La question de l'efficacité est déterminante pour assurer l'avenir des contenus de marques. Pour commencer à approcher ce sujet sur lequel nous reviendrons régulièrement, j'aimerais partir de témoignages d'annonceurs, d'une lecture (Podmedia) et d'un exposé (fait lors des JNE de l'Adetem).
En échangeant avec des annonceurs qui avaient pratiqué le contenu de marque (notamment Stéphane Rosen de Wilkinson ou Xavier Hesse de Cadbury), il est apparu que la courbe de réponse du brand content était très différente de la courbe de l'efficacité publicitaire.
- En publicité, lorsque vous faites une campagne, surtout si elle est axée sur une promesse produit et si elle utilise un média rapide et puissant comme la télévision, vous observez très rapidement une croissance des ventes et une courbe ascendante qui monte fortement et qui redescend assez fortement lorsque la pression médiatique cesse.
- En brand content, la montée en puissance est très progressive et la courbe redescend aussi beaucoup plus doucement. Si on prend une opération de brand content comme FFK de Wilkinson, qui a travaillé sur l'émergence et la préférence de marque, on constate que l'effet sur les ventes est beaucoup moins immédiat car les consommateurs commencent par se familiariser avec la marque. Dans la mesure où il n'y a pas d’appel explicite à l’achat appuyé sur un argumentaire produit, le consommateur ne se précipite pas pour découvrir une offre sur le point de vente. En revanche l’effet progressif se maintient beaucoup plus dans la durée car il travaille de manière profonde sur l'attachement à la marque. La relation privilégiée qu'il crée a des effets à très long terme car l'émotion positive créée est plus pérenne. On peut faire l'hypothèse que l'opération FFK continue de bénéficier à la marque Wilkinson et que la courbe d'efficacité n'est pas retombée.
En publicité, l'efficacité provient de la répétition (avec une pression optimale autour de 3 répétitions) alors que dans le cas du brand content, l'efficacité vient de la qualité de l'exposition et du partage avec son entourage autour du contenu.
La familiarisation progressive
Pour réfléchir sur l'efficacité, il est intéressant également d'analyser l'exemple du marketing par contenu en BtoB où les modalités sont plus simples à observer. Plusieurs exposés présentés sur le site Podmédia montre que le contenu agit progressivement sur la relation avec le public cible. Il permet de transformer un étranger en une connaissance, une connaissance en un ami, un ami en un client, un client ponctuel en un client fidèle. La démonstration est un peu caricaturale mais on comprend que l'effet du contenu est principalement relationnel et qu'il faut aller chercher les clés d'efficacité dans un corpus de réflexions sur l'efficacité relationnelle.
Chez QualiQuanti, où nous pratiquons quotidiennement le marketing par les contenus, je constate que le contenu, s'il est de bonne qualité, s'il est utile et pertinent, crée une prédisposition positive, un a priori favorable, facilite la prise de contact et va jusqu'à générer des appels. Les relations avec notre public cible (annonceurs, agences, médias) sont beaucoup plus riches car elles dépassent la relation strictement commerciale. Les occasions de contact sont plus nombreuses, variées et s'inscrivent dans la durée. Surtout les prospects sont plus enclins à prolonger une relation qui s’ouvre sur un contenu qui est utile pour eux, qui leur permet d’apprendre quelque chose, et leur donne envie d’aller plus loin.
L'importance du don dans les échanges
La mise à disposition de contenu par la marque fonctionne comme un don, quelque chose de gratuit qui appelle en retour un contre don et un intérêt de la part du public. Lorsque le contenu proposé est à la hauteur, il vient se mettre au crédit dans la relation avec la personne qui a consulté ce contenu. Si le contenu est médiocre ou décevant, il peut nuire à l'image de l'émetteur. Si le contenu est intéressant mais n'est pas attribué à la marque, il ne servira à rien.
C’est parce que le don est au coeur de nos échanges qu'il ne faut pas limiter la relation marque / client à ses aspects les plus strictement marchands ou monétaires. Payer un juste prix, recevoir en échange des bons d’achats ou des points de réduction n’est qu’une très petite partie de la relation. Il faut très certainement développer les outils non monétaires et non strictement marchands qui interviennent dans la relation commerciale.
Comme l'a bien très bien expliqué Emmanuelle Lallement (anthropologue, professeur au CELSA) lors de la Journée Nationale des Etudes, on a trop tendance dans la société actuelle à réduire les échanges aux échanges marchands. On fait comme si l'échange marchand était roi, et l’on ne retient dans l’échange marchand que ce qui relève de la transaction monétaire. Il faut comprendre cette myopie : la transaction monétaire est facile à mesurer, à comparer, à répertorier. En réalité, il y a bien évidemment d’autres échanges que les échanges marchands (relations sociales, échanges d’amabilités, informations, dons, etc) et en outre, même dans l’échange marchand interviennent d’autres dimensions non strictement marchandes (conseil, humour, informations diverses) qui ont aussi leur importance. Il y a une frontière perméable entre l'échange marchand et le don. Deux exemples suffisent à le montrer.
Premier exemple : les touristes japonaises en visite dans la capitale sont réputées amatrices de shopping, notamment dans les grands magasins. Pour le comprendre, il faut revenir à la réalité sociologique et à la place de la femme dans la société japonaise, qui appartient plutôt à la sphère domestique et qui s’occupe de son mari. En boutique, c’est la femme qui devient le centre de l’attention, et celles-ci apprécient d’autant plus l’empressement des vendeuses à s’occuper d’elles et de leurs désirs. La relation marchande devient le support et le prétexte pour une relation humaine qui la dépasse très largement.
Deuxième exemple : lorsque vous achetez un objet dans une boutique de luxe, énormément d'éléments qui participent de la relation commerciale ne sont pas réductibles à la dimension monétaire, de l'accueil au paquet cadeau en passant par une éventuelle collation. Tous ces éléments paraissent gratuits, et sont présentés comme s’ils étaient des dons. Ils sont utiles ou agréables au consommateur, alors même que celui-ci n’a rien acheté et peut ne pas acheter. Avec les contenus, les marques peuvent inscrire la relation commerciale dans une forme d'échange non strictement marchande.
Vers une relation plus humaine, plus affective et plus pérenne
Ces leviers de relation extra-monétaires peuvent aider à élargir la relation commerciale au-delà de l’approche anonymisée, interchangeable (un client en vaut un autre), quantitative qui préside à la relation, pour aller vers une relation plus humaine, qui intègre des éléments affectifs, de valeurs, qui prend en compte les centres d’intérêts... Les réseaux sociaux, qui jouent sur la métaphore de l'amitié (devenir amis sur Facebook), participent à l’élargissement de la relation entre les marques et les consommateurs, qui ne sont pas seulement clients, mais aussi fans, font partie du premier cercle ou sont plus éloignés, ambassadeurs, etc. Dans la notion de "fidélité à une marque" il y a aussi l'idée d'une relation dans la durée, favorisée par des liens non exclusivement rationnels.
Le contenu constitue un élément essentiel de ces nouveaux leviers de relation. L'efficacité de contenu sur la pérennité de la relation n'est qu'une partie de cette efficacité. Il faut mettre en place les bons indicateurs car la qualité de la relation se mesure avec des outils spécifiques. Les outils de mesure de l'efficacité doivent être capables d'évaluer en profondeur cette dimension affective de la relation à la marque. Ce sujet mériterait un débat.
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