leur rôle de marque comme puissance publique.
On comprend tout ce qu'il y a à gagner d'une fertilisation croisée entre mécénat et brand content :
- le mécénat se dote d'outils de visibilité via la création de contenus et la production de ces contenus devienne une des finalités du mécénat.
- le brand content peut puiser dans le mécénat des sources de contenu, une légitimité et une dimension prospective (mécénat comme laboratoire du brand content).
Reste à voir la compatibilité de ces deux démarches en termes de financement, de fiscalité, de logique de production de sens et de management.
Vers un mécénat culturel visible et stratégique
Le témoignage de Marie-Sophie Calot de Lardemelle de la Fondation Orange dans Le Monde est clair : "Il faut que la culture réfléchisse. Le mécénat est en train de muter. On fait moins de projets mais à plus long terme. Du coup, on demande aux artistes une implication dans l'entreprise qui dépasse la contrepartie du logo et des places de concerts. Nous ne sommes plus de simples bailleurs de fonds." Autre témoignage du président de l'Admical, Olivier Tcherniak, : "Le mécénat culturel est en train de mourir, ou du moins, de se transformer radicalement." Selon Le Monde, le mécénat, en effet, à l'image de notre société avide de profits à court terme, a progressivement dérivé vers la communication. Laquelle s'est ralliée naturellement aux grandes institutions culturelles. "Plutôt que de financer quinze petites structures, on préfère investir dans un grand projet plus visible", constate Olivier Tcherniak.
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