Natacha Dzikowski, International Advertising & Marketing Director chez Dior Couture a fait une intervention remarquée lors de la dernière manifestation du groupement Adetem Luxe consacrée au Luxe et Internet. Le texte ci-dessous tient compte également d'un sympathique échange de mails effectué après la conférence, où Natacha Dzikowski a indiqué que "le Brand Content était LE SUJET au coeur de nos problématiques".
En introduction de la conférence, elle a souligné la saisonnalité des campagnes de communication d’une marque de mode et à quel point elles dépendent du rythme des collections. C’est la raison pour laquelle une communication reposant uniquement sur la mode peut s’avérer risquée, car cela suppose de refaire le travail de conviction à chaque fois. Cela est d’autant plus vrai pour les marchés asiatiques ou d’Europe de l’Est, qui ne connaissent pas l’histoire la marque. Or cette culture est essentielle, car c’est elle qui donne du sens à l’achat, et c’est elle qui peut en décupler la valeur. Selon Natacha Dzikowski, les consommateurs n’achètent jamais un produit mais une histoire, un mythe. Pour rendre irrésistible l'inaccessible, il faut dépasser le produit car "ce qui crée le désir de nos marques ce sont les mythes et les archétypes qu'elles symbolisent". Après avoir eu une envie compulsive des marques de luxe, ces populations sont devenues beaucoup plus matures dans leur comportement d’achat et sont friandes d’informations sur l’histoire et la culture de la marque. Ce besoin des consommateurs de voir au-delà du produit pour accéder à travers lui à une histoire complète, et même à un art de vivre, est d’ailleurs une idée centrale du livre Brand Content.
Il n’est donc pas étonnant de voir les marques de mode construire des campagnes pour parler de leur marque et de sa pérennité, en plus des campagnes éphémères axées sur la mode. Dior Couture a cherché à faire partager l’histoire de la marque et la culture maison en puisant dans ses racines. C’est de cette ambition qu’est né le projet de saga Lady Dior. Ce projet correspond à une démarche de production de contenus culturels où l’on construit une plateforme média, sorte de hub avec des contenus évolutifs. Démarche qui peut sans doute être mise en rapport avec celle de Louis Vuitton, qui, outre les campagnes mode, décline toute sa philosophie du voyage dans des films, des livres et des spots en compagnie d’égéries du monde des arts et de la culture.
Les marques de luxe sont d’autant plus attendues sur ce terrain qu’elles ont beaucoup de choses à raconter, des liens étroits avec leur environnement historique et culturel. Christian Dior a toujours eu un lien fort avec le cinéma comme costumier (notamment avec Alfred Hitchcock) ou comme habilleur des stars. Il a aussi une démarche architecturale (le cannage des sacs Lady Dior provient des chaises utilisées lors des défilés). Natacha a souhaité insister sur "la dimension multifacette de M. Dior : artiste de la Mode, héritier du savoir-faire multiséculaire de l'artisanat français et de la tradition des Beaux Arts. C'est le couturier des Princesses et des grandes actrices car il sait rendre les femmes uniques, désirables et rayonnantes. Il est animé d'une Passion Créative et aime inventer de nouvelles silhouettes (le tailleur Bar), de nouvelles allures architecturées, ... et de nouveaux objets comme les Charms, expression de son caractère superstitieux." Christian Dior était en effet très superstitieux et avait toutes sortes de gris-gris accrochés à son trousseau de clés, qu’on retrouve avec les fameux Charms, lettres du nom Dior accrochées sur les sacs. La marque Dior dispose d’un produit iconique avec le sac offert à Lady Diana en 1995, le sac Lady Dior. C’est ce sac qui sert de socle à la saga.
Ce background a permis d’élaborer une saga en plusieurs chapitres, qui se déroule sur 2 ans et permet de mettre en valeur les différentes dimensions de la marque. Ce dispositif s’appuie sur l’ambassadrice Marion Cotillard et sur différents lieux emblématiques et fortement marqués sur un plan architectural. Le court-métrage Lady Noire Affair, inspiré de l’univers hitchcockien des années 50, est le premier d’une série de 4 films dans 4 ambiances et 4 villes différentes, chacun mettant en scène un aspect du fameux sac. Ce mini-film de 6 minutes 30, réalisé par Olivier Dahan, se déroule à Paris. Suivent Lady rouge à New York puis Shangaï. Pour chaque capitale, il y a un film (pour Lady rouge, ce sera un clip musical où Marion Cotillard va chanter), des photographies (Annie Leibowitz à NY). L’opération est mondiale, l’affichage et la presse fonctionnent comme des teasers et renvoient vers le web, qui est le seul média à pouvoir dévoiler toute la richesse des contenus proposés (photos, vidéo, making of), au gré des envies de l’internaute.
Pour prolonger ce que dit Natacha Dzikowski, on peut aussi remarquer que les rôles endossés par Marion Cotillard dans la saga Dior répondent comme en écho à ceux endossés dans sa carrière d’actrice. Tandis qu’elle incarnait la femme parisienne dans Lady Noire, quelques mois après avoir triomphé aux oscars dans le rôle d’Edith Piaf (avec le même Olivier Dahan), on la verra chanter dans un clip pour Lady Rouge, au moment même où sa participation à la comédie Musicale Nine lui vaut une nomination aux Golden Globe américains. Ce jeu subtil de renvois ne fait que renforcer l’inscription de la marque dans un contexte culturel qui la dépasse et qu’elle contribue à enrichir. Selon Natacha Dzikowski, le lancement de la saga a complètement réorienté le discours des consommateurs sur la marque, tel qu’on peut le voir sur les blogs notamment. Alors qu’on y parlait essentiellement des défilés et du créateur John Galliano, il est désormais beaucoup plus question de l’histoire de la marque, de l’affaire Dior et de Lady Dior. Les nouveaux contenus proposés sont ainsi une occasion de redéployer et de redécouvrir l’ensemble des contenus (archives, photos, etc.), c’est une nouvelle porte d’entrée dans le patrimoine immatériel de la marque. Sans compter bien sûr les enjeux matériels et la très forte progression des ventes du sac Lady Dior, qui est - ne l’oublions pas - l’objectif essentiel de ces communications d’un genre nouveau.
Matthieu Guével et Daniel Bô
NB: merci à l'équipe de Dior d'avoir accepté d'illustrer notre livre sur le Brand Content avec une photo tirée du film Lady Noire.
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