Les études doivent tenir compte du média particulier qu’est Internet, de la posture qu’il implique pour l’internaute. En effet, Internet assigne à l’interviewé une posture originale par rapport aux méthodes traditionnelles. De sorte qu’il est impossible de simplement transposer les questionnaires classiques directement en ligne, comme si le média était un support neutre.
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1. L’internaute est seul face à un écran
Les enquêtes via Internet se caractérisent d’abord par le fait que l’interviewé est seul face à son écran et répond à son rythme.
Cette posture génère des réponses plus complètes que lorsqu’un interviewé doit répondre du tac au tac face à un enquêteur. Les interviewés peuvent ainsi prendre le temps de répondre et de raconter avec précision leurs perceptions et leur vécu. Les réponses détaillées, avec si besoin des récits et des phrases successives, favorisent des analyses approfondies en permettant de tirer les liens établis par les consommateurs.
L’interrogation en ligne donne ainsi l’occasion de redécouvrir une vertu très importante de l’auto-administré, à savoir l’absence d’influence de l’interviewer. Sur Internet, les interviewés bénéficient de l’anonymat qui favorise la liberté d’expression avec une réduction du biais social : ils livrent un discours plus direct, plus franc (très adapté pour les sujets intimes) en évitant de tomber dans le politiquement correct et le « consensus mou ».
L’interrogation d’une population importante sans l’influence consciente ou inconsciente d’un interviewer ou des interviewés entre eux permet d’obtenir des résultats beaucoup plus purs. Pour tester le champ d’évocation d’un nom, le fait de collecter plusieurs centaines de réactions indépendantes dans des conditions de recueil homogènes est très précieux.
L’auto-administré facilite aussi la soumission de textes ou de listes à lire. Les éléments textuels sont mieux appréhendés à travers la lecture qu’à travers la citation vocale surtout si c’est par téléphone et si les phrases sont longues.
A la différence des questionnaires auto-administrés postaux qui nécessitent une logistique lourde à l’aller comme au retour, l’interrogation en ligne est dépourvue de contraintes matérielles. Le niveau de retour est maîtrisé, et l’on peut clore l’enquête dès que l’effectif suffisant est atteint. Le suivi en ligne des retours permet de gérer des quotas, d’opérer une relance, de reformuler une question mal comprise ou d’ajouter des modalités.
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2. L’internaute est déjà inscrit dans un réseau.
En tant que « média logiciel et relationnel», Internet est un milieu naturel pour les études.
Sur Internet, l’internaute est déjà inscrit dans une dynamique de dialogue, de réseau et de renvois continus. Internet est un média intrinsèquement relationnel, interactif. Il met en contact des individus entre eux, mais également des contenus qui se renvoient les uns les autres. Avec l’e-mail, les forums, les blogs, la messagerie instantanée, les internautes baignent dans une culture de l’échange et de la participation.
Lorsqu’un internaute reçoit un mail, il a l’habitude d’y répondre avec la fonction retour de son logiciel de messagerie. S’il reçoit une enquête sous forme d’un lien dans un e-mail, il peut également y répondre immédiatement, sans effort, ce qui peut l’inciter à y participer. Avec Internet tous les freins matériels qu’il y avait à répondre à une étude sont levés : il suffit de cliquer sur un lien pour accéder à une enquête et d’appuyer sur un bouton pour la renvoyer. Le temps des questionnaires papiers, où l’on devait prendre un crayon, s’attabler, préparer une enveloppe et la poster, est révolu.
À la différence du questionnaire-papier inerte, l’enquête en ligne est interactive et crée une dynamique de dialogue. La présentation de formulaires à l’écran autorise le dévoilement progressif des questions avec des interfaces multimédia. La verbalisation et le texte cessent d’être un passage obligé. Il devient possible d’utiliser des icônes pour recueillir une réaction et de faire évaluer des images et des sons plutôt que des énoncés.
Internet a la vertu de favoriser une interaction naturelle et vivante en restaurant des conditions de la relation de visu tout en supprimant les biais liés à la présence d’un enquêteur vivant.
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3. La motivation de l’interviewé à répondre
Quel est l’impact des caractéristiques d’Internet sur la façon dont on conduit des études ?
Plus que jamais avec Internet, c’est l’implication de l’interviewé dans les enquêtes qui est la clé du succès.
Lorsqu’un enquêteur interroge un individu en face à face ou par téléphone, l’interviewé répond souvent par politesse ou par gentillesse, afin de permettre à l’enquêteur de faire son travail. Même si le questionnaire est un peu long et certaines questions ennuyeuses, les encouragements de l’enquêteur et la bonne volonté de l’interviewé aident à le « faire passer ».
Avec Internet, la responsabilité du questionnaire est transférée de l’enquêteur vers l’interviewé. Sa bonne volonté est une clé de réussite car il n’a plus de raison de s’appliquer à répondre pour faire plaisir à un interlocuteur. S’il se sent manipulé par le questionnaire, si le questionnaire est trop long, trop répétitif ou mal conçu, s’il n’est pas d’accord avec la façon dont la question est posée, il pourra ne pas répondre, ou manifester son agacement en répondant à côté.
Il est donc essentiel de déterminer ce qui peut encourager la motivation de l’interviewé à répondre.
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4. Le bénéfice pour les interviewés
Sur Internet, les interviewés doivent tirer un bénéfice en participant aux enquêtes. C’est cela qui favorise leur implication dans le questionnaire : la possibilité d’apprendre des choses sur soi-même, de découvrir des idées, des produits, le sentiment de participer à une réflexion, etc.
Les interviewés sont prêts à jouer le jeu de l’enquête s’ils sentent une relation « donnant-donnant ». S’ils ressentent un échange réel entre eux et ceux qui sont « derrière » l’enquête, les individus sont tout disposés à s’y investir.
D’abord, les interviewés apprécient d’être associés aux réflexions, de se sentir partie prenante des enjeux des entreprises et des institutions : d’une manière générale, les interviewés valorisent le fait même d’être consultés en tant que consommateurs. Ils apprécient qu’on leur donne la parole et que leurs réponses permettent de « faire avancer les choses ». Preuve de leur implication, ils sont souvent en attente d’un feedback sur les résultats de l’enquête. Ils seront d’autant plus intéressés à une enquête qu’ils sentiront qu’elle pose bien les questions et aborde le sujet d’une manière efficace et approfondie.
Ensuite, la participation à une enquête leur permet de se situer sur un thème, de confronter ou conforter leurs positions, et de se poser des questions qu’ils ne s’étaient pas encore posées. Ils apprécient que le questionnaire soit l’occasion d’apprendre des choses sur eux-mêmes et sur la société. De cette manière, l’enquête peut constituer une source d’informations délivrées au travers des questions, des propositions, ou des stimuli testés.
Enfin, la participation à une enquête permet d’ouvrir son champ de connaissance sur un domaine et d’avoir une meilleure conscience d’une réalité. Il existe aussi un plaisir ludique à s’exprimer sur des pratiques quotidiennes ou à réagir à des propositions.
En résumé, les interviewés seront d’autant plus motivés à bien répondre qu’ils seront face à une enquête qui leur semble utile, bien conçue et agréable.
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5. Le rôle de l’incentive
L’incentive est un moyen supplémentaire de renforcer la motivation, en jouant une fonction symbolique de remerciement. En l’absence d’un interlocuteur, les incentives témoignent d’une certaine considération pour l’interviewé et indiquent que la relation va bien dans les deux sens. C’est une preuve de l’intérêt que le panel accorde au temps consacré par l’interviewé à répondre.
L’incentive est surtout symbolique et ne peut constituer l’unique source de motivation. C’est l’enquête qui doit être motivante pour elle-même.
Sur Internet, les incentives sont en général assez faibles (quelques euros) ou aléatoires (tirages au sort). Là où les panels américains n’hésitent pas à annoncer « we pay for opinion », les panels français sont plus subtils comme l’atteste la signature de TestConso.fr « votre avis a de la valeur ». Il est en effet essentiel que les répondants n’aient pas le sentiment de faire un travail moyennant une rétribution mais plutôt de participer dans un esprit de volontariat.
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6. La préoccupation ergonomique
L’implication de l’interviewé et sa motivation à répondre passent aussi par des formats de questionnaire fluides et faciles à administrer. Il faut pour cela proposer des questionnaires qui soient bien construits en gardant un œil vigilant sur l’ergonomie.
Le test d’un grand nombre de questionnaires en ligne a permis de mettre en évidence l’importance pour les interviewés d’un équilibre entre guidage et espace d’expression.
Une solution pour satisfaire cette double exigence consiste à alterner les questions ouvertes et les questions fermées. L’intégration de stimuli (visuels, sonores…) en cours d’enquête crée également du rythme et enrichit l’échange.
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Les interviewés accordent une importance capitale à la question du repérage dans le questionnaire : ils attendent des questions nettes et précises, qui permettent de savoir rapidement quoi répondre. Ils sont particulièrement critiques à l’égard des tunnels de questions fermées, dont ils ne voient pas le bout. Le sentiment de longueur n’est pas tant une question de durée que de variété et de progression dans le questionnaire. Ils rejettent surtout la monotonie dans les questions, que ce soit dans le mécanisme des questions, leur thème ou dans leur formulation. Le fait de pouvoir suivre l’avancement dans le questionnaire avec un curseur ou une pagination est également apprécié.
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7. Le design des questionnaires
L’évolution des technologies web rend possible des questionnaires de plus en plus intuitifs, ludiques et esthétiques.
D’abord, avec le développement des questionnaires en technologie flash, les potentialités d’animation des questionnaires sont décuplées. Les graphismes des questionnaires s’améliorent, deviennent plus colorés, plus animés, mieux chartés, plus agréables.
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On devine la fraîcheur d’une Guinness à l’eau glacée qui perle sur la paroi du verre, et la page d’accueil d’un questionnaire de satisfaction du site www.voyagesncf.com montre l’apport d’un environnement visuel de qualité pour interroger ses clients. Le graphisme agréable marque l’effort relationnel consenti vis-à-vis du consommateur interviewé.
Certains questionnaires apportent un soin particulier à l’accompagnement de l’interviewé au fil de l’entretien :
- Une introduction audio ou vidéo du questionnaire
- Un système de messages d’aide tout au long du questionnaire
- Le recours à un « enquêteur virtuel »
Surtout, les techniques d’interaction permettent aujourd’hui de s’appuyer de plus en plus sur la dimension tactile et sensitive du web. L’écran du web n’est pas seulement un espace où l’on peut lire des choses, à distance, il est aussi un espace que l’on peut toucher, une surface réactive, constituée de modules sensibles au passage de la souris, au clic, etc… Pour répondre, l’internaute n’a plus seulement le choix entre cocher des cases ou remplir des zones de textes : des outils sont là pour glisser, saisir, déplacer des objets sur l’écran, et répondre aux enquêtes de façon beaucoup engagée et agréable.
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Les interviewés peuvent sélectionner des zones avec la souris directement sur une affiche ou dans un texte. Dans un copy testing, l’internaute clique sur des zones ou des éléments qui l’attirent ou non. Le « nuage de chaleur » des zones les plus souvent cliquées, révèle des résultats plus visuels, parfois saisissants.
Les images interactives cliquables sont très utiles : carte de France avec loupe pour aider des touristes étrangers à se souvenir des villes visitées, grille de programme permettant au répondant d’indiquer le programme vu la veille, texte dont on surligne les passages valorisés, etc.
Le mode d’interrogation cesse d’être uniquement verbal avec des listes de mots. Il se rapproche de plus en plus des conditions du réel en utilisant des images de notre quotidien.
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8. Les risques liés à l’informatisation
Les progrès de l’informatisation permettent d’enrichir la relation avec les interviewés, et de construire des questionnaires incroyablement plus vivants. Mais ils comportent aussi des risques.
Un risque de dérive important réside dans la mécanisation excessive des questionnaires en ligne, qui peut entraîner une relation machinale avec l’interviewé. Si l’interviewé a l’impression que le questionnaire le prend pour une machine à cliquer, il sera incité à « jouer » avec le logiciel du questionnaire ou à répondre machinalement, c’est-à-dire sans réfléchir.
Par exemple, la tentation est grande pour les concepteurs de questionnaires en ligne de créer des filtres avec des renvois en fonction des réponses précédentes. Prenons un questionnaire invitant à cocher toutes les marques connues au sein d’une liste. Si à chaque fois qu’une marque est cochée, cela déclenche une batterie de questions, l’interviewé sera incité à minimiser ses réponses afin de limiter son effort.
Les capacités techniques des logiciels d’enquêtes amènent aussi parfois les concepteurs d’études à créer des questions compliquées avec une multitude d’items et d’échelles. Mais si l’internaute trouve que la question est trop longue à lire, il risque de la survoler en répondant au plus vite. Si on le force à répondre pour passer à la question suivante, il pourra se jouer de cette contrainte en répondant au hasard.
Pour éviter ces dérives, il est important de considérer l’interviewé comme un partenaire à respecter, se mettre à sa place et prévoir un questionnaire gratifiant sur la durée. Pour éviter la relation machinale, il faut concevoir le questionnaire comme un dialogue animé, non comme une batterie de questions.
Pour interroger un lecteur d’un magazine sur une publicité, il est par exemple judicieux d’intégrer des questions sur le rédactionnel ne serait-ce que pour l’impliquer, quitte ensuite à ne pas utiliser ses réponses. Certaines questions peuvent avoir comme unique fonction d’aménager un cadre de questionnement agréable et naturel.
Pour mieux appréhender la perception du questionnaire, il est toujours instructif de faire réagir les interviewés en fin d’enquête. C’est dans cet espace que les interviewés peuvent indiquer leurs éventuelles sources d’incompréhension, les questions où ils se sont sentis mal pris en compte, les points supplémentaires sur lesquels ils auraient aimé réagir, etc.
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9. La question ouverte dans les enquêtes en ligne
Pour s’assurer l’implication des interviewés et éviter les réponses machinales, la question ouverte s’avère essentielle.
La question ouverte est d’abord un moyen très efficace pour évaluer l’implication des interviewés et supprimer le cas échéant les répondants les plus laxistes. Les réponses peu impliquées se repèrent très facilement soit par le nombre de mots employés soit par la nature des réponses.
En pratique, les interviewés non impliqués administrent leur questionnaire beaucoup plus vite que les autres ; ils adoptent un ton détaché, font des réponses similaires à plusieurs questions (ex : idem, pas d’avis, NSP, RAS…), se permettent de sauter des questions et multiplient les réponses vagues. Ces réponses négligées polluent les enquêtes en ligne : elles doivent absolument être évitées et le cas échéant éliminées.
À l’inverse, un interviewé qui prend le temps de répondre aux questions ouvertes s’applique également pour les questions fermées dans un esprit de cohérence.
Ensuite, la question ouverte est une manière d’humaniser un questionnaire et de le rendre vivant. L’intégration régulière de questions ouvertes donnera le sentiment à l’interviewé que son point de vue est mieux pris en compte. La question ouverte est aussi un moyen d’éviter que l’interviewé ne réponde de manière mécanique.
Pourtant jusqu’ici, dans les études quantitatives, les questions ouvertes ont été limitées à quelques cas particuliers (l’explicitation de la réponse « autre », les remarques finales, les suggestions…). Si les questions ouvertes sont limitées en face à face et au téléphone, c’est qu’elles représentent surtout une contrainte, à tous les niveaux de l’enquête. Elles sont d’abord un alourdissement du terrain. Au téléphone par exemple, tandis que quelques secondes suffisent pour une question fermée, il faut consacrer 1 minute 30 pour une question ouverte. Lors du traitement, les questions ouvertes sont également la « bête noire » des quantitativistes, qui essaient soit de la réduire aux forceps à quelques items par la codification ou qui se contentent de livrer le verbatim brut.
L’arrivée d’Internet permet de reconsidérer les questions ouvertes sous un œil neuf. Elles constituent désormais moins une contrainte qu’une fantastique opportunité.
Lors du recueil, la question ouverte est tapée directement par l’interviewé. Il n’y a plus de problème d’alourdissement du terrain puisque c’est l’interviewé qui saisit son texte. Seul face à un écran, l’internaute est invité à faire passer ce qu’il ressent par quelques phrases. L’absence d’interlocuteur l’incite à mettre en mots ou en signes ce qu’il aurait exprimé par du non verbal (rires, intonations, mimiques, etc.) dans une situation d’interaction avec une autre personne.
En ce qui concerne l’analyse des questions ouvertes, Internet présente l’avantage de fournir un contenu déjà saisi. C’est donc un matériau prêt pour l’analyse lexicographique. On insistera néanmoins sur les limites de cette méthode. D’abord parce que l’orthographe des interviewés est souvent approximative et que le comptage lexical est plus fiable sur un corpus dans une langue propre. Ensuite et surtout parce que les questions ouvertes ne sont souvent pas réductibles à quelques items. La codification comme la lexicographie fonctionnent pour certains types de questions mais pas systématiquement. Face à des réponses argumentées composées de plusieurs phrases successives, les méthodes visant essentiellement le comptage sont forcément destructrices de sens.
La question ouverte, qui cesse de devenir une contrainte, peut réinvestir le champ du questionnaire comme moyen de recueillir davantage d’informations, et de soigner la relation à l’interviewé : c’est bien là le point essentiel.