Le mot « d’expérience » est à la mode : il faut proposer une expérience en magasin, sur Internet, l’heure est à la pluri-sensorialité, à la brand experience. On ne parle plus d’exposer les consommateurs à des messages, mais de proposer aux individus de « vivre des expériences » avec les marques.
Toutefois, la nature exacte de l’expérience en elle-même n’est pas clairement précisée. Comme si le simple mot « expérience » à lui tout seul avait le pouvoir magique de résumer le genre de communication que l’on cherche à établir.
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Il est donc important de préciser ce qu’on entend par expérience. Or le mot Français recouvre des réalités bien différentes. Par exemple, les Allemands ont deux mots pour parler de cette notion : il y a d’un côté l’erfahrung, l’expérience que l’on a, acquise dans le temps, et l’erlebnis, l’expérience que l’on vit, que l’on éprouve sur le moment.aa
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Chaque type d’expérience renvoie à des modes de pensée et de comportement très différents. Au début du siècle, Georg Simmel a bien montré à quel point l’apparition des grandes métropoles modernes avait bouleversé les cadres de l’expérience, et fait passer les hommes de l’erfahrung à l’erlebnis.
Les individus de la grande ville, soumis à des changements et des pressions continuels, ne vivent plus sous le régime de l’expérience intergénérationnelle (Erfahrung) qui rattache chacun à sa communauté d’appartenance. Au contraire, ils vivent sous le régime des expériences strictement individuelles (Erlebnis), qui résultent des stimulations et des excitations sensorielles de l’espace urbain (bruits, transports, publicités, lumières, agitation, etc). La grande ville entraîne une modification de l’appareil sensitif des citadins, en les soumettant à une hyper-sollicitation sensorielle qui les pousse à développer des mécanismes de défense, au nombre desquels le blasement, la retenue, le cynisme. Leçon pour la suite : chaque type d’expérience suggère un type de comportement adapté.aaaa
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Erfahrung |
Erlebnis |
Expérience que l’on a |
Expérience que l’on vit |
Acquise dans le temps |
Éprouvée dans l’instant |
Cumulative et continue |
Discontinue, chocs et à-coups |
Commune, intégratrice (faire partie d’une culture commune) |
Privée, isolée |
Élargissement de l’horizon, rattachement à une communauté ou un univers entier |
Concentration, renvoi vers l’unicité du sujet, de ses sensations individuelles |
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En quoi cette distinction entre l’erfahrung et l’erlebnis, élaborée par les observateurs de la modernité berlinoise des années 1930, peut-elle nous renseigner sur la communication de marque en 2008 ?
Les communications de marques qui se contentent de proposer des stimulations nerveuses instantanées, que ce soit via des bannières clignotantes sur le web, ou par des spots vidéo répétitifs proposent des expériences de type trop limité. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, il n¹est pas étonnant de voir grandir le nombre des consommateurs blasés, distants, cyniques, porteurs des mêmes symptômes déjà décrits par Simmel.
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Si les marques veulent susciter des engagements et des implications véritables, il leur faut donc construire des expériences de l’ordre de l’erfahrung. La publicité interactive est une possibilité, le brand content également.aa
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En effet, en créant des films, des musiques, des jeux, des contenus pédagogiques, les marques établissent des liens plus étroits avec le tissu culturel ambiant. Elles deviennent des agents de socialisation, de formation, de divertissement, qui peuvent réunir les personnes, leur offrir matière à discussion, au lieu de les forcer à développer des comportements défensifs. Mais on voit déjà qu’il y a plusieurs modes d’erfahrung, qui mériteront d’être explorés dans une note à part.
Merci pr ce point théorique sur la communication interactive, c'est passionnant.
Rédigé par : Jean | 10 février 2009 à 12:43